Il y a deux ans, Délecta ouvrait sur la Rive-Sud de Québec une boucherie réinventée. Adieu les sarraus blancs tachés de sang, bienvenue les bouchers de noir vêtus. Le noir, l'allié du chic, allait aussi servir aux emballages des viandes, présentées dans des comptoirs et des chambres de vieillissement en verre et acier inoxydable. Le luxe ne serait pas que dans le décor, mais aussi dans l'offre de produits : des viandes de qualité supérieure.
«Je vends surtout du AAA dans le boeuf, mais j'en ai pour tous les budgets, précise le directeur Fabrice Bordeleau. Ça peut aller périodiquement [l'été] jusqu'au boeuf de Kobe, le plus cher de tous, qui se vend de 150 $ à 160 $ le kilo.»
À Saint-Jean-Chrysostome, un quartier de classe moyenne, Délecta n'a pas trouvé sa clientèle et a choisi de déménager au marché du Vieux-Lévis, en plus d'ouvrir une succursale à Québec, quartier Lebourgneuf, l'été dernier. Déjà, une clientèle d'habitués s'est constituée dans ce voisinage mieux nanti.
«On essaie d'éduquer les gens à manger mieux. On les incite à prendre une plus petite quantité et à faire des tests pour découvrir la différence entre les catégories de viande. On mise beaucoup sur l'expérience, on offre nos conseils, nos recettes et on établit un vrai lien avec nos clients», explique M. Bordeleau.
«Je ne peux pas me battre contre les grandes épiceries sur le plan du marketing, car on n'a pas les mêmes moyens. Mais en service à la clientèle, on peut faire une grande différence», dit celui qui mise aussi sur les événements et les dégustations pour stimuler les appétits et les ventes.
Du raffinement dans les grandes chaînes
La concurrence s'annonce plus vive que jamais entre les épiceries fines et les géants de l'alimentation, gourmands de cette clientèle prête à payer plus pour manger mieux.
«Les émissions de cuisine épousent la tendance luxe en alimentation, remarque Robert Dion, consultant et conférencier dans le service alimentaire et la restauration. Les gens qui ont du goût recherchent de plus en plus des produits de qualité pour satisfaire un palais de plus en plus exigeant.»
Qui aurait parié, il y a 10 ans, qu'on pourrait un jour acheter du boeuf AAA vieilli 58 jours et du porc Nagano - le fin du fin - dans un IGA ? Depuis 2014, l'épicier a ajouté quelque 600 produits fins sur ses tablettes et comptoirs. Sa campagne «Mieux manger» ne vise pas que la santé, mais aussi un certain raffinement. «C'est une façon de nous démarquer», dit la directrice des communications de Sobeys Québec, Marie-Noëlle Cano.
Des partenariats avec des fournisseurs québécois comme les steaks Moishes et les fondues Chocolats Favoris, qui permettent à IGA de vendre certains produits en exclusivité, connaissent un grand succès. En moins d'un an, les fondues au chocolat liquide ont déclassé tous les produits concurrents réunis.
IGA s'est aussi entourée de chefs vedettes pour faire découvrir dans sa circulaire et son site Web de nouveaux aliments. Luxe et expérience client sont souvent associés dans l'esprit des consommateurs, puisque les maisons de luxe ont toujours misé sur cet aspect. Les consommateurs aiment se faire dorloter et ils sont prêts à payer plus cher pour cela, souligne l'expert en stratégie de marque Patrick Messier, de Messier Designers. «L'avantage pour les entreprises, c'est que les produits de luxe, toutes catégories confondues, se vendent plus cher, avec une marge bénéficiaire plus élevée.»
D'autres enseignes s'inscrivent dans la tendance : Provigo Le Marché propose des ambiances feutrées et des produits locaux haut de gamme. Comme Loblaws, Provigo vend aussi, depuis un peu plus de deux ans, les produits Choix du Président collection noire ; un assortiment de produits du monde, de provenance artisanale.
«Les gens qui veulent bien manger aiment de plus en plus le faire à la maison», constate Fabrice Bordeleau, de Délecta.
La gastronomie à la maison reste un luxe, mais un luxe plus abordable que dans la restauration, où Robert Dion, aussi éditeur du magazine HRI, constate la tendance inverse. Le haut de gamme perd du galon au profit du bistro.
«Le restaurant cherche à être plus abordable, et les gens vont vers quelque chose de plus grunge. On n'a pas les moyens au Québec de payer 600 $ pour aller au restaurant», dit-il.