Pierre Karl Péladeau n'a jamais eu froid aux yeux. Tour à tour marxiste, apolitique et indépendantiste, il a affiché différentes couleurs au fil des ans, mais n'a jamais vraiment changé. Il a toujours été frondeur, n'a jamais eu peur de se faire des ennemis et a constamment fait preuve d'une détermination inflexible dans tout ce qu'il a entrepris. Au moment où l'ancien pdg de Québecor tente de se faire élire sous la bannière du Parti québécois, Les Affaires se penche sur la carrière de l'homme d'affaires, qui est riche en enseignements quant à sa manière d'exercer le pouvoir. Portrait d'un homme qui, tout au long de sa vie, s'est comporté en leader sans attendre d'en avoir la légitimité.
C'était en 2005, au comité de direction de Québecor. La discussion porte sur la stratégie d'Archambault, lorsqu'on se met à parler de Marie Laberge. L'un des cadres, visiblement lassé, fait valoir que les livres de Marie Laberge ne sont pas une priorité. Pierre Karl Péladeau, jusque-là silencieux, se redresse, puis éclate : «Es-tu malade ? Qu'est-ce que tu viens de dire là ? Est-ce que tu sais au moins de quoi tu parles ? Marie Laberge, c'est une Québécoise qui parle du Québec dans ses livres».
Les propos de Pierre Karl, rapportés par Sylvain Chamberland, alors vice-président au développement des affaires, ont marqué ce dernier. C'était la première fois que PKP affichait ses couleurs en sa présence : «C'est comme si c'était allé jouer dans ses tripes les plus profondes. Il venait d'afficher une conviction. C'était une sortie au nom de la culture québécoise.»
À l'époque, les affiliations politiques de Pierre Karl Péladeau étaient difficiles à cerner. En fait, un observateur extérieur aurait pu l'identifier comme un conservateur. Brian Mulroney est alors président du conseil de Quebecor World, tandis que Luc Lavoie, un ancien directeur de cabinet conservateur, est vice-président exécutif de Québecor. On pourrait croire que Pierre Karl Péladeau faisait alors partie de l'establishment canadien et on aurait raison. Or, même à la tête d'un empire médiatique, Pierre Karl Péladeau, reconnu pour ses emportements, n'a jamais cessé d'être révolté. Quelque 25 ans plus tôt, c'était contre son père qu'il l'était.
Le marxiste
Durant la fête d'anniversaire de ses 18 ans, organisée au cossu Club St-Denis, Pierre Karl avait traité son père et ses invités de «bourgeois», puis s'était éclipsé. C'est à cette époque que Pierre Karl, le troisième des quatre enfants nés de la première union de Pierre Péladeau, flirte ouvertement avec l'idéologie marxiste.
Inscrit en philosophie à l'UQAM, Pierre Karl refuse par la suite l'aide financière de son père. Il subvient à ses besoins en travaillant comme plongeur et partage un appartement miteux avec Charles Landry, le fils de Roger D. Landry, alors éditeur de La Presse. «À l'époque, il ne touchait pas un sou de son père ; il s'habillait au Village des Valeurs», se rappelle François Latraverse, l'un de ses professeurs de philo à l'UQAM.
C'est la philosophie politique qui attire avant tout le jeune Pierre Karl : «C'était la question du pouvoir chez Foucault qui l'intéressait», relate Josiane Boulad-Ayoub, professeure de philosophie à l'UQAM. Dans Surveiller et punir, le philosophe Michel Foucault aborde la question du pouvoir en s'intéressant au système carcéral moderne. Selon lui, le simple fait d'observer les prisonniers permet d'exercer un contrôle sur eux, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser la force physique.
