La dernière analyse de Statistique Canada sur les cotisations aux REER remonte à 2012 et indiquait que moins d'un quart des contribuables avait cotisé à un REER cette année-là. Selon les estimations, les 35,7 milliards $ cotisés cette année-là représentaient moins de 5 % du total des droits de cotisation des Canadiens.
Il est vrai que pour de nombreux Canadiens, l'épargne-retraite s'effectue par le biais de régimes à prestation définies ou d'autre types de comptes. Il faut également admettre qu'effectuer une cotisation à un régime de retraite peut représenter un fardeau financier invivable pour certaines personnes. Cela dit, il semble il semble y avoir d'importants déficits dans la planification de retraite.
Pourquoi? Certes, nous pensons à l'avenir, nous nous y projetons et il ne faudrait pas nous étonner un jour que nous dépendions du fruit de nos labeurs. Alors qu'est-ce qui ne colle pas?
Commençons par admettre que les prévisions humaines, et dans ce cas précis nos propres prévisions de retraite confortable, durable, en bonne santé et sans soucis financier, sont généralement imparfaites et faussées par l'optimisme. Notre esprit se satisfait d'entretenir simultanément et de façon contradictoire l'idée d'une retraite confortable et une attitude dilatoire. Ce qui fait barrière entre les deux, c'est est bien entendu le temps. Le problème, c'est que cette barrière ne cesse de reculer.
À la fin des années 90, les économistes et théoriciens du comportement Richard Thaler et Shlomo Benartzi ont lancé une approche visant à augmenter les cotisations de retraite parmi les employés participant aux programme à cotisations définies aux États-Unis. Ils ont intitulé leur programme Save More Tomorrow (Épargnez plus demain) et s'en sont remis à leurs connaissances sur la façon dont les gens agissent en réalité afin de faciliter la tâche de cotiser davantage pour leur retraite. Ils reconnaissaient que, quelles que soient leurs bonnes intentions, les gens manquent de maîtrise d'eux-mêmes ou de volonté et repoussent constamment le passage à l'acte. L'explication théorique en est que les gens ont des préférences qui ne sont pas constantes dans le temps et qu'ils préfèrent de beaucoup la consommation présente à la consommation future. Le tendance à la procrastination crée une inertie et explique notre préférence généralisée pour le statu quo.
Le concept « Épargnez plus demain » de MM. Thaler et Bernartzi a transformé ces tendances vouées à l'échec en points positifs en mettant en place un programme par lequel les employés pouvaient consacrer leurs augmentations de salaires prévues prochainement à des augmentations de leurs cotisations à la retraite, et aussi choisir d'appliquer automatiquement toute autre augmentation de salaire éventuelle à une augmentation de leur épargne. La subtilité de cette solution réside dans l'engagement préalable d'une augmentation de salaire prévue pour bientôt. Ils savaient qu'il serait plus facile d'obtenir l'engagement des employés à économiser une hausse de salaire de 2 % qui ne s'était pas encore produite (mais qui arriverait prochainement) que d'économiser ces 2 % de salaire supplémentaire une fois intégrés à leur salaire. De plus, cet engagement préalable entre également en action au moment de l'affectation des augmentations de salaire futures, puis laisse la place à l'inertie, qui devient cette fois vertueuse, et il y a toutes les chances que les cotisations des employés augmentent indéfiniment, sans que ceux-ci en modifient jamais le mécanisme.
Un autre concept comportemental puissant, l'aversion aux pertes, est lui aussi traité dans ce programme. Les gens détestent généralement les pertes plus qu'ils n'apprécient des gains d'un même montant. Le programme ciblait une hausse des cotisations qui ne dépassait pas le montant des hausses de salaire, de manière à ce que les gens ne la perçoivent pas comme une « perte » sous forme d'un chèque de paye inférieur. Enfin, pour réduire l'inertie au minimum, le programme fut mis en place auprès des firmes choisies par un système d'adhésion automatique : au lieu de faire l'effort d'y adhérer, les employés devaient faire l'effort d'en sortir.
Le programme a donné des résultats très positifs en terme de participation et de hausse du taux d'épargne, et bien qu'il ne soit sans doute pas disponible dans une formule clé en main pour nous, il y a plusieurs moyens d'en utiliser certains aspects pour inciter les gens à s'engager à augmenter leurs cotisations à un fonds de retraite.
L'une d'entre elles, destinée aux employés qui participent à un régime à cotisations déterminées ou autre régime à long terme, serait de demander à leur service de paye de commencer par prélever un plus grand montant dans un avenir proche, mais pas aujourd'hui. Pour ceux qui effectuent des cotisations d'épargne régulières à partir de leur compte bancaire, il n'a jamais été plus facile d'utiliser les services en ligne pour demander une hausse de son niveau de cotisation à partir d'une certaine date. Pour ceux qui ont la chance de recevoir régulièrement des augmentations de salaire liées à l'augmentation du coût de la vie, pouvoir coordonner ces changements de manière à ce qu'ils entrent en vigueur au moment de la hausse de salaire anticipée serait l'idéal.
M. Thaler (cette fois avec Cass Sunstein comme co-auteur) a développé ces idées en 2008 dans l'ouvrage intitulé Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness (conseils pour prendre de meilleures décisions en matière de santé, de richesse et de bien-être). Outre les enseignements du programme Save More Tomorrow, Nudge affirme que les gens sont plus enclins à passer à l'acte si leurs intentions sont clairement énoncées. Cela nous donne l'occasion de travailler avec quelqu'un en qui nous avons confiance -- un conjoint, un partenaire ou peut-être un conseiller financier -- pour exprimer nos intentions en matière de cotisation de retraite. Le fait d'énoncer nos intentions est déjà un pas vers leur réalisation.
Un autre thème important dont ils traitaient, c'est que les gens ont tendance à prendre une mentalité de troupeau et à adopter des attitudes et des approches qu'ils considèrent normales. Nous pouvons être plus actifs dans le choix de nos pâtures. Dans le cas de la retraite, je recommande donc de ne pas digérer automatiquement ce qui est dit dans le premier paragraphe de cet article sur les taux généraux de cotisation à la retraite, mais plutôt de chercher des exemples où économiser pour la retraite est normal. Le site Morningstar.ca regorge d'articles à ce sujet.
Les économistes comportementaux consacrent beaucoup de temps à documenter le fait que nous soyons nos pires ennemis lorsqu'il s'agit de prendre des décisions dans notre propre intérêt. M. Thaler et ses collègues ont fait la lumière sur beaucoup de nos irrationalités et ont suggéré des manières de les éviter et même de s'en servir à notre avantage dans notre épargne- retraite.