Qui ne rêve pas d’être autonome financièrement un jour? De ne plus être obligé de travailler pour générer un revenu toutes les deux semaines. Les Affaires Plus a rencontré plusieurs personnes qui ont atteint l’indépendance financière ou qui travaillent pour y parvenir.
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«J’ai réduit mon train de vie de 60%», raconte-t-elle en toute franchise, dans un café du quartier Ahuntsic. Ce changement n’a pas été provoqué par un divorce coûteux ou une autre déroute financière. Au contraire, Mélanie Joly a fait d’assez bons coups sur le plan de sa carrière, comme de relancer, à titre d’associée, le bureau de la firme de communication Cohn & Wolfe, alors au bord de la faillite, et s’accorde aujourd’hui une pause professionnelle.
« Grâce à mon train de vie plus modeste, je n’ai plus besoin de générer autant de revenus pour vivre. Même sans être riche, je suis indépendante financièrement, car j’ai les moyens de faire ce que je veux dans la vie… comme de la politique», témoigne la cofondatrice de Génération d’idées, un groupe de réflexion politique destiné aux 25-35 ans.
Ce qui ne veut pas dire que la femme de 35 ans mène une vie oisive. Bien au contraire. Après les élections à la mairie de Montréal, en 2013, où elle a surpris toute la classe politique en terminant au deuxième rang, cette diplômée en droit européen de l’Université d’Oxford a écrit un livre et s’est associée à l’événement Failcamp, une conférence qui porte sur la célébration de l’échec et la prise de risques, dont la deuxième édition se tenait en avril à Montréal. « Je ne compte pas mes heures de travail. Je suis toujours en mode créatif», dit-elle. La différence : elle ne travaille plus uniquement pour payer les factures.
Et la retraite, dans tout ça? Mélanie Joly fait partie d’une génération qui ne rêve plus de passer sa retraite à faire le tour des Amériques en Winnebago. Étant donné l’augmentation de l’espérance de vie et la rareté de la main-d’œuvre prévue, les générations X et Y se rendent à l’évidence : ils travailleront plus longtemps que le traditionnel 65 ans. Alors, plutôt que d’économiser comme des forcenés pour un objectif aussi lointain que la retraite, de plus en plus d’X et d’Y se fixent un nouvel objectif qui reflète davantage leur réalité: l’indépendance financière.
Lentement mais sûrement, on assiste à un changement de mentalité. Alors que pour les baby-boomers, la retraite est l’aboutissement de la vie professionnelle, leurs cadets refusent de considérer leur travail comme le purgatoire obligé qui mène à la terre promise. Pour Jonathan Chevreau, chroniqueur économique de renom au Canada anglais et collaborateur au Financial Post, c’est signe qu’il est temps de changer le discours concernant la planification de la retraite. «Parce qu’il est faux. En réalité, les gens ne rêvent pas d’une retraite dorée, mais de la possibilité de continuer à travailler en toute liberté, sans patron, et de se consacrer à ce qu’ils aiment faire», explique le créateur du site financialindependencehub, dont le contenu rédactionnel est consacré exclusivement aux stratégies à suivre pour atteindre l’indépendance financière.
Cependant, en quoi consiste l’indépendance financière? Est-ce de vivre dans un manoir, à ne rien faire de ses journées, en regardant la télé dans un cinéma-maison? Non, répond Jonathan Chevreau. «Quand on est findependent – un néologisme de mon cru combinant les mots finance et indépendance –, on travaille parce qu’on le veut, et non par obligation. C’est la possibilité de vivre sans dépendre d’un emploi stable pour payer les factures», explique l’auteur du livre Findependance Day, un best-seller qui retrace la quête de l’indépendance financière par un couple fictif.
L’avantage de l’indépendance financière, c’est qu’on peut espérer l’atteindre bien avant l’âge de la retraite. En effet, selon les spécialistes, cette notion ne signifie pas nécessairement qu’on soit indépendant de fortune. «On peut l’être à 50 ans sans avoir la capacité de ne plus travailler jusqu’à la fin de nos jours. Mais ça nous donne la possibilité, par exemple, de travailler six mois par année ou de lancer son entreprise », explique Sylvain De Champlain, président de De Champlain Groupe financier. Ou de se lancer en politique, comme Mélanie Joly.
laude Paquin, président, services financiers Groupe Investors pour le Québec, insiste. Nul besoin d’être médecin ou de fonder un nouveau Google pour atteindre cet objectif. « J’ai vu des gens qui gagnaient 40 000 dollars par année qui y sont parvenus bien avant l’âge de la retraite. Inversement, d’autres, qui mènent une vie de jet-setter, sont loin du but à 70 ans, même si leurs revenus font l’envie de 99% de la population», affirme Claude Paquin.