Même à cette époque, Pierre Karl Péladeau prend les commandes de son environnement. Siégeant à un comité composé de professeurs et d'étudiants, Pierre Karl ne se gêne pas pour exprimer son mécontentent face à une professeure qu'il déteste, rapporte Josiane Boulad-Ayoub : «Il en avait contre une pauvre professeure qui faisait surtout dans la psychanalyse. Il passait son temps à me dire : "Mieux vaut prévenir que guérir !" Il voulait que je prenne des mesures contre elle.» Plus tard dans sa carrière, PKP garderait ce leitmotiv en matière de relations de travail.
Si Pierre Karl Péladeau n'a jamais cessé de se passionner pour la philosophie, il semble que son épisode marxiste prend fin lorsqu'il se réconcilie avec son père, durant ses études de philo à Paris. Il quitte alors la philosophie pour faire son droit, comme son père l'avait fait avant lui. Il commence à Paris 2, puis poursuit à l'Université de Montréal, qu'il fréquente tout en travaillant dans l'entreprise paternelle. En 1985, l'étudiant en droit commence ainsi sa carrière chez Québecor en tant que conseiller au service des acquisitions.
L'enfant prodigue
Chez Québecor, Pierre Karl Péladeau se comporte davantage comme un propriétaire que comme une jeune recrue. En effet, il n'hésite pas à appeler des directeurs d'usine pour leur poser des questions sur leurs dépenses ou leur rentabilité, sans égard à la hiérarchie de l'entreprise : «Il arrivait dans des services, sans avoir l'autorité ou le rôle formel, puis il brassait de la marde», évoque Sylvain Tétreault, directeur des ressources humaines chez Imprimeries Quebecor au début des années 1990.
Malgré les frictions qu'il cause, il se démarque grâce à ses talents de redoutable négociateur. Son premier fait d'armes est l'acquisition de Maxwell Graphics, une imprimerie américaine sur laquelle Québecor met la main en 1989 à bon prix. Son propriétaire, le baron de la presse britannique Robert Maxwell, croule alors sous les dettes et n'a d'autre choix que de vendre. Québecor débourse alors 510 millions de dollars, dont 115 M$ proviennent de la Caisse de dépôt et placement du Québec, pour mettre la main sur l'imprimerie.
En matière de relations de travail, Pierre Karl Péladeau découvre très tôt le lock-out afin d'inverser le rapport de force des négociations. En 1993, c'est lui qui orchestre le lock-out visant les pressiers du Journal de Montréal, en mettant sur pied une usine de fortune à Cornwall. Durant près de cinq mois, le quotidien est ainsi imprimé en Ontario, de manière à contourner les dispositions anti-briseurs de grève prévues au Code du travail du Québec : «Il s'est fait la main à gérer des relations de travail difficiles, évoque Sylvain Tétreault. C'est un gars courageux, Pierre Karl, car ça prenait du courage pour affronter ces dirigeants syndicaux.»
Même s'il prend du galon, les frictions entre Pierre Karl et son père sont continuelles, et le conflit de travail irrite ce dernier, qui a toujours fui les conflits comme la peste. Pierre Péladeau était tout sauf un syndicaliste, mais il n'avait pas oublié que, sans l'interminable lock-out à La Presse, jamais il n'aurait pu lancer le Journal de Montréal en 1964. Le père met ainsi fin au conflit avec les pressiers. En même temps, il envoie Pierre Karl à Paris pour poursuivre les discussions entamées par son frère aîné, Érik, avec divers imprimeurs. Pierre Karl est ainsi nommé président d'Imprimeries Quebecor Europe, une coquille vide à l'époque.
L'Européen
Isabelle Hervet, la fille d'un important banquier français qu'il a rencontrée à Montréal, l'accompagne à Paris. Pierre Karl l'épousera en 1994, entre deux acquisitions. Pierre Karl ne ralentit pas pour autant la cadence. «C'est un bourreau de travail, relate Isabelle Hervet. Quand il ne travaille pas sur ses affaires, il lit énormément, il se tient au courant de tout.»
