Les hommes qui se laissent dicter la marche à suivre par leur conjointe sans broncher sont rares. Antoine L’Estage, qui s’illustre sur les pistes de rallye avec sa compagne en est un.
Antoine L’Estage roule à plein régime. L’homme d’affaires de 37 ans est propiétaire de cinq succursales Énergie Cardio (Montréal, Chambly, Saint-Jean-sur-Richelieu et Sherbrooke) avec deux associés et mène en parallèle une fructueuse carrière de pilote de rallye. Il collectionne les victoires partout en Amérique du Nord depuis 2006. En fait, il gagne depuis que Nathalie Richard, sa conjointe, est devenue son copilote.
« Les rallyes sont des courses contre la montre. Je suis en concurrence avec des pilotes professionnels qui se consacrent à temps plein à ce sport », souligne le propriétaire de gym, qui profite de ses visites quotidiennes à ses succursales pour s’entraîner. Il maintient sa condition physique grâce au vélo de montagne, au hockey et à la course à pied. Être en forme est essentiel pour réussir en course automobile et pour résister au stress et à la force G lors des courses.
Week-end de course
Une fois par mois, le temps d’un long week-end – du mercredi au dimanche – Antoine L’Estage et Nathalie Richard, adjointe dans un bureau de planification financière, prennent congé et revêtent leur combinaison de pilotes automobiles.
Que ce soit au Michigan ou en Gaspésie, en Ontario ou en Californie, les rallyes ont lieu sur des routes fermées au public. Une succession d’étapes chronométrées se déroulent sur une série de parcours étroits, principalement en forêt et sur des chemins hors circuits, couverts de terre battue, de gravier, et parfois de neige et de glace. Le calendrier s’étend de janvier à novembre. Et quelles que soient les conditions atmosphériques, le compteur de leur bolide turbo à quatre roues motrices se maintient au-dessus de 200 km/h.
Le rallye est une discipline vénérée des experts du sport automobile. Pour ces derniers, un championnat de rallye couronne les meilleurs pilotes automobiles, toutes catégories confondues. En comparaison, une course Formule Un est un tour de manège. Les déboires au Championnat du monde des rallyes (WRC) de l’ancien champion de F1, Kimi Räikkönen, leur donne raison. Le Finlandais a terminé plus souvent sur le toit… qu’au fil d’arrivée.
Antoine L’Estage a très peu de capotages à son actif. L’homme d’affaires a toujours préféré une conduite rapide mais soignée au style kamikaze. « Je n’ai rien du pilote flamboyant qui cumule les dérapages spectaculaires, dit-il. Piloter en rallye, c’est un peu comme piloter en affaires. Il vaut mieux calculer, savoir bien diriger ses actions et limiter les risques pour réussir. Le plus important, c’est de s’entourer de partenaires de confiance », soutient le pilote, en évoquant le rôle déterminant dans sa conjointe sans ses succès sur les pistes.Pour la petite histoire, Antoine et Nathalie se sont rencontrés au cours d’un rallye, en 2004. Nathalie était alors le copilote de son frère, Patrick Richard, l’adversaire principal d’Antoine L’Estage au pays. Quand son frère s’est retiré du circuit pendant un an, en 2006, Nathalie a proposé ses services à Antoine. C’est ainsi que le duo a commencé à tout rafler sur son passage.
Pendant les courses, Antoine L’Estage et Nathalie Richard n’ont pas le temps de se faire les yeux doux. C’est d’ailleurs à ce moment-là que leur lien de confiance est le plus fort. Assise dans la voiture, la tête penchée sur son cahier de note, Nathalie fait littéralement fonction de GPS. Dès que la voiture démarre, elle lit à haute voix, une à une, les particularités de l’étape en cours. Distance à franchir entre les virages, degré et longueur des courbes, montées et descentes à venir, tout doit être lu à la seconde précise à laquelle les obstacles se présentent pour mieux guider Antoine. « Je dois faire en sorte que ses oreilles deviennent carrément ses yeux », dit-elle, précisant que la lecture s’effectue dans le bruit du moteur et le crissement des pneus d’une voiture qui roule à tombeau ouvert. Vive la concentration.
Cette affinité se traduit par l’obtention des temps les plus rapides sur la ligne d’arrivée. Au cours de la dernière saison, le couple a remporté les titres canadiens, américains et nord-américains. « Si nous gagnons l’épreuve de Bancroft, en Ontario, à la fin du mois de novembre, nous aurons empoché les trois titres de championnat en 2010. Une année de rêve », dit le coureur automobile en exhibant la médaille de bronze qu’ils ont également gagnée, cet été, aux X Games de Los Angeles, les Jeux olympiques de leur discipline.
Selon Philippe Lagüe, chroniqueur automobile au Devoir et coauteur de l’Annuel de l’Automobile, les exploits d’Antoine L’Estage sont exceptionnels. « Compte tenu de son emploi à temps plein et de ses moyens limités, les succès de ce pilote montrent qu’il détient un talent naturel au volant », dit le spécialiste. Son équipe, qui comprend trois mécaniciens responsables du transport et de l’entretien de son bolide, compte quatre fois moins de personnel et de revenus en commandites que celles de ses concurrents.
Le couple a souvent envisagé la possibilité de quitter le travail pour se consacrer exclusivement au rallye pendant que le succès passe. « Mais cela demanderait plus de temps en recherche de commandites. Et la gloire en rallye automobile est éphémère. Il y a toujours de jeunes loups qui veulent votre place. Pour moi, le rallye reste un passe-temps pour lequel il me reste encore quelques bonnes années », dit Antoine L’Estage.Pourquoi changer une formule qui fonctionne bien ? Son équipe modeste fait déjà la barbe à ses adversaires… À moins qu’Antoine L’Estage et Nathalie Richard ne se fassent offrir un volant au Championnat de rallye du monde, la série de rallye la plus prestigieuse, qui compte une douzaine d’épreuves dans plusieurs pays, au même titre que la F1. Ils rentrent justement d’Espagne, où ils ont assisté, à titre d’invités VIP, au rallye de Catalogne, une étape du championnat du monde. Il faut toujours rêver.
La popularité du rallye
En raison de ses parcours tout-terrain, le rallye est la discipline qui se rapproche le plus du contexte québécois. « Plus que la F1 et que les courses Nascar » soutient Philippe Lagüe, chroniqueur automobile au quotidien Le Devoir. Il suffirait qu’un pilote de la trempe d’Antoine L’Estage brille sur le podium du Championnat du monde des rallyes pour que la discipline gagne en popularité. Le Québec présente un calendrier annuel de sept rallyes. Trois d’entre eux, le Perce-Neige de Maniwaki (février), Baie-des-Chaleurs (juillet) et le Défi de Sainte-Agathe-des-Monts (septembre) comptent pour le championnat canadien.
L’origine du rallye
Le tout premier rallye automobile remonterait à l’hiver 1911. Dans un but promotionnel, le Casino de Monte-Carlo, à Monaco, avait invité les concurrents à partir de leur propre ville pour se rendre dans la capitale européenne du jeu. Il s’agissait d’un rassemblement de jet-setters, et le jury accordait alors plus d’importance à l’élégance de l’équipage qu’au chrono. Ce n’est que pendant les années 1960 que la vitesse est devenu le facteur déterminant de la victoire du rallye moderne.