Chose certaine, d’après les spécialistes des finances personnelles, il n’existe pas de formules miracles pour y parvenir. «Cependant, les gens qui réussissent affichent une détermination à toute épreuve. Ils ont un plan et ils le respectent», précise Claude Paquin. C’est le cas de Robert Sylvain (pseudonyme). Ce jeune homme de 26 ans, qui travaille en publicité-marketing, n’a jamais compté 50 buts dans la Ligue nationale de hockey et ne gagne pas le salaire d’un radiologue. Malgré tout, il vise l’indépendance financière d’ici quelques années. Comment? En investissant à fond dans l’immobilier.
«Je vise 250 logements d’ici mes 40 ans», ditil avec la détermination d’un chef scout. Toutefois, la route ne s’annonce pas facile pour le jeune homme. Il travaille actuellement de longues heures, soirs et week-ends, en plus de son boulot régulier, pour réaliser son objectif. Les dimanches, il sacrifie les brunchs en famille afin de dénicher les perles rares. «C’est difficile pour la vie de couple », reconnaît ce résident de la Rive-Nord, qui se mariera cet été. Et lorsqu’il se rend chez le notaire avec les clés d’un nouvel immeuble, il passe des heures et des heures à faire du ménage ou des rénovations.
Toutefois, ces sacrifices n’entraveront en rien le chemin de cet investisseur. Ambitieux, Robert Sylvain tient mordicus à prouver qu’il n’est pas nécessaire d’être né avec une cuillère d’argent dans la bouche pour aspirer à l’indépendance financière. « J’ai acheté mon premier triplex avec l’aide financière de mon beau-père. Il ne faut pas hésiter à mettre à profit son réseau pour saisir des occasions», raconte ce bachelier de l’Université Concordia.
Robert Sylvain n’est pas le seul à apprécier l’importance du réseautage, surtout quand on projette de brasser des affaires. Entrepreneur dans la Vieille-Capitale, Stéphane Guérin, 39 ans, a fait carrière dans le domaine d’Internet. À la fin des années 1990, il a créé 4adate.net, un site de rencontres en ligne qui devient le troisième site de ce genre en importance dans le monde, puis le revend à profit. Ce fondateur impulsif de start-up qui dirige maintenant DashThis, une application destinée au secteur du marketing numérique, est catégorique: «Nous avons besoin de gens pour nous aider à nous propulser. C’est une des raisons pour lesquelles je tiens un blogue. Cette visibilité m’a permis de profiter de plusieurs occasions d’affaires».
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Sobriété et frugalité
La voie vers l’indépendance financière ne passe pas uniquement par l’investissement immobilier ou la réussite d’une entreprise. À preuve, Sébastien Perrault et Valérie Gagné (pseudonymes), deux salariés de la classe moyenne dans la trentaine, ont un plan qu’ils respectent consciencieusement pour voguer vers l’autonomie financière. Leur secret : un budget intraitable où ils comptabilisent la moindre dépense.
« Quand j’achète une crème glacée à mon fils, j’ajoute ces deux piastres à notre fichier Excel», dit Sébastien Perrault, ingénieur en télécommunications et père de trois enfants. Le but: pister la moindre dépense. En sachant où l’argent va, on sait où couper dans le gras. «Chez nous, tout est budgété et réfléchi. Par exemple, on habite un duplex dans le quartier Rosemont qui nous procure un revenu, plutôt que d’habiter dans une maison en banlieue qui aurait exigé l’achat d’une deuxième voiture», explique Valérie Gagné, ingénieure en mécanique, actuellement mère au foyer.
Ils prennent aussi l’autobus pour aller travailler, préfèrent le camping aux hôtels de luxe et acceptent que leurs trois enfants dorment dans la même chambre. Une stratégie qui porte ses fruits. À ce rythme, ils peuvent déjà envisager l’autonomie financière dans la cinquantaine, même s’ils vivent actuellement avec un seul salaire. Ce couple allergique aux dépenses superflues n’est pas exceptionnel. La frugalité est une qualité très présente chez les personnes qui aspirent à l’indépendance financière ou qui réussissent à l’atteindre.
L’important dans cette équation, comme le souligne Claude Paquin, du Groupe Investors, c’est de vivre selon ses moyens. « Ne dépensez pas plus que ce que vous gagnez », dit-il. Simple comme bonjour. Sauf que dans la réalité, il n’est pas facile de renoncer à l’achat de la dernière bébelle électronique, dans le but très lointain d’être autonome financièrement.