Pierre Karl Péladeau négocie coup sur coup l'acquisition des géants français Groupe Jean Didier et Groupe Jacques Lopès, deux imprimeurs alors incapables de faire face à leurs obligations financières. En Angleterre, il fait l'acquisition de HunterPrint en 1995. Afin de connaître sous toutes ses coutures sa nouvelle prise, Pierre Karl se fait passer pour un employé à temps partiel : «Il installait le papier sur les presses, nettoyait le blanchet et posait des questions aux ouvriers sur ce qu'ils pensaient de l'entreprise», relate David J. Blair, un cadre que Pierre Péladeau avait lui-même embauché.
En décembre 1997, lorsqu'il apprend que son père est hospitalisé, Pierre Karl Péladeau rentre au bercail sans attendre. Quelques semaines plus tard, le 24 décembre, Péladeau père décède. La course à la succession est dès lors lancée et, bien que Pierre Karl parte favori, son frère aîné Érik n'est pas à écarter. Grâce au testament de leur père, ce sont eux seuls qui contrôlent Québecor par l'intermédiaire des actions à droit de vote multiple que Pierre Péladeau leur a léguées. Le testament contraint toutefois les frères à s'entendre, puisqu'il prévoit qu'ils doivent exercer leurs droits de vote conjointement.
Jean Neveu, qui succède à Pierre Péladeau à la tête de Québecor, aurait préféré attendre pour passer le flambeau. Impatient, Pierre Karl rallie son frère à sa cause et devient pdg de la société dès 1999. «Érik a toujours été un fervent défenseur de son frère ; à partir du moment où la décision a été prise, il a souvent répété que Pierre Karl, c'était son homme», évoque Alexandre Taillefer, qui a travaillé de près avec les deux frères chez Québecor.
Pierre Karl partage, du moins légalement, le contrôle de Québecor avec son frère Érik jusqu'à ce qu'il rachète les actions de ce dernier en 2009. Comme les modalités de cette transaction n'ont pas été rendues publiques, il est difficile de déterminer quelle proportion de la fortune des deux frères, que Canadian Business évaluait à 938 M$ en 2013, appartient à Pierre Karl Péladeau.
Le «transnational»
À l'âge de 37 ans, lorsque Pierre Karl Péladeau prend le contrôle de l'entreprise bâtie par son père, cette dernière est une multinationale, dont 69 % (soit 4,8 milliards) du revenu annuel de 7 G$ provient du secteur de l'imprimerie. De plus, Pierre Karl Péladeau dit à qui veut l'entendre qu'il n'est pas un patron de presse, mais un industriel. Ce qui ne l'a pas empêché de faire l'acquisition de Sun Media en 1998, une transaction qu'il pilote avant même d'avoir accédé au poste de pdg. Le jour de sa conclusion, Pierre Karl Péladeau déclare : «C'est un grand jour pour le Canada».
Dans la foulée de l'acquisition, Pierre Karl Péladeau multiplie les rencontres au Canada anglais afin de bien cerner la personnalité des journaux Sun. Il rend ainsi visite à Barbara Amiel, ancienne chroniqueuse au Toronto Sun... et épouse du magnat de la presse Conrad Black. «Une fois installé dans notre maison, il a demandé à ma femme si j'étais là, relate l'ancien magnat, en entrevue au journal Les Affaires. C'était le cas, et nous avons parlé d'économie et de politique. [...] Il m'est apparu plus ouvert aux options politiques que son père.»
En 1999, Pierre Karl Péladeau confie à L'actualité qu'il s'organise pour ne jamais être présent dans un pays lors d'un scrutin. Il soutient alors s'abstenir de voter par souci d'efficacité. Ce n'est pas une façade, selon Isabelle Hervet, son épouse de 1994 à 2000. En effet, cette dernière ne percevait pas chez son mari des convictions souverainistes : «Je l'ai appris récemment [qu'il était souverainiste]. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'à l'époque, il n'était pas politisé».
