L'immobilier de prestige semble bénéficier d'un «effet Couillard». Dès l'arrivée au pouvoir du Parti libéral au printemps dernier, des courtiers ont constaté un revirement de situation dans ce créneau. D'ailleurs, plusieurs spécialistes s'attendent à voir le secteur dépasser l'immobilier résidentiel traditionnel en 2015. Tour d'horizon de l'ensemble du Québec.
Le plan d'austérité budgétaire du gouvernement Couillard n'effraie pas les riches, bien au contraire. Plutôt que de prendre la rue pour manifester contre les compressions, les personnes aisées se ruent sur les maisons à vendre. «L'année 2015 part en lion. Si la tendance se maintient, on va connaître une excellente année», constate Georges Bardagi, courtier immobilier montréalais Re/Max spécialisé dans la vente de propriétés de luxe.
Pour ce courtier, dont le terrain de jeu englobe Outremont, Westmount, Ville-Marie et Mont-Royal, la dépréciation du dollar canadien, qui procure un sentiment de confiance chez les gens d'affaires, l'absence d'élections provinciales à l'horizon et les taux d'intérêt toujours aussi favorables revigorent le marché de luxe, après deux années de vaches maigres. «Peut-être que les gens ont freiné leur désir d'acheter au cours des deux dernières années», avance Georges Bardagi.
Dominic St-Pierre, directeur principal, région du Québec, chez Royal LePage, n'hésite pas à parler d'un «effet Couillard» sur l'immobilier de prestige. «Il y a eu un revirement de situation dès l'élection du gouvernement libéral. Les ventes ont repris immédiatement de la vigueur», dit-il. Selon ses prédictions, le marché de luxe surperformera en 2015 par rapport au marché conventionnel qui, lui, tourne un peu plus lentement. «Il y a beaucoup de nouvelles encourageantes sur le plan économique», indique-t-il.
Selon la Fédération des chambres immobilières du Québec, les ventes de maisons unifamiliales de luxe (1 million de dollars et plus) ont grimpé de 16 % en 2014 par rapport à 2013, avec un total de 424 transactions, ce qui représente 2 % du total du marché des unifamiliales. En 2013, le marché de luxe avait encaissé une baisse significative des transactions de 8 %. Le nombre d'inscriptions, pendant ce temps, a augmenté de 8 % en 2014, une faible hausse par rapport à 2013, où il avait grimpé de 22 %.
La vigueur du marché montréalais n'a cependant rien de comparable avec celle des marchés de Toronto, Calgary et Vancouver. À preuve, le Fonds monétaire international situe le chef-lieu des Canucks comme étant la localité qui occupe le deuxième rang des villes les plus chères du monde, après Hong Kong. Quant à Toronto, le prix moyen d'une maison isolée a franchi, en février, le cap symbolique du 1 M$. À titre de comparaison, le prix moyen sur l'île de Montréal n'était que de 548 806 $ au quatrième trimestre de 2014.
Dans le condo de luxe (plus de 700 000 $), le marché se redynamise, les transactions ayant augmenté de 16 % en 2014 par rapport à 2013. Toutefois, on remarque une hausse de 21 % des propriétés à vendre par des courtiers, ce qui semble indiquer que, comme dans le marché des premiers acheteurs, celui de la copropriété de luxe connaît lui aussi une situation de surplus. Le délai de vente moyen est désormais de 180 jours, en hausse de 49 % par rapport à 2013.
Les acheteurs de condos haut de gamme, principalement des ex-propriétaires de maisons qui ne veulent plus s'occuper de l'entretien, reluquent presque exclusivement les étages supérieurs des immeubles. «Non seulement ils veulent plus de luminosité, des vues dégagées sur l'horizon et une réduction du bruit ambiant de la ville, mais ils désirent aussi être le king of the castle, affirme Patrice Groleau, copropriétaire de McGill Immobilier, une entreprise très active au centre-ville de Montréal.
