ANALYSE - Peu importe le résultat de l'élection ce dimanche 25 janvier, la Grèce se prépare à vivre des moments difficiles, qui pourraient encore une fois perturber l'économie de la zone euro déjà mal en point. Une nouvelle tragédie grecque en perspective.
Dans une récente analyse de la Financière Banque Nationale, Angelo Katsoras, premier associé, et Pierre Fournier, analyste en géopolitique, expliquent pourquoi la Grèce fonce selon eux dans un nouveau mur, une crise qui pourrait même exclure à terme le pays de la zone euro.
«Nous pensons que, quel que soit le résultat de l’élection, il est improbable que la Grèce puisse rester membre de la zone euro et y prospérer sans un important allègement de sa dette», affirment-ils.
«Nous croyons aussi que, même si la zone est à certains égards mieux outillée qu’il y a quelques années pour résister à une éventuelle sortie de la Grèce, elle est sans doute plus vulnérable à cette éventualité qu’auparavant», ajoutent les deux analystes.
L'élection de dimanche - qui plonge encore une fois la zone euro dans la tourmente - fait suite à l'échec du parlement grec d'élire un nouveau président de la République.
Jusqu'aux élections, la Grèce était dirigée par un gouvernement de coalition formé du parti Nouvelle démocratie (centre droit, le parti du premier ministre conservateur sortant Antonis Samaras) et du Pasok (centre gauche).
Aux yeux de nombreux Grecs, ces deux partis (qui détiennent alternativement le pouvoir depuis 40 ans) sont responsables de la dépression économique qui afflige ce pays de 10 millions d'habitants depuis 5 ans - malgré la faible reprise en 2014, l'économie grecque demeure 30% plus petite qu'il y a six ans.
L'extrême gauche au pouvoir
En 2009, les appuis combinés aux deux partis dépassaient les 70%; aujourd'hui ils ont fondu à environ 30%. Et si la tendance se maintient, c'est le parti d'extrême gauche Syriza, dirigé par Alexis Tsipras (voir la photo), qui devrait remporter l'élection, prédisent les sondeurs.
Quatre sondages publiés le 22 janvier donnaient la victoire à Syriza, et ce, avec 4,8 à 6,2 points de pourcentage d'avance sur la formation du premier ministre.
Cela dit, peu importe le gagnant, les résultats serrés qui s'annoncent montrent que l'élection «donnera vraisemblablement lieu à la formation d'un nouveau gouvernement de coalition instable», selon les deux analystes de la FBN.
Syriza dit ne pas souhaiter que la Grèce quitte l'euro. Toutefois, sa volonté de mettre fin aux politiques d'austérité - imposées par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international - provoquera une crise avec l'Union européenne, selon Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
«Si le nouveau gouvernement grec devait choisir de renverser les mesures d’austérité ou de décréter unilatéralement un défaut sur la dette (voire les deux), l’UE et la Banque centrale européenne (BCE) pourraient mettre fin à diverses formes d’aide actuellement offertes.»
Le cas échéant, cela provoquerait une ruée sur les banques et conduirait à l'imposition d'un contrôle sur les capitaux.
Cela dit, une sortie de la Grèce de la zone euro n'effraie plus comme durant la crise de la dette souveraine, qui a connu son apogée en 2011-2012.
Les deux analystes de la FBN soulignent que l'opinion prédominante, parmi les dirigeants de nombreux pays européens, est que la zone euro est mieux outillée pour résister au départ de la Grèce aujourd'hui que lorsque cette éventualité a été a évoquée la première fois en mai 2012.
La récente sortie de Michael Fuchs, vice-président du groupe parlementaire de l'Union chrétienne-démocrate, le parti de la chancelière allemande Angela Merkel, montre bien cet état d'esprit.
«L’époque où nous étions forcés de sauver la Grèce est révolue. Il n’y a plus de potentiel de chantage. La Grèce ne représente pas un risque systémique pour l’euro», a-t-il dit au début du mois de janvier, dont les propos étaient rapportés par l'agence Bloomberg.
Angelo Katsoras et Pierre Fournier ne partagent toutefois pas le même optimiste, car selon eux la zone euro est plus fragile et donc plus vulnérable à une éventuelle sortie de la Grèce.
Pourquoi la zone est plus vulnérable que jamais
L'économie de la zone euro est stagnante, le chômage est élevé, l'inflation est faible, et l'endettement s'accroît. Entre 2007 et 2013, la dette publique par rapport au PIB a bondi de 66% à 93%. L'endettement du secteur privé est aussi préoccupant, selon la FBN.
«Tout cela rend la zone euro extrêmement vulnérable à de nouvelles turbulences économiques ou à une poussée des taux obligataires», soulignent les deux analystes.
Une sortie de l'euro créait aussi tout un choc en Grèce, qui serait suivie par la réintroduction de la drachme, extrêmement dévaluée. Le pays serait obligé de faire défaut sur sa dette souveraine, qui serait en majeure partie libellée en euro.
Mais à plus long terme, la sortie de l'euro rendrait la Grèce plus concurrentielle, car elle lui donnerait le contrôle de sa propre devise, selon Angelo Katsoras et Pierre Fournier.
Mais le prix à payer serait lourd dans un déjà pays écorché par six année de crise économique, et dont l'ampleur est comparable à la crise subie par l'économie américaine après le krach de 1929.
Les revenus des ménages grecs ont fondu de 30% en six ans. Le taux de chômage s'élève à 26% (50% chez les jeunes). Les programmes sociaux sont en lambeaux. Depuis deux ans, les retraites ont été amputées de 40% en moyenne, et les prix des médicaments ont bondi de plus de plus de 30%, selon le Financial Times.
Une tragédie. Et les Grecs s'apprêtent à en vivre une nouvelle. Mais comment leur reprocher de vouloir brasser les cartes lors de cette élection après tant d'années de souffrance, font remarquer plusieurs analystes politiques?