Les taux d'intérêt sont au plancher depuis des années. La retraite dure plus longtemps que jamais. Est-il toujours prudent pour un retraité de 65 ans de décaisser 4 % par an (indexé) à même son portefeuille équilibré ? Depuis 20 ans plusieurs études ont conclu qu'à ce rythme, il était peu risqué d'épuiser son capital avant d'atteindre 90 ans. L'ingénieur et planificateur financier Jim Otar n'est pas du même avis.
Selon M. Otar, non seulement la volatilité a un impact sur la durée de vie du portefeuille, mais plus encore, elle en a un sur la séquence des rendements et l'inflation. C'est pourquoi il ne s'en remet pas qu'à l'histoire des marchés financiers pour établir un taux de décaissement sécuritaire : il s'attarde au but des retraits. Plutôt que d'accorder la même importance à toutes les dépenses à la retraite, M. Otar les divise en trois groupes et attribue à chacun un critère de risque pour la partie du capital qui les couvre1.
En ce début d'année, le moment est idéal pour faire l'exercice2 et estimer vos dépenses prévues en 2015. Déterminez dans quel groupe se retrouve chaque dépense et calculez ensuite le total de chacun :
1. Vos dépenses essentielles : alimentation, habitation et impôts correspondent à un critère de risque faible afin de limiter à 10 % les probabilités de manquer d'argent pour couvrir ces dépenses.
2. Vos dépenses courantes : celles qui agrémentent votre vie, mais ne sont pas essentielles à votre survie ; par exemple, passer l'hiver dans le Sud. Pour elles aussi, M. Otar propose un critère de risque faible pour limiter à 10 % les probabilités de devoir renoncer à ces dépenses un jour ou l'autre.
3. Vos dépenses discrétionnaires : celles-ci sont plus flexibles, comme les dons, les cadeaux... Ici, M. Otar attribue un critère de risque moyen en acceptant une probabilité de 50 % d'épuiser cette partie du capital durant la retraite.
Calculez maintenant combien vous prévoyez toucher de vos différentes sources de revenus à la retraite (en excluant vos placements) : régime de pension, Régime des rentes du Québec (RRQ), sécurité de la vieillesse (SV), revenus de location ou d'entreprise... Ces revenus serviront d'abord à couvrir vos dépenses essentielles. S'il en manque, vos placements combleront en premier vos besoins essentiels et, seulement après, vos dépenses courantes et discrétionnaires.
Pour chaque portion de votre capital qui couvrira une catégorie de dépenses, M. Otar propose une allocation d'actifs ainsi qu'un taux de décaissement soutenable.
Étude de cas : Marie et Paul
Prenons l'exemple de Marie et de Paul qui viennent de prendre leur retraite à 65 ans avec un portefeuille de 830 000 $. Leurs seules rentes sont celles des régimes publics (RRQ et SV) et totalisent 32 000 $ par année avant impôt. Leurs besoins annuels sont de 70 000 $ bruts ainsi répartis :
- dépenses essentielles : 40 000 $, dont 32 000 $ sont couverts par leurs rentes ; 8 000 $ supplémentaires sont requis ;
- dépenses courantes : 22 000 $ ;
- dépenses discrétionnaires : 8 000 .
Le tableau du haut indique qu'à 65 ans le taux de retrait soutenable pour les dépenses essentielles est de 3,31 %. Ils ont donc besoin de 241 692 $ pour couvrir ces besoins, soit 8 000 $/3,31 x 100 %. L'allocation d'actifs optimale (établie par M. Otar) pour cette portion de leur capital est de 55 % en actions et de 45 % en titres à revenu fixe.
Pour leurs dépenses courantes, le tableau du milieu suggère un taux de décaissement de 4,01 %. Ils ont donc besoin de 548 628 $, soit 22 000 $/4,01 x 100 %, et l'allocation d'actifs sur cette partie du portefeuille visera 60 % en croissance et 40 % en revenu fixe. Du capital disponible de 588 308 $ après les dépenses essentielles (830 000 $ - 241 692 $), il ne restera que 39 680 $ une fois la réserve faite pour les dépenses courantes.
Alors qu'un capital de 155 945 $ (8 000 $/5,13 x 100 %) serait nécessaire pour combler leurs dépenses discrétionnaires jusqu'à 96 ans et qu'ils ne disposent que de 39 680 $, Paul et Marie doivent décider s'ils préfèrent :
- ne rien faire et ne plus pouvoir se permettre ces dépenses après 5 ans environ ;
- réduire leurs dépenses discrétionnaires de 8 000 $ à 2 036 $ par année en fonction du capital encore disponible (soit 8 000 $ x 39 680 $/155 945 $) ;
- souscrire une rente viagère à même le capital prévu pour combler les dépenses essentielles de 8 000 $ par année. Cette rente indexée et payable aussi longtemps que Paul ou Marie vivra (mais au minimum durant 10 ans) diminuera de 10 % lors du premier décès. Une telle rente coûtait environ 215 000 $ (en mars 2014), soit 26 692 $ de moins que les 241 692 $ nécessaires en investissements pour les dépenses essentielles. Leurs dépenses discrétionnaires peuvent alors passer de 2 036 $ à 3 405 $ par année.
Les hypothèses sur lesquelles M. Otar base son analyse se veulent des plus défensives afin de protéger les revenus des retraités même lors de circonstances exceptionnelles. Son approche, bien que complexe, permet de poser un regard plus critique sur le taux de décaissement soutenable durant la retraite. Et vous, quel taux pouvez-vous vous permettre ?1 Jim Otar, «Purpose-driven sustainable withdrawal rate», Advisor.ca, 5 juin 2014
2 Faites l'exercice en consultant : www.advisor.ca/continuing-education/purpose-driven-sustainable-withdrawal-rate-154909
Hélène Gagné , F.Adm.A., est gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée PEAK (une division de Valeurs mobilières PEAK) Pl. Fin. et conseillère en sécurité financière chez Gagné, Morin & Associés M.T.L. Elle est auteure du livre Votre retraite crie au secours.