Qui dit condo de luxe dit terrasse ensoleillée. Une très belle propriété au troisième étage sans terrasse, si luxueuse soit-elle, s'éternisera sur le marché de la revente. Une hypothèse qui pourrait expliquer le faible engouement pour les condos luxueux du Ritz, dont 60 % sont toujours invendus. «Les copropriétaires veulent reproduire leur vie d'avant, en s'occupant d'un petit terrain. Ils veulent aussi des appartements sur plusieurs étages, qui reproduisent l'ambiance d'une maison», explique Patrice Groleau.
Même si des propriétés de luxe émergent de plus en plus en banlieue, elles représentent encore un faible pourcentage des propriétés luxueuses dans la grande région de Montréal. «Beaucoup de jeunes familles, ayant opté pour la banlieue pour élever leurs enfants, veulent revenir sur l'île quand les enfants grandissent, afin de s'approcher des écoles privées et des universités. Cependant, ils tombent des nues lorsqu'ils constatent la valeur [des propriétés] à Montréal», dit Georges Bardagi. Pour l'équivalent d'un manoir en banlieue, on trouve une maison jumelée à rénover à Mont-Royal. Aïe !
Le marché de la région de Québec
Du côté de la Capitale-Nationale, on ne remarque aucun «effet Couillard». Les ventes de maisons unifamiliales de luxe, à plus de 700 000 $, sont au ralenti depuis le sommet de 2012, où l'on avait conclu 67 transactions. Par la suite, le nombre de transactions a chuté à 57 en 2013, puis à 53 en 2014. «Le marché n'est pas mort, loin de là, mais les acheteurs prennent davantage leur temps pour trouver la propriété à vendre à juste prix», indique Yvan Drouin, courtier immobilier Re/Max dans la région de Québec.
Les secteurs à la mode restent évidemment Sillery, Les Sources (Sainte-Foy), le Mesnil ainsi que Lac-Beauport. «C'est la plus belle banlieue de Québec. La proximité de la ville, d'une station de ski (Le Relais) et les vues sur le lac en font un secteur très convoité», dit Yvan Drouin. Les propriétés riveraines coûtent aisément plus de 1 M$. Quant au condo, le critère primordial est la vue sur le fleuve, qui domine toutes les autres considérations en matière de luxe. En zone de villégiature, la haute société se donne rendez-vous au lac Saint-Joseph, à 45 minutes de Québec, où les propriétés se vendent plusieurs millions de dollars. Son surnom : le lac des millionnaires.
Le marché de Mont-Tremblant
Plus près de Montréal, Mont-Tremblant semble prête pour un redécollage, après un atterrissage d'urgence provoqué par la dernière crise financière. «Avant 2008, les acheteurs des propriétés de luxe étaient presque exclusivement étrangers. Aujourd'hui, c'est tout le contraire, le marché est dominé par les résidents de Montréal et d'Ottawa-Gatineau, qui recherchent des valeurs sûres, comme des maisons sur le lac Tremblant. Quant au marché spéculatif, qui a connu de belles années avant la crise financière, il est bel et bien mort», constate Steve Lafave, directeur immobilier sénior chez Immobilier Playground, une division d'Intrawest.
Signe du retour du beau temps à Mont-Tremblant, les transactions de plus de 500 000 $ ont bondi de 75 % en 2014 par rapport à 2013. Les propriétés de luxe représentent désormais 20 % du marché total dans la région. Cependant, les vendeurs doivent afficher une patience hors du commun, car le délai de vente moyen s'établit à 385 jours. «Il y a encore beaucoup de vendeurs sur le marché qui tentent le coup de circuit», explique Steve Lafave. Elle est terminée l'époque où l'on achetait tout, à n'importe quel prix.
Si la baisse des cours du pétrole cause de l'émoi en Alberta, sa conséquence, la baisse du dollar canadien, suscite beaucoup d'espoir dans la région. Les Américains vont-ils revenir se la couler douce sur les pentes de Mont-Tremblant ? Il semble que oui. «On vient de connaître un très bon Washington Week, à la mi-février, l'équivalent de la relâche scolaire au Québec, avec une hausse de 4 % des réservations par rapport à 2014», dit Éric Trudel, directeur général de Tourisme Mont-Tremblant. Les skieurs américains redécouvrent Mont-Tremblant, mais ce retour ne se répercute pas encore sur l'immobilier. «La baisse du huard est trop récente pour remarquer un effet tangible», dit Steve Lafave.
