Depuis quelques années, la Société des alcools du Québec (SAQ) évoque régulièrement la «montée en gamme» des consommateurs pour expliquer la hausse du prix moyen des bouteilles achetées dans ses succursales. Mais des documents destinés «à l’usage exclusif de ses employés» démontrent qu’en fait, la direction déploie toutes sortes de stratégies pour encourager les Québécois à boire des vins plus chers.
«La stratégie de montée en gamme (trading-up) et d’achalandage conçue par la Commercialisation a été efficace sur toute la ligne», mentionne un document des communications internes qu’un employé a fait parvenir à LesAffaires.com, daté de février 2012. Dans le texte, la direction insiste notamment sur l’augmentation de 16,50$ à 17,01$ du prix moyen de la bouteille vendue, de 2010 à 2011.
Une autre fiche confidentielle sur les dégustations énumère plusieurs critères devant présider au choix des vins à faire goûter. Le premier: «Augmenter le prix moyen de la bouteille vendue de la catégorie», spécifie le document.
LesAffaires.com a aussi reçu un texte intitulé «Cinq questions à Nathalie Carrière, directrice à la Mise en marché des vins courants». Pour elle, la stratégie de commercialisation consiste notamment à faire évoluer le client «vers des produits de plus en plus qualitatifs [sic] et donc acheter des produits dans une gamme de prix plus élevée (trading-up ou montée en gamme)».
D’autres documents font état de concours de ventes par succursale où la performance est établie non seulement sur la hausse des ventes totales, mais aussi sur l’augmentation du prix moyen de la bouteille (30 % du pointage).
«Distinction 4A+»
«Distinction 4A+»
À la SAQ, la porte-parole Isabelle Merizzi explique que ces concours et la stratégie coordonnée de «montée en gamme» font partie du programme «Distinction 4A+». Il est destiné à stimuler les employés pour améliorer les résultats de la société d’État. Elle précise que la direction a commencé à déployer la stratégie il y a «un an et demi».
«Ça va prendre encore un an avant de le mettre en place partout, dit-elle. Mais ça ne veut pas dire qu’on oblige les clients à monter en gamme!»
Isabelle Merizzi assure que la SAQ agit ainsi pour répondre à la demande des clients. «Même lors des promotions, les produits à 13$ sortent moins bien que ceux à 17$, dit-elle. Et pourtant, on y met le même effort de marketing.»
Dans un article sur la disponibilité en baisse des vins moins chers à la SAQ, LesAffaires.com citait en janvier le travail de Marc André Gagnon. L’auteur du magazine Web vinquebec.com a fait une recherche dans le site de la société d’État et a réalisé que le nombre de bouteilles à moins de 10 $ est passé de 183 à 63 de mars 2009 à décembre 2012. À moins de 15 $, le nombre de produits a diminué de 857 à 813.
Par contre, la gamme des produits de 15$ à 20$ s’est élargie de 1262 à 1661 bouteilles différentes.
En fait, depuis 2009, le monopole public du vin a systématiquement remplacé ses bouteilles à moins de 15$ par des produits plus chers, selon Marc André Gagnon.
Pour arriver à cette conclusion, le chroniqueur a parcouru le site de la SAQ destiné aux fournisseurs et agences (B2B). Pour chaque famille de produits (italiens rouges, chiliens blancs, etc.), la société d’État y énumère les bouteilles qu’elle compte retirer des tablettes, et celles qu’elle compte ajouter. «Quand vous examinez toutes les régions, c’est systématique», dit-il.
Par exemple, dans les Bordeaux rouges, la SAQ a «substitué» le Château des Tuileries 2009, à 13,80$, et le Calvet Réserve merlot/cabernet-sauvignon 2010, à moins de 15$ avant la hausse de taxes sur le vin, par le Château Bois du Fil, à plus de 17,50$ et le Dulong Réserve, à plus de 15$.
La vente de bouteilles plus chères est avantageuse pour la société d’État et son actionnaire, le gouvernement du Québec. En effet, la vente d’un pinard à 10 $ lui rapporte 4,73$ en profit, avant les taxes de vente, tandis qu’à 15$, un vin rapporte 6,86$. À 30 $, c’est beaucoup plus rentable: la vente d’une bouteille rapporte 10,80$.
La SAQ réalise un bénéfice net de 35,3 % sur ses ventes, qu’elle envoie au complet à Québec. Pour l’année 2011-2012, il a atteint 999,7 M $.