Pourquoi certaines personnes sont-elles prêtes à risquer un an de salaire pour suivre le conseil de placement d'un ami, tandis que d'autres sont trop craintives pour investir sur les marchés? Pourquoi certains suivent-ils aveuglément leur instinct, et d’autres pas? Y a-t-il une raison de nature physiologique à cela?
Pour le savoir, Sylvie Demers, vice-présidente, de TD Waterhouse, et Alain Ptito, chercheur en neurosciences cognitives, de l'Université McGill, ont uni leurs forces pour trouver une réponse à ce mystère. L’objectif? Comprendre ce qui se passe dans leur cerveau lorsqu'on prend une décision financière.
«Il est facile de se laisser emporter et de prendre des décisions de placement fondées sur des réactions instinctives, dit Sylvie Demers. Mais, cette facilité est trompeuse, car elle découle d’une multitude d’opérations effectuées par notre cerveau.»
Émotion ou raison ?
Ainsi, le cerveau humain est capable de prendre des décisions en une fraction de seconde, en fonction des informations à sa portée immédiate. Ce système a permis à nos ancêtres de survivre en des temps périlleux : quand les hommes préhistoriques voyaient un tigre s'élancer vers eux, leur instinct leur disait de prendre leurs jambes à leur cou. En conclusion, nous n’avons pas besoin de conseils pour prendre une bonne décision à court terme.
Aujourd'hui, nous n'avons plus à craindre les bêtes sauvages. Mais nos prises de décisions sont encore souvent influencées de la même manière par nos émotions et notre instinct de survie. Le hic? Émotions et instinct ne sont pas toujours de bon conseil pour les investisseurs, qui ont davantage intérêt à observer les tendances naissantes et à se doter de stratégies de placement à long terme.
«Différentes parties du cerveau sont responsables de différentes réactions, explique M. Ptito. En comprenant ce qui se passe dans le cerveau pendant le processus de prise de décisions, on arrive plus facilement à prendre du recul et à écouter sa raison plutôt que ses émotions.»
Voyage au cœur du cerveau
Quand on prend une décision financière, quatre parties de notre cerveau entrent en jeu :
1. La bataille du cerveau - le cortex préfrontal
Lorsqu'on doit prendre une décision risquée, les études en imagerie cérébrale montrent une lutte entre deux zones concurrentes : le cortex préfrontal médio-ventral, qui traite l'appât du gain; et le cortex préfrontal medio-dorsal, qui traite la peur du risque.
«Cette bataille du cerveau est l'opposition classique entre la peur et l'appât du gain. Les émotions peuvent facilement l'emporter sur la raison dans ce genre de situation», note M. Ptito.
2. Rester ou fuir? - l'amygdale
«L'amygdale est une partie du cerveau qui agit sur la peur; c'est elle qui détermine si l'on fera face à un danger potentiel ou si l'on décidera de fuir. Ce peut être une force irrésistible, qui s'est forgée en nous, les êtres humains, sur plusieurs milliers d'années», explique M. Ptito.
3. Je me sens bien! - le noyau accumbens
Le centre du système de récompense du cerveau se trouve juste derrière les yeux, dans le noyau accumbens. Cette zone, responsable du bonheur, fait autant de tort à certaines personnes qu'en fait la peur à d'autres personnes.
«Si vous prenez des décisions de placement qui font augmenter la valeur de votre portefeuille, votre degré de bonheur augmentera sans doute aussi, dit M. Ptito. Le noyau accumbens est une zone qui s'allume lorsque cela se produit. Le fait d'agir exclusivement sous son influence peut amener à commettre des erreurs.»
4. Vous vous rappelez la dernière fois? - l'hippocampe
«Même si l'on utilise beaucoup d'autres structures pour créer des souvenirs et s'en rappeler, l'hippocampe est souvent perçu comme étant essentiel à la formation des souvenirs à long terme, dit M. Ptito. Quand nous créons un nouveau souvenir à long terme, il passe plusieurs fois par l'hippocampe, jusqu'à sa formation complète.»
Prendre de bonnes habitudes
«Les décisions qui touchent notre argent peuvent être chargées d'émotion, observe Mme Demers. Plutôt que d'essayer de refouler complètement cette émotion - ce qui est très difficile -, il importe de prendre conscience que beaucoup de mécanismes entrent en jeu dans notre cerveau chaque fois que nous prenons une décision de placement et que nous planifions en conséquence. Il faut donc adopter de bonnes habitudes et s'y tenir, s'assurer d'avoir un plan financier bien défini et trouver un conseiller de confiance.»
«Il est assez remarquable de constater que les études sur l'imagerie cérébrale montrent que le fait de recevoir des conseils avisés de sources fiables peut amener le cerveau à mettre de côté son parti pris émotif pour adopter une vision à plus long terme», précise M. Ptito.