Le marché des Cantons-de-l'Est
Dans les Cantons-de-l'Est, la crise de 2008 a frappé fort. Les propriétés luxueuses, qui se concentrent sur les rives du majestueux lac Memphrémagog, ont alors encaissé une forte baisse de prix, avant de se stabiliser. «Depuis, on ne constate pas de hausse de valeur», explique Albert Brandt, courtier immobilier Re/Max qui accapare la quasi-totalité du marché de luxe au lac Memphrémagog.
Depuis la crise, les gens en quête d'une résidence riveraine, qui sont essentiellement issus du Québec inc., changent leurs critères. «Les acheteurs jettent leur dévolu sur des propriétés plus modestes, qui correspondent davantage à leur mode de vie plus actif», dit-il. Quant aux résidences ultraluxueuses, à plus de 5 M$, elles trouvent difficilement preneurs. «Les vendeurs récupèrent difficilement leur investissement», dit-il. Autre tendance : les villas sont de moins en moins occupées en hiver. «Ça redevient des résidences d'été. L'hiver, leurs propriétaires migrent vers le Sud», dit-il. Avec le dernier hiver que l'on a connu, on peut aisément les comprendre !
La maison contemporaine déclasse la maison manoir
Alors qu'il y a dix ans à peine, les Québécois fortunés craquaient comme jamais pour les maisons manoirs, avec tourelles, revêtement de fausses pierres et surabondance de boiseries, aujourd'hui, ce sont les maisons à l'architecture contemporaine qui attirent les regards. «Les châteaux, on n'en construit plus depuis deux ou trois ans», constate Yvan Drouin, courtier immobilier dans la région de la Vieille-Capitale et ex-entrepreneur en construction.
Ce qui est à la vogue dans les constructions neuves, ce sont les maisons ayant un toit plat, une fenestration généreuse et le minimum d'éléments tape-à-l'oeil, et étant stratégiquement orientée pour maximiser la lumière naturelle. Bye-bye l'escalier somptueux trônant au coeur de la maison ! «Fini la folie des grandeurs. On construit des maisons de plus faibles gabarits aux lignes beaucoup plus épurées», constate Mario Adornetto, concepteur de maisons haut de gamme. Raynald Roy, pdg de Plans Design, une firme qui dessine des plans de maisons pour tous les budgets, remarque qu'on est dans une période de transition sur le plan architectural. «Les gens ne veulent plus de manoir, mais le prochain style à la mode reste à définir», dit-il.
Dans le marché de la revente, on constate aussi une baisse d'intérêt pour les manoirs. «Il n'y a pas d'augmentation de prix dans ce marché, mais les manoirs se vendent quand même bien. Il y aura toujours des acheteurs qui veulent se gâter en acquérant ce type de propriétés», estime Claude Charron, courtier immobilier chez Re/Max.
Sur l'île de Montréal, les fortunés tombent aussi sous le charme du contemporain. «Que ce soit à Westmount ou à Outremont, les acheteurs rénovent les résidences en préservant les façades, mais en transformant l'intérieur et la cour arrière en maison du 21e siècle», remarque Georges Bardagi. Pour cette raison, ce sont les maisons à rénover qui s'envolent le plus vite. «On achète un projet. On veut une maison selon la dernière tendance. Les jeunes acheteurs démolissent des cuisines récentes pour en avoir une neuve. C'est fou !» s'exclame M. Bardagi.
Même en zone de villégiature, comme à Mont-Tremblant et au lac Memphrémagog, on souhaite un style épuré, a constaté Les Affaires. «Les villégiateurs veulent des villas aux lignes contemporaines, avec des matériaux bruts», dit Steve Lafave, d'Immobilier Playground, à Mont-Tremblant. «Les maisons de style banlieue, ça ne marche plus du tout», conclut Albert Brandt, courtier Re/Max dans les Cantons-de-l'Est.