Pourtant, tout ça a un coût. Le chroniqueur Norm Rothery, éditeur du magazine MoneySense, a d’ailleurs comptabilisé le coût réel par rapport à l’indépendance financière de l’achat de la nouvelle Apple Watch, le nouveau gadget de l’entreprise de feu Steve Jobs. Selon ses calculs, l’achat du modèle milieu de gamme, à 799 dollars, retardera l’atteinte de l’objectif d’indépendance financière de 30 jours, dans le cas d’un jeune salarié qui gagne 30 000 dollars par an. Il arrive à cette estimation en considérant qu’en plaçant ces 799 dollars plus taxes dans un régime d’épargne enregistré, la valeur de ce montant investi en Bourse triplera en 35 ans, même en tenant compte de l’inflation. La conclusion de Norm Rothery : « Si vous dépensez trop d’argent en produits de luxe, vous devrez travailler plus longtemps que vous ne l’aviez espéré».
Une vie frugale fait aussi partie de l’ADN de l’entrepreneur en techno Stéphane Guérin. Malgré sa réussite, il continue à vivre, avec sa femme et ses trois enfants, dans la même maison modeste qu’à 20 ans, et jusqu’à tout récemment, il roulait en minivan, symbole même d’une vie économe et pépère. « Les entrepreneurs connaissent trop la valeur de l’argent pour le jeter par les fenêtres. On ne roule pas en Ferrari. Seuls les fils de riches le font», soutient ce résident de la Vieille-Capitale, presque indépendant financièrement.
Comment les Mélanie Joly, Stéphane Guérin et Sébastien Perrault arrivent-ils à résister aux chants des sirènes de la surconsommation? «Parce qu’ils ont un objectif précis et délimité dans le temps, répond Claude Paquin, du Groupe Investors. C’est pour cette raison qu’ils acceptent de faire des sacrifices à court terme. Quand c’est rationnel, les gens sont capables de se dire non maintenant pour se dire oui dans le futur. »
Et pour ces économes, la consommation à outrance ne fait tout simplement pas partie de leur mode de vie. En adoptant des guerrilla frugality habits, selon les termes de Jonathan Chevreau, on parvient à dégager une marge de manœuvre qui servira, pour les uns, à bonifier leur épargne – les meilleurs arrivent à épargner jusqu’à 20% de leurs revenus bruts –, et pour les autres, à liquider leurs dettes, en donnant la priorité aux mauvaises créances, comme les dettes de cartes de crédit; et pour les gens à l’esprit entrepreneurial ou qui n’ont pas peur du risque, à passer en mode investissement: démarrage d’une entreprise, placement à la Bourse ou achat d’un immeuble à revenus.
Haut niveau de confiance
Autre caractéristique commune des «indépendants » : leur haut niveau de confiance. Prenons l’exemple de l’ex-avocate Mélanie Joly. La candidate à l’investiture libérale dans Ahuntsic ne craint pas des lendemains difficiles, même si sa nouvelle aventure en politique se terminait par un échec. «J’ai une bonne formation. Je suis une bonne machine de travail. Je suis capable de créer de la valeur, de me bâtir un capital », explique Mélanie Joly.
Ce haut niveau de confiance donne une plus grande résilience face au stress et à la prise de risque, inévitable quand on souhaite s’enrichir plus rapidement, souligne Alain Forget, psychologue du travail. Après des réussites en affaires, il est normal que la confiance en soi se renforce. Mais en début de carrière, il faut bâtir cette confiance. C’est ce que fait Robert Sylvain. Nouveau venu dans le domaine de l’immobilier, le jeune homme a cependant fait ses classes. Il a suivi des formations avec le Club d’investisseurs immobiliers du Québec et il a lu toutes les publications sur cette forme d’enrichissement. « Quand on veut convaincre des gens d’investir dans nos projets, il faut être fort dans les chiffres. Il faut démontrer à nos partenaires qu’on possède les moyens de réussir», dit-il.
L’erreur de la plupart des gens, pensent nos interlocuteurs, c’est que dès qu’ils obtiennent une augmentation de salaire, ils achètent une plus grosse maison et une plus grosse voiture. «Alors que moi, j’ai l’intention d’investir ce surplus plutôt que de le dépenser», explique Robert Sylvain. Même son de cloche de la part de Mélanie Joly, qui a décidé qu’elle ne quitterait pas son logement modeste tant qu’elle y serait heureuse. « Je n’ai pas l’intention de déménager dans quelque chose de plus gros juste pour augmenter mon standing», confie-t-elle.
Avec un objectif précis et délimité dans le temps, le sens du sacrifice, une aversion pour les dépenses inutiles, une bonne confiance en soi et la capacité de dénicher les occasions payantes – en Bourse, en immobilier ou au travail (en acceptant de plus grandes responsabilités, par exemple) –, la quête de l’indépendance financière ne devient plus l’apanage des héritiers de grosses fortunes. Plutôt que d’accumuler toute votre vie pour un projet de retraite que vous ne savourerez que tardivement, pourquoi ne pas changer vos objectifs et viser l’indépendance financière?