Il n'est pas toujours facile d'y voir clair quand on parle de transparence dans l'industrie minière. La confusion entourant les modifications à la Loi sur les mines contenues dans la loi 28 l'a encore une fois démontré récemment. Et le fait qu'Ottawa et Québec mènent chacun dans leur coin leur propre croisade n'est pas de nature à rendre le dossier plus digeste.
Le 30 janvier dernier, le ministre délégué aux Mines, Luc Blanchette, a dû faire une sortie express pour calmer les esprits : non, les articles 221 et 222 du projet de loi 28 ne modifient en rien l'article 215 de la Loi sur les mines, adoptée en décembre 2013 sous le gouvernement précédent. «La quantité, la valeur et les redevances [des sociétés minières], tout ça sera du domaine public, je vous l'assure, a-t-il répété en entrevue. La ressource minérale est québécoise, donc les gens ont droit à cette information-là.»
La loi 28, adoptée en avril, doit mettre en oeuvre les mesures annoncées dans le discours du budget de juin 2014. Or, deux de ses articles ont été interprétés - à tort, semble-t-il - comme une abrogation des principales avancées de la Loi sur les mines en matière de transparence (article 215) : la divulgation, obligatoire et annuelle, de la quantité et de la valeur des minerais extraits ; des redevances et autres paiements versés par chaque société ; de leur plan de réaménagement et de restauration ; du montant de la garantie financière exigée par Québec. Le tout - et c'est là un progrès notable - de façon désagrégée, c'est-à-dire projet par projet.
Avant la modification de décembre 2013, les Québécois avaient accès aux données concernant les redevances totales, mais ne pouvaient pas savoir de quelles mines celles-ci provenaient précisément.
Alors, que changera la loi 28, au juste ? «Ce sont des précisions pour des éléments qui n'étaient déjà pas de l'ordre public : les données probables de réserves qui restent dans une mine, ça n'a pas à être rendu public et ça ne l'était déjà pas», dit le ministre Blanchette. Il s'agit essentiellement de rapports préliminaires et prévisionnels, produits à des fins de statistiques.
Par ailleurs, M. Blanchette compte présenter son propre projet de loi sur la transparence, mais il n'entend pas toucher à l'article 215.
Des outils pour les sociétés
Il est facile de confondre les progrès réalisés au Québec et ceux, plus lents, qu'on observe sur la scène fédérale. En fait, ils n'ont rien à voir les uns avec les autres.
En juin 2013, le premier ministre Stephen Harper s'était engagé à présenter un projet de loi sur la divulgation obligatoire, avec une norme pancanadienne valable dans chacune des provinces. Puis, en janvier 2014 (soit après que le Québec ait adopté sa propre loi), le Groupe de travail sur la transparence dans les industries extractives recommandait au gouvernement fédéral de confier aux différentes commissions des valeurs mobilières l'application des normes de transparence. Au Québec, ce serait à l'Autorité des marchés financiers (AMF) qu'incomberait le mandat.
Le hic, c'est que les provinces n'ont pas vraiment embarqué, selon Claire Woodside, directrice de Publiez ce que vous payez Canada, une coalition qui demande que les ressources naturelles profitent aux citoyens et qui était membre du Groupe de travail sur la transparence. «Il est difficile d'implanter quelque chose de façon coordonnée par l'entremise des commissions de valeurs mobilières, et le gouvernement ne peut pas les forcer», dit-elle.
Lié par son engagement de 2013, le gouvernement fédéral a donc décidé d'agir seul. «Ottawa a jugé que la meilleure voie, c'était plutôt de passer par une loi fédérale.» C'est ainsi que la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif (LMTSE), intégrée dans le projet de loi omnibus C-43, a été adoptée en décembre 2014. Le gouvernement, qui voudrait voir la loi entrer en vigueur en juin 2015, en est actuellement à concevoir les «outils administratifs» qui seront offerts aux sociétés, essentiellement les formulaires et les directives à suivre.
Québec, Ottawa : deux trajectoires parallèles
La loi vise les sociétés publiques inscrites en Bourse au Canada et certaines sociétés privées ayant des éléments d'actif ou des activités au Canada. Celles-ci devront divulguer tous leurs paiements annuels dès qu'une seule catégorie de versement excèdera 100 000 $ : impôts et taxes, frais, primes, redevances, dividendes, améliorations d'infrastructures, etc. Les sociétés qui ne s'y conformeront pas seront passibles d'amendes de 250 000 $ par offense.
À noter que, contrairement à la Loi sur les mines, la LMTSE inclut les paiements que versent les sociétés canadiennes à tous les gouvernements, y compris étrangers. En revanche, elle n'exige pas d'information sur la production.
C'est justement le fait que deux gouvernements, plutôt qu'un seul, poursuivent des trajectoires parallèles qui fait tiquer l'Association minière du Québec (AMQ). «On ne voudrait pas que nos minières fassent des rapports en double, dit Josée Méthot, pdg de l'AMQ. Il faut que Loi sur les mines et la LMTSE soient harmonisées.»
Mme Woodside comprend bien cette préoccupation, mais elle-même ne s'en inquiète pas. «C'est une chose sur laquelle les deux gouvernements pourront s'entendre après l'entrée en vigueur de la loi en juin, dit-elle. Les premiers rapports ne seront pas achevés avant mai ou juin 2017, alors il y aura amplement de temps pour harmoniser les rapports.»