«Tracer une nouvelle voie pour la croissance.» C'est sur ce thème que s'est tenue, au début de septembre, l'édition 2015 du Forum économique mondial des nouveaux champions, surnommé le Davos d'été.
Cette conférence internationale présente les idées et les tendances les plus innovatrices aux frontières de la science, de la technologie et de l'entrepreneuriat. Elle rassemble plusieurs communautés : les Young Global Leaders (30-40 ans), les Young Global Shapers (20-30 ans), les Young Scientists, les Technology Pioneers, etc. Plus de 1 700 participants de 90 pays se sont retrouvés au centre des conférences de Dalian, en Chine. Les Affaires était le seul média canadien invité.
Ce forum, qui se tient chaque année en Chine, en est à sa 9e édition. L'événement a été créé pour permettre à la prochaine génération de dirigeants, aux régions à croissance rapide et aux villes les plus compétitives de se rencontrer et de faire circuler leurs idées et leurs solutions pour améliorer l'état du monde.
Pour 2015, les organisateurs ont exploité deux pôles : l'humain et la machine. L'humain à travers son travail. Deviendrons-nous tous des agents libres non rattachés à un emploi ? Quelles tâches nous restera-t-il à mesure que les robots s'humaniseront ? Et si les robots s'humanisent - s'ils arrivent à penser, à voir et à ressentir - que signifiera bientôt être «humain» ?
L'édition 2015 du Forum économique mondial s'est aussi penchée sur le pouvoir disruptif de la technologie. «L'uberisation» du monde a occupé l'avant-scène, rappelant aux participants que l'instabilité et l'imprévisibilité doivent être incluses dans leur planification stratégique. Il faut être à la fois à l'écoute des tendances fortes - influentes maintenant - et des signaux faibles - annonciateurs de bouleversements.
Les Affaires vous présente donc les tendances qui influeront sur votre vie tant professionnelle que personnelle.
INTERNET
Faut-il une OMCE ?
«L'Organisation mondiale du commerce est une affaire de gouvernements, elle ne réglemente pas adéquatement le commerce en ligne, estime Jack Ma, fondateur d'Alibaba. Créons l'Organisation mondiale du commerce en ligne [OMCE], une société formée de gens d'affaires et soutenue par les gouvernements. L'OMCE veillerait à une utilisation plus inclusive d'Internet, au profit des PME et des pays émergents.»
TRANSPORT
Drones à l'horizon
«Notre défi consiste à trouver les bons clients, explique Patrick Thévoz, cofondateur du constructeur suisse Flyability. Nous ne voulons pas de l'entreprise pour qui un drone n'est qu'un outil marketing. Nous visons celle qui en fera une partie intégrante de ses activités.» Les drones peuvent régler plusieurs problèmes : livraison dans les zones inaccessibles ou dans celles aux routes congestionnées, surveillance routière ou agricole, interventions trop dangereuses pour les humains, maintenance, etc. À court terme, l'application la plus prometteuse concerne le secteur de la santé, notamment la livraison de médicaments. «Dans 10 ans, nos machines ramasseront votre épicerie», dit Andreas Raptopoulos, fondateur de la start-up californienne Matternet, qui voudrait vendre sa technologie à une société comme UPS. Il reste toutefois de nombreux enjeux à régler, dont la réglementation. «Nous cherchons l'équilibre, dit Stephen Creamer, directeur du bureau de la navigation aérienne de l'Organisation de l'aviation civile internationale. Trop de réglementation tuerait le secteur avant qu'il ne décolle. Pas assez laissera l'espace aérien à la merci des cowboys qui manient leur drone n'importe comment.» En attendant, des transporteurs aériens investissent déjà le secteur, y voyant une nouvelle voie de croissance. L'allemande Lufthansa a ainsi créé une filiale qui explorera le potentiel du fret employant des drones.
TRANSPORT
Les voitures connectées
Commander et payer une pizza à partir du tableau de bord de votre véhicule ? Visa, Pizza Hut et la firme de consultation en technologie Accenture y travaillent. «Notre expérience n'est que le début», prévient Paul Daugherty, chef de la technologie pour Accenture. Les applications combinant commerce et transport viseront de nombreux produits de consommation courante.
