Les ingénieurs jouent un rôle crucial dans le domaine de la santé. Peut-être autant que les sociétés pharmaceutiques.
Nous vous présentons ici deux ingénieurs spécialisés en imagerie médicale, une technique qui a pour but de voir de plus en plus clair à l'intérieur du corps humain. L'imagerie médicale, c'est la version beaucoup plus évoluée du rayon X, inventé en 1895 par le physicien allemand Wilhelm Röntgen.
Mieux planifier les interventions
D. Louis Collins est titulaire d'un doctorat en génie biomédical de l'Université McGill. Il est professeur au Département de neurologie et de neurochirurgie et au Département de génie biomédical à l'Université McGill. Il dirige un laboratoire de 11 étudiants au doctorat et de quatre au postdoctorat, affilié à l'Institut et Hôpital neurologiques de Montréal.
Longtemps après le rayon X, pour pousser plus loin l'observation du corps humain, on a inventé les ultrasons (dont l'écographie), il y a une cinquantaine d'années, puis la tomographie, dans les années 1970, qui permet d'observer le corps par tranches.
La résonance magnétique a vu le jour dans les années 1980, une dizaine d'années après la tomographie par émission de positrons. «Ces techniques permettent simplement d'acquérir des images. Nous, on cherche à traiter ces images pour faire sortir l'information», dit M. Collins.
Par exemple, voir des vaisseaux sanguins ou le cortex du cerveau en 3D peut être très utile aux chirurgiens pour planifier leurs interventions. «Si on voit tout avant d'opérer, on réduit grandement le risque d'erreurs», dit M. Collins. Cette technique peut même montrer sur un écran d'ordinateur des parties d'organes que le chirurgien ne peut voir même après avoir ouvert le corps du patient, comme des vaisseaux situés sous le cortex.
On peut ainsi voir sur un écran la zone du langage dans le cerveau, la zone de prise de décisions ou celle de l'acquisition de nouvelles techniques. «Grâce à l'imagerie médicale, il est possible d'aller placer un pacemaker dans le cerveau pour traiter le parkinson en passant par un petit trou percé dans le crâne, explique M. Collins. Et des chercheurs se demandent si on ne pourra pas inventer un pacemaker pour stimuler la mémoire des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.»
L'imagerie médicale est également un outil précieux pour la recherche sur plusieurs maladies neurologiques, comme la sclérose en plaques et la schizophrénie.
Les logiciels développés par M. Collins et son équipe sont, en règle générale, offerts librement à tous les chercheurs du monde, pour l'avancement de la science. Seuls certains sont brevetés. C'est le cas d'un logiciel développé en collaboration avec l'Université de Bordeaux, qui prédit sept ans à l'avance, avec une précision de 72 à 74 %, quelles personnes âgées développeront une forme de démence.
Ces recherches ne sont pas vaines : il y a 20 ans, une personne à qui on enlevait un certain type de tumeur au cerveau ne vivait pas une année, alors que maintenant, son espérance de vie est supérieure à 10 ans. «On travaille pour que ces personnes aient la même espérance de vie que tout le monde», lance M. Collins.
Grâce à l'imagerie médicale et à de nouveaux marqueurs fluorescents, une fois la tumeur enlevée, avant de refermer le cerveau, en utilisant une lumière spéciale, on peut voir s'il reste des traces de la tumeur et remédier à la situation immédiatement plutôt que d'avoir à réopérer quelques mois plus tard.
De l'espoir pour les personnes épileptiques
Christophe Grova est titulaire d'un doctorat en génie biomédical de l'Université de Rennes 1 (France). Il est professeur au Département de génie biomédical ainsi qu'au Département de neurologie et de neurochirurgie de l'Université McGill. Il est lui aussi affilié à l'Institut et Hôpital neurologiques de Montréal et dirige un laboratoire de cinq étudiants au doctorat et d'un postdoctorant. Ses recherches en imagerie médicale se concentrent sur l'épilepsie.
«En combinant différentes technologies d'imagerie, mon travail au sein du groupe d'épilepsie de l'Institut neurologique de Montréal consiste à améliorer la prise en charge des personnes épileptiques pour lesquelles la chirurgie peut être envisagée lorsque les traitements médicamenteux ne fonctionnent plus», explique Christophe Grova.
Le but est toujours le même : délimiter avec le plus de précision possible la zone du cerveau à enlever, afin de stopper ou diminuer l'apparition des crises d'épilepsie, tout en veillant à ne pas créer d'autres déficits graves et permanents. Le traitement chirurgical de l'épilepsie est une méthode qui a été développée par le célèbre neurochirurgien montréalais Wilder Penfield.
La technique de référence lors de la préparation d'un patient pour la chirurgie consiste à placer des électrodes dans le cerveau.
Là encore, la difficulté est de repérer la région du cerveau touchée. Et l'imagerie médicale est un précieux atout, car elle permet de guider cette délicate intervention de façon non invasive (sans ouvrir le cerveau).
La particularité de la recherche de M. Grova est de combiner différentes technologies d'imagerie. La première est l'électroencéphalographie (EEG), qui enregistre les décharges électriques anormales se produisant de façon inconsciente chez la personne épileptique. Le but est de repérer les régions du cerveau d'où proviennent ces décharges.
La deuxième technologie est la magnétoencéphalographie, qui enregistre l'activité magnétique du cerveau. «Je développe des modèles mathématiques pour reconstruire les sources cérébrales associées à cette activité magnétique», explique M. Grova.
La troisième technologie conjugue l'EEG et l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ce qui permet de générer une image en 3D de l'afflux sanguin au cerveau associé à l'activité épileptique.
Enfin, M. Grova utilise ensemble l'EEG et l'imagerie optique proche infrarouge. En plaçant des sources lasers, des détecteurs de lumière et des électrodes EEG sur la tête du patient (système développé par la société montréalaise Rogue Research), il est possible de suivre la quantité d'oxygène dans le sang qui circule dans le cerveau au moment des décharges épileptiques.
«Il existe déjà à l'École Polytechnique un prototype d'appareil portable et sans fil qui permettra éventuellement d'enregistrer ces données pendant toute une semaine au lieu de le faire assis sur une chaise, pendant seulement une heure», affirme M. Grova.
En somme, l'imagerie médicale, en rendant le corps transparent, fournit plus d'informations au neurochirurgien, l'aide à travailler avec plus de précision et réduit considérablement le risque d'erreur.