En annonçant la fermeture de la mine de fer du lac Bloom, près de Fermont, Lourenco Goncalves, le président de Cliff Natural Resources, a qualifié de «désastre» son aventure dans la Fosse du Labrador.Faut-il pour autant croire que notre minerai de fer n'est plus concurrentiel ?
L'échec de Bloom découragera-t-il l'investissement dans les autres projets annoncés dans la Fosse - ceux des petites sociétés minières (juniors) Champion, Alderon, New Millenium, Lamêlée, Adriana, Century Iron Mines ?
«Non !» claironnent leurs dirigeants. Le cas du lac Bloom est atypique, font-ils valoir : le projet était mal conçu, ce qui a mené à de coûteuses complications à l'étape de l'exploitation ; les coûts ont été mal contrôlés ; l'entente de transport a été mal négociée...
L'activité dans la Fosse reviendra, disent-ils, lorsque le prix du fer, qui a connu son plus bas creux depuis cinq ans à moins de 70 $ US la tonne, remontera.
«Surtout lorsque les investisseurs auront confiance que les prix resteront élevés», temporise Jackie Przybylowski, analyste chez Desjardins Marché des capitaux. Dans un an, deux ans ? La volatilité est tellement forte que même les analystes prennent leurs prédictions avec un grain de sel.
Rappel historique : la Fosse du Labrador livre du fer depuis soixante ans et a traversé plusieurs cycles baissiers, avec deux acteurs encore actifs qui s'appellent aujourd'hui ArcelorMittal Mines Canada (AMMC) et IOC - Rio Tinto.
Mais même ces minières aux reins solides se coupent les cheveux en quatre pour réaliser de maigres bénéfices dans le contexte actuel. Selon des estimations non confirmées, l'investissement de 1,2 milliard de dollars qu'ArcelorMittal a effectué au début du Plan Nord lui rapporterait moins de 2 % en rendement du capital.
Pourtant, AMMC et IOC sont chacune propriétaires de leur voie ferrée. Et elles bénéficient de bas tarifs d'électricité - 0,5 cent du kWh pour IOC, grâce à une entente historique. Les nouveaux projets n'ont pas cette chance.
Mais pour Sandy Chim, président de Century Iron Mines (CIM), qui fait le tour de la Chine ces jours-ci avec une présentation intitulée «Les avantages du fer canadien», cette ressource a ses niches.
Le fer du Labrador contient moins de contaminants. Dans les aciéries chinoises, on le mélange au fer australien ou chinois pour obtenir un meilleur produit. En outre, une fois concentré, il peut avoir une teneur plus élevée que l'étalon de 62 %. À titre d'exemple, les boulettes des projets KéMag et LabMag de New Millenium atteindront 69 %, disent ses promoteurs. Et on paie des primes variant de 10 $ à 25 $ la tonne pour ces avantages.
Le marché des boulettes a certes été faible ces dernières années, mais selon les juniors qui veulent en faire (CIM, New Millenium), il est appelé à remonter dans les prochaines années. Ce marché n'est pas tant en Chine qu'en Europe, en Amérique, au Moyen-Orient et en Indonésie, là où on espère des projets d'infrastructures.
Retour d'un oligopole ?
Un autre facteur de succès requis pour le fer canadien : le moment opportun.
Sandy Chim estime que les surplus actuels de fer, générés par la hausse de production des quatre acteurs dominants - Rio Tinto, Vale, BHP et Fortescue Metals Group -, ne seront pas absorbés par le marché avant 2018.
À l'heure actuelle, le puissant quatuor inonde le marché dans le but d'éliminer les producteurs à coûts élevés. Une fois la concurrence éliminée, ils veulent recréer la situation d'oligopole connue avant 2007, alors que le fer ne bénéficiait pas de marché au comptant (spot), et faire remonter les prix.
L'enjeu pour les juniors canadiennes est donc de tenir bon d'ici 2017-2018. Et de convaincre les Chinois qu'ils ont intérêt à investir dans la Fosse pour diversifier leur approvisionnement, dit Allen Palmiere, président de la minière Adriana, promoteur du projet de fer du lac Otelnuk.
Son projet, tout comme ceux de KéMag et LabMag de New Millenium, n'est pas pour demain matin, selon les analystes. Trop loin, trop cher (il s'agit d'un gros projet). Quant à KéMag et LabMag, ils ont besoin d'un partenaire supplémentaire.
Autre problème : la logistique. New Millenium doit livrer six millions de tonnes par année (Mt/a) de fer à enfournement direct (direct shipping ore, ou DSO, dans le langage minier) aux aciéries européennes de Tata Steel. Sauf que l'entreprise paie cher pour le rail et le chargement sur de petits navires. En attendant que soit réglée l'impasse entre le Port de Sept-Îles et la minière américaine Cliffs Natural Resources au sujet de l'accès au quai multi-usager qui accueillera de plus gros bateaux, New Millenium doit passer par IOC qui lui présente une facture salée, explique son président, Robert Patzelt.
La logistique représente jusqu'à 30 % du coût total d'un projet minier. Et c'est là que le gouvernement du Québec peut aider, disent les minières - en facilitant une baisse des coûts.
Par exemple, Québec sera invité à réduire ses tarifs d'énergie. Les mines de fer ne seront pas concurrentielles à un tarif de 9 cents le kWh d'électricité, préviennent-elles.
L'autre question est de savoir quelle est la quantité de fer canadien dont on a besoin dans le monde. Ce fer de qualité n'a qu'une part de marché de 2 % à l'heure actuelle, et il n'est utilisé que dans 10 % de la recette de fabrication de l'acier chinois.
«Le fer canadien a un avenir, mais en petites quantités», croit Hubert Vallée, président de Lamêlée, un nouveau projet de 5 Mt/a à un coût de 54,81 $ la tonne chargée au port, un des rares à avoir reçu l'appui de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Selon Adam Low, analyste chez Raymond James, les projets les mieux situés livreront de la qualité, de faibles coûts d'infrastructure et d'énergie, et auront à leur tête une équipe crédible. Le projet Kami d'Alderon a, à ses yeux, une longueur d'avance : la totalité de sa production est prévendue. La construction est prévue pour 2015. Mais Alderon travaille d'arrache-pied sur un financement par dette qu'elle n'a pas encore bouclé et sans lequel aller sur le marché des actions serait dangereusement dilutif dans le contexte actuel. «Notre industrie est frappée par un méchant vent de face», admet le président de l'entreprise, Tayfun Eldem.