Le testament sert à faire respecter vos dernières volontés. La moindre confusion au moment de sa rédaction peut faire déraper votre succession.
Un homme possédait trois entreprises dans le domaine agricole, regroupées sous un seul nom. Quatre de ses sept enfants travaillaient avec lui dans ces exploitations, et il voulait que cette partie du patrimoine familial leur revienne.
Cependant, au moment de réorganiser le tout en trois sociétés distinctes, une seule a conservé le nom d'origine. L'ensemble des enfants devenait ainsi, au décès du père, propriétaire des deux autres entreprises, car son testament, inchangé après la restructuration, attribuait aux quatre enfants associés toutes ses actions dans la seule ancienne entreprise globale, et il n'y avait aucune mention des deux nouvelles. Me