Un incendiaire en veut au riche fondateur de Guess Jeans ou à ses locataires du Vieux-Montréal. C'est du moins ce que croit la police de Montréal. Elle enquête sur quatre feux survenus dans deux immeubles de Georges Marciano en moins de deux mois.
C'est une autre tuile pour l'ancien magnat du jean délavé, trois mois après l'annulation de la saisie de 150 millions de dollars visant ses immeubles patrimoniaux du quartier et sa luxueuse collection d'œuvres d'art, de voitures et de bijoux, dont un diamant de 16 millions.
La série d'incendies suspects a commencé le 24 janvier au 262, rue Saint-Paul Est, à six heures du matin. Les pompiers sont ensuite intervenus pour des alarmes d'incendie au 11 à 21, rue Notre-Dame Ouest à trois reprises, les 15 et 27 février, ainsi que le 4 mars.
Une porte-parole de la police confirme qu'«il y a plusieurs raisons de croire que ce sont des incendies criminels». Pour l'instant, aucun suspect n'est identifié et les autorités n'ont pas plus d'informations à transmettre.
«On aimerait bien savoir ce qui se passe», dit Michel Bensmihen, responsable de la location pour les immeubles de Georges Marciano. Courtier chez Cushman Wakefield, il est également administrateur de plusieurs de ses sociétés, selon le Registre des entreprises. «Est-ce une histoire contre un locataire? entre locataires? Il y a eu toutes sortes de spéculations...»
Propriétaire de NRJ Jeans, au 21, Notre-Dame Ouest, Moshé Simhon précise que le feu du 27 février a commencé dans un matelas au sous-sol, entre les cases de rangement des locataires. Il s'est rapidement propagé à des piles de documents entreposés à côté. Cette matière combustible pourrait être considérée comme un accélérant d'incendie par les pompiers et la police.
Michel Bensmihen dit ignorer pourquoi quelqu'un en voudrait à Georges Marciano, qui a acquis pas moins de 18 immeubles historiques dans le Vieux-Montréal de 2006 et 2009, pour plus de 80 millions. Depuis janvier, les compagnies à numéros qui détiennent les édifices sont officiellement présidées par sa conjointe Sascha Romer, une Montréalaise de 29 ans. Selon nos sources, elle a pris en main la gestion des affaires courantes de l'entreprise Gestion 507, qui administre les immeubles.
Il a été impossible de joindre le couple, leur boîte vocale étant pleine. Michel Bensmihen refuse d'aider LesAffaires.com à les contacter.
Des résidents inquiets
Parmi les locataires aux étages supérieurs du 11 à 21, plusieurs sont préoccupés par ces incendies suspects et certains sont partis. Deux résidents ont contacté LesAffaires.com, mais tiennent à rester anonymes par crainte de représailles. «Est-ce une vengeance envers M. Marciano, un promoteur qui désire la bâtisse, un pyromane? Les locataires qui n'ont pas encore quitté sont très inquiets pour leur vie car il est probable que la personne qui a mis le feu va recommencer», écrit l'un d'eux dans un courriel.
Plusieurs commerçants occupent le rez-de-chaussée du 11 à 21, Notre-Dame Ouest, dont Moshé Simon. Tout son inventaire a été endomagé par la fumée. Mais il assure que la réaction de Gestion 507 a été impeccable après l'incendie. «Pour moi, Marciano, tous ses locataires sont comme ses enfants, dit-il. Pour le dernier chèque du loyer, la compagnie m'a dit qu'il n'y avait pas de problème, de prendre mon temps. Ils sont humains.»
Propriétaire de la boutique de chaussures Felix Brown du 13, Notre-Dame Ouest, Nathalie Labelle a assisté en direct à l'incendie qui a ravagé le sous-sol de son magasin, le 15 février à 10 heures du matin. «J'était devant le magasin; je voyais la fumée sortir par la porte, raconte-t-elle. Les pompiers sont entrés avec des scies mécaniques...» Ils ont ouvert un trou béant dans son plancher pour faire sortir la fumée et son établissement est toujours fermé. «J'ai une perte totale de 125 000 $. Ma marchandise était tout emboucanée; c'est une catastrophe.»
La commerçante assure néanmoins qu'elle a «eu un très bon rapport» avec le propriétaire.
Ce n'est cependant pas le cas des locataires du haut, qui habitent l'immeuble ou y ont installé leurs bureaux. Selon plusieurs d'entre eux, Gestion 507 n'a pas fait preuve du même empressement à réparer les dégâts dans leurs appartements. «J'ai deux portes qui ont été cassées dans ma propre résidence», dit David Ghavitian, un avocat ayant sa résidence et son bureau au 15, Notre-Dame Ouest, à l'étage. Les pompiers ont dû les défoncer en son absence pour s'assurer que le feu ne s'était pas propagé à son niveau. «Personne n'a encore communiqué avec moi pour me dire quand elles seront réparées.»
D'autres ajoutent que le gestionnaire a offert peu d'aide pour reloger ses locataires sinistrés. «Des mensonges», assure Michel Bensmihen.
Une longue suite d'ennuis
Ces nouveaux problèmes surviennent alors que Georges Marciano continue de se battre pour éviter la saisie de ses biens dans le cadre d'une faillite forcée aux États-Unis, ordonnée par la Californie. Une juge de cet État lui a ordonné de payer 260 millions de dollars US à sept anciens employés pour diffamation et troubles émotionnels. L'homme d'affaires les avait accusés de lui avoir volé 1,4 million. Il a alerté toutes les autorités américaines contre eux et les a harcelés, mais la police n'a trouvé aucune preuve de méfait. Georges Marciano refuse de se plier au jugement et les plaignants n'ont toujours rien reçu, même si sa fortune personnelle est estimée à au moins 150 millions.
En septembre dernier, le syndic PricewaterhouseCoopers a finalement fait saisir les biens que Georges Marciano avait transférés à Montréal après le jugement californien, en octobre 2009. Tableaux de grands maîtres, sculpture de Bottero, diamant de 16 millions de dollars, voitures de luxe... Même les immeubles ont fait l'objet d'une saisie. Mais les biens ne sont pas restés longtemps sous le contrôle de la justice, puisque la cour d'appel a annulé la saisie en décembre.