En faisant l'acquisition du géant américain World Color Press en 1999, Imprimeries Quebecor, rebaptisée Quebecor Wold, devient le plus important imprimeur du monde. La division des imprimeries est alors le joyau de l'empire Péladeau. En 2002, lorsque des dirigeants de Quebecor World proposent d'acheter l'entreprise pour cinq milliards de dollars, Pierre Karl Péladeau est hors de lui. Les cadres ayant pris part dans l'offre d'achat, préparée avec le soutien de la société d'investissement Kohlberg Kravis Roberts, sont prestement chassés. Compte tenu de la faillite de Quebecor World, survenue six ans plus tard, c'est probablement la pire décision d'affaires prise par PKP.
Quebecor World génère alors des économies d'échelle en exerçant un contrôle des coûts serrés dans chacune de ses usines. Dans la famille Québecor, personne n'échappe au regard inquisiteur de Pierre Karl, pas même Charles Cavell, alors pdg de Quebecor World. Son fils Tyler Cavell, alors un employé de la société, témoigne : «J'étais dans le bureau de mon père lorsque Pierre Karl a jeté un dossier rempli de factures de taxi sur le bureau», évoque-t-il.
Lorsque Pierre Karl Péladeau décide de prendre personnellement les rênes de Quebecor World, en 2004, il se rend compte que ses presses sont vieillissantes et qu'elles accusent un retard technologique par rapport à celles de ses concurrents. De 2004 à 2006, il investit massivement dans l'achat de nouvelles presses, tout en se faisant insistant auprès de ses cadres pour qu'ils se départissent des employés dont ils peuvent se passer : «Il était toujours en train de demander aux directeurs d'usine si leur nombre d'employés était optimal ; la répétition augmentait la pression», explique David J. Blair, un cadre chez Quebecor World.
Selon ce dernier, l'investissement dans de nouvelles presses était tardif, mais absolument nécessaire. La stratégie aurait probablement même pu sauver l'entreprise dans d'autres circonstances. «La faillite de Quebecor World est attribuable à ce qui se passait alors dans le milieu bancaire et dans l'industrie de l'imprimerie commerciale, estime Shelly Lombard qui, en 2008, suivait la société en tant qu'analyste pour la firme new-yorkaise Gimme Credit. À l'époque, les banques étaient terrifiées.» Faute d'être en mesure de refinancer sa dette, Quebecor World a été contrainte de déclarer faillite en 2008.
Le Québécois
Après avoir quitté le poste de pdg de Quebecor World, Pierre Karl Péladeau semble recentrer son intérêt sur le Québec. Avec sa compagne Julie Snyder, il fréquente assidûment le milieu culturel. En compagnie de l'animatrice et productrice, avec qui il partage sa vie jusqu'à leur rupture annoncée en janvier dernier, il soupe aussi à l'occasion chez le péquiste Bernard Landry ou encore chez l'indépendantiste de la première heure, Yves Michaud. «Quand Parizeau était là, et que Pierre Karl venait manger à la maison, les trois quarts de la conversation, c'était sur la politique», évoque Yves Michaud, qui n'a jamais douté des convictions indépendantistes de l'homme d'affaires.
En 2007, lorsque le felquiste Jacques Lanctôt se retrouve sans le sou après avoir vendu sa maison d'édition et perdu le fruit de la vente en l'investissant dans un café, c'est vers Pierre Karl Péladeau qu'il se tourne : «Je n'avais plus rien, j'étais vraiment dans le fond du baril et il m'a donné un job», évoque Jacques Lanctôt qui, en 1970, faisait partie de la cellule du Front de libération du Québec ayant kidnappé le diplomate britannique James Cross. Lanctôt considère qu'en l'aidant, PKP marchait dans les traces de son père, qui avait embauché plusieurs anciens felquistes au Journal de Montréal.