COMMERCE
Défi contrefaçon
Le commerce de la contrefaçon atteint au moins 250 milliards de dollars américains dans le monde, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans notre société vieillissante, les médicaments, entre autres, représentent un pactole et un enjeu majeur de santé publique. Comment accroître la fluidité de circulation des biens légaux tout en réduisant celle des biens contrefaits ? Cependant, limiter le trafic de biens contrefaits pourrait entraver la circulation de biens légaux. Comment l'éviter ? En numérisant la chaîne logistique, répond Hank C. K. Wuh, président de TruTag Technologies, un fabricant américain de systèmes d'authentification. «Notre produit permet de retracer où un médicament a été fabriqué et par qui», souligne M. Wuh. Occasion d'affaires en vue pour toute entreprise qui contribue à numériser la chaîne logistique du commerce international ou qui permet d'authentifier les biens qui traversent les frontières.
MAIN-D'OEUVRE
Citoyens du monde recherchés
Le système d'éducation ne produit pas nécessairement les employés que recherchent les entreprises. «Chaque fois que nous arrivons à recruter un vrai citoyen du monde - ouvert et curieux -, nous nous rendons compte à quel point c'est ce type d'employés qu'il nous faut pour relever nos défis. Mais où les trouver ?» s'interroge Anne-Marie Allgrove, associée du bureau australien du cabinet d'avocats Baker & McKenzie. Il faut les former. Et ce, dès la tendre enfance et tout au long de leur scolarité, concluent la douzaine de participants à l'atelier «Raising Global Citizens». Parmi eux, Suzanne Fortier, rectrice de l'Université McGill. «Pour que des employés aient une vision globale, il faut d'abord en faire des étudiants qui contribuent à leur collectivité. On développe une vision de sa communauté avant d'en développer une pour le monde.» Et puis, il ne faut pas viser des citoyens du monde, mais de «bons citoyens du monde», ajoute une représentante du Massachusetts Institute of Technology.
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MAIN-D'OEUVRE
Éducation juste-à-temps
«À 35 ans, votre formation est déjà dépassée. Elle est vieille de 10 ans. Pensez plutôt éducation juste-à-temps», prévient Tom Mitchell, directeur du Centre de l'apprentissage automatisé de l'université Carnegie Mellon, à Pittsburgh. Le concept d'éducation juste-à-temps renvoie à tous ces cours auxquels nous nous inscrivons nous-mêmes : cours informels en ligne aussi bien que formations accréditées. Mais il comprend aussi les occasions d'apprentissage que nous offre notre employeur. «La capacité de développer de nouvelles connaissances en cours d'emploi influence de plus en plus le choix des candidats vers un employeur plutôt qu'un autre, souligne Harry West, pdg de la firme californienne frog design. Prenez nos employés : pour les garder, il faut les déplacer constamment afin de leur offrir de nouvelles occasions d'apprendre.»
MAIN-D'OEUVRE
Fracture...
«Ne soyons pas naïfs à propos du monde du travail qui s'annonce, prévient Jonas Prising, pdg de la firme internationale de recrutement Manpower. Il y aura ceux qui bénéficient du changement et ceux qui sont à sa merci. Des hommes et des femmes n'auront pas le seuil minimal de littératie technologique pour gagner leur vie. Il en résultera des tensions sociales très fortes. On le constate déjà dans certaines régions du monde comme l'Europe.» Tom Mitchell, directeur du Centre de l'apprentissage automatisé de l'université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, ajoute : «La tendance à l'automatisation des emplois basés sur la répétition s'accélère. Un gain pour les employeurs et pour la productivité, mais pas nécessairement pour les travailleurs.»
MAIN-D'OEUVRE
Du travail ou un emploi ?
Les sites offrant des mandats de courte durée se multiplient. Ces sites offrent des contrats à la fois pour les cols bleus et les cols blancs. Quel prix payons-nous pour un monde de travail plus flexible ? Arriverons-nous à une société qui ne créera plus aucun emploi, se contentant d'offrir du travail à la pièce ? Si tel est le cas, la fracture n'en sera que plus importante entre ceux qui tireront leur épingle du jeu - qui gagneront décemment leur vie tout en profitant de la flexibilité - et ceux qui ne sauront pas se vendre ou qui n'auront rien à vendre. «La révolution touche plusieurs fronts : la façon dont le travail est accompli, le lieu où il est accompli et la personne qui l'accomplit», résume Jonas Prising, pdg de la firme internationale de recrutement Manpower.