L'acquisition de Vidéotron en 2000 semble coïncider avec le regain d'intérêt de PKP pour les milieux politiques et culturels québécois. C'est d'ailleurs à cette époque que le pdg commence à fréquenter Julie Snyder. Même s'il n'avait jamais approché Vidéotron, Pierre Karl Péladeau avait déjà évoqué l'importance stratégique de l'entreprise, soutient Alexandre Taillefer, alors vice-président de Nurun, une filiale de Québecor. Or, il n'a pas mis de temps à réagir lorsque Rogers a dévoilé être parvenue à une entente pour acquérir Vidéotron : «Quand l'acquisition a été annoncée, je me souviens d'être allé voir Pierre Karl, et de lui avoir dit : "On est en train de se faire avoir"», relate Alexandre Taillefer.
Le pdg de Québecor se serait dès lors efforcé de trouver un moyen de ravir Videotron à la barbe de Rogers. Selon Alexandre Taillefer, avant que la Caisse de dépôt ne dévoile son jeu, Pierre Karl aurait rencontré plusieurs partenaires internationaux susceptibles de financer l'acquisition, mais sans succès. C'est finalement grâce à l'investissement de 3,2 G$ de la Caisse de dépôt que Québecor met la main sur Vidéotron en 2000 au terme d'une transaction de 5,4 G$.
Pierre Karl Péladeau était, une fois de plus, redevable à la Caisse. Cette fois, par contre, la décision de la Caisse revêt une dimension politique : «Un peuple responsable doit contrôler une partie acceptable de son économie, surtout dans le domaine de la culture. Déjà, avec la présence de Radio-Canada, c'était assez difficile à supporter, alors on n'était pas pour se taper l'empire de M. Chagnon contrôlé par Rogers», explique Bernard Landry, alors ministre des Finances.
À long terme, l'acquisition de Vidéotron se révélera être une des meilleures décisions d'affaires prises par Pierre Karl Péladeau. En effet, contrairement à la Caisse, à qui la transaction n'a offert qu'un rendement médiocre, Québecor a fait une très bonne affaire. N'eût été la téléphonie, la croissance de Vidéotron n'aurait toutefois pas été suffisante pour justifier son prix d'acquisition. Or, au lendemain de la transaction, Québecor Média jongle avec l'idée de mettre en vente sa division Vidéotron Télécom, qui offre alors des services de téléphonie aux entreprises. «Le plan d'affaires qu'on avait bâti pour Vidéotron n'accordait pas une grande valeur à la téléphonie, car la technologie n'était pas au point à l'époque, reconnaît Alexandre Taillefer. À ce moment-là, on prévoyait augmenter les revenus avec le t-commerce [le commerce passant par la télévision] et le commerce électronique.»
Le baron des médias
Si Pierre Karl Péladeau n'avait pas repéré d'où proviendrait la croissance de Vidéotron avant d'en faire l'acquisition, sa vision de la convergence était quant à elle avant-gardiste. En effet, difficile d'arguer que la convergence, bien que controversée, n'a pas enrichi les actionnaires de Québecor Média. «Quand Pierre Karl a commencé à faire de la convergence, tout le monde le critiquait, évoque Philippe Lapointe, un ancien vice-président du Groupe TVA. Il avait sa vision, puis il l'a appliquée. Aujourd'hui, tous les groupes médiatiques en font.»
Lancée en 2003, l'émission Star Académie, derrière laquelle toute la machine Québecor s'est alignée, incarne à merveille la vision de la convergence de Pierre Karl Péladeau. À ses débuts, l'émission, dont les cotes d'écoute ont souvent frôlé les trois millions de téléspectateurs, faisait la une du Journal de Montréal et des magazines artistiques du groupe.