Comment influencer le changement plutôt que de le subir
Adopter un nouveau vocabulaire
«On a cessé de sous-estimer les vendeurs de rues et leur contribution à l'économie le jour où on les a appelés des microentrepreneurs, raconte Martin Burt, fondateur de la Fundación Paraguay, spécialisée en microfinance. Combien de perceptions pourrions-nous influencer en adoptant un nouveau vocabulaire ?»
Compter sur le pouvoir d'une bonne histoire
«La connaissance vous confère de la crédibilité. Enveloppez ces informations dans une histoire bien ficelée et vous y gagnerez de l'empathie», souligne Calvin Chin, fondateur de la société de capital de risque chinoise Transist Impact Labs. L'entrepreneur établit un parallèle avec l'impact des orateurs grecs Cicéron et Démostène. «Après un discours de Cicéron, le peuple disait : "Il a bien parlé". Après une prestation de Démostène, le peuple déclarait : "Levons-nous et suivons-le !" Désirez-vous qu'on vous apprécie ou qu'on vous suive ?»
Voir grand
«Si vous souhaitez implanter un changement durable, proposer une nouvelle solution ne suffit pas, croit Kalsoom Lakhani, pdg d'Invest2Innovate, un accélérateur d'entreprises sociales de Karachi, au Pakistan. Il faut souvent bâtir l'écosystème qui soutiendra votre solution.» À titre d'exemple, citons Elon Musk, de Tesla. Il ne peut pas se contenter de construire des véhicules électriques. Pour que son innovation soit adoptée, Elon Musk doit contribuer, par exemple, au développement d'un réseau de bornes de recharge et à l'avancement des recherches sur le stockage de l'énergie.
Andreas Raptopoulos, cofondateur de Matternet
«Plusieurs citoyens de pays émergents ont sauté l'étape du téléphone filaire. Ils ont adopté directement le cellulaire, raconte Andreas Raptopoulos, cofondateur du constructeur californien de drones Matternet. Il pourrait en être de même pour les infrastructures. Dans certaines régions difficiles d'accès, il est plus rentable d'utiliser des drones pour la livraison que de construire des routes.»
Nina Tandon, cofondatrice d'Epibone
Coqueluche de l'édition 2015 du Forum économique des nouveaux champions, Nina Tandon a participé à trois panels. Elle a aussi remporté un «Technology Pioneer Award» du Forum économique mondial. «Le corps est une machine qui a parfois besoin de pièces de rechange, explique la jeune scientifique, qui a été consultante chez McKinsey. Epibone, située dans le quartier Harlem de New York, permet à chacun d'entre nous de créer ses propres pièces de rechange, dans un bioréacteur en laboratoire, à partir de ses cellules.»
Louis-Philippe Morency, professeur associé à l'université Carnegie Mellon
Ce natif de l'île d'Orléans appartient à la communauté 2015 des Young Scientists du Forum économique mondial. Le jeune chercheur publie des travaux sur l'intelligence artificielle, plus particulièrement la reconnaissance faciale. «Nos recherches ont des applications pour recruter des employés ou pour dépister des maladies mentales, explique-t-il. D'une part, on analyse la bande vidéo des entrevues pour permettre aux recruteurs de découvrir les intentions réelles du candidat. D'autre part, on réussit à déceler des expressions faciales annonciatrices d'épisodes psychotiques.»
Asher Hasan, fondateur de Naya Jeevan, Fondation Schwab
De plus en plus de grandes sociétés sont désignées du doigt relativement aux conditions de travail de leurs sous-traitants. Il ne suffit plus de montrer patte blanche pour ses propres activités. Asher Hasan apporte une solution. Son entreprise, Naya Jeevan, de Karachi au Pakistan, élabore des programmes d'assurance santé que les grandes sociétés offrent à leurs sous-traitants. Naya Jeevan négocie des tarifs préférentiels auprès d'assureurs partenaires. C'est une entreprise hybride qui combine des activités à but non lucratif et lucratif. Les grandes sociétés comme L'Oréal et Unilever financent une partie des programmes, les utilisateurs cotisent aussi et le reste des revenus provient de diverses sources, comme des organisations non gouvernementales.
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