Pour parvenir à ses fins, Pierre Karl Péladeau pousse sans arrêt ses cadres. Lorsque Philippe Lapointe reçoit des cotes d'écoute qui, selon lui, sont les meilleures de l'histoire de TVA, Pierre Karl Péladeau n'est pas satisfait : «Sur les 20 premières positions, on en a 19, relate l'ancien responsable de la programmation de la chaîne télé. Pierre Karl m'appelle, puis me demande : "Pourquoi t'es content ? Qu'est-ce tu fais pour Tout le monde en parle ?" [émission diffusée à la même heure à Radio-Canada]»
Quand ses cadres n'adhèrent pas à sa vision, Pierre Karl n'hésite pas à les renvoyer. Si ce sont ses employés syndiqués qui lui résistent, il les met en lock-out. Au-delà des enjeux salariaux, c'est aussi pour avoir plus de latitude afin de faire circuler les contenus entre ses différents médias que Pierre Karl Péladeau a mis ses employés du Journal de Montréal et du Journal de Québec en lock-out. En tout, selon la FTQ, Pierre Karl Péladeau aurait décrété pas moins de 14 lock-outs.
«Pierre Karl, c'est le gars qui t'écrit un premier courriel à 4 h 30, puis un autre à 5 h, puis un autre 6 h, explique Philippe Lapointe. Lui, il n'arrête pas. [...] C'est un gars qui pousse, sur sa machine et sur son monde. Est-ce que c'est confortable ? Non. Mais en même temps, c'est exaltant.»
Même les gouvernements ne semblent pas résister à la pression exercée par l'homme d'affaires. D'Ottawa, Pierre Karl Péladeau a obtenu que sa chaîne d'information conservatrice, Sun News Network, soit offerte dans les forfaits de base de tous les câblodistributeurs canadiens en 2013. L'entreprise a également bénéficié de règles favorisant l'arrivée d'un quatrième acteur national, lors de la vente aux enchères de spectre sans fil, dont les résultats ont été dévoilés en février dernier. Québecor Média a alors mis la main sur des spectres à prix avantageux, grâce auxquels l'entreprise pourrait offrir ses services de téléphonie cellulaire dans d'autres provinces.
De Québec, PKP a obtenu la construction d'un amphithéâtre à Québec aux frais du contribuable, qui sera exploité par Québecor Média. Construite pour accueillir une équipe de hockey, dont la venue à Québec est incertaine, il n'y a toutefois pas de doute que la salle permettra à Québecor de présenter les spectacles des artistes qu'elle produit, publicise et commercialise. Bref, il s'agit du morceau manquant de la convergence mise en place par Pierre Karl Péladeau. «Quand il veut atteindre un objectif, Pierre Karl n'arrête jamais, note, à titre confidentiel, un ancien cadre de Québecor. S'il s'intéresse à un dossier sur lequel tu as le malheur de travailler, aussi petit soit-il, tu ne t'en sors pas. Il a beau être à l'autre bout du monde, il va continuer à t'envoyer des courriels, il ne lâchera pas.»
Ce qui intéresse désormais PKP, il l'a dit en annonçant sa candidature dans la circonscriptionde Saint-Jérôme, c'est de faire l'indépendance du Québec. L'objectif n'est pas banal, mais l'homme non plus. Jean-Marc Léger, qui l'a côtoyé au conseil d'administration du Goupe TVA, croit qu'il a ce qu'il faut pour faire de la politique : «C'est très différent, le monde des affaires où tu contrôles à peu près toutes les variables, par rapport au monde politique, où la notion de pouvoir est beaucoup plus diluée. Par contre, Pierre Karl, on l'a vu dans ses interventions, est prêt psychologiquement. Il a le goût de passer à autre chose et il a intégré cette nouvelle réalité depuis qu'il a laissé les rênes de Québecor.»
S'il est légitime d'ajouter des bémols au succès de Pierre Karl Péladeau en affaires, on doit reconnaître que l'homme a une volonté de fer et qu'il obtient généralement ce qu'il veut. Dans l'arène politique, cependant, il ne dispose que d'un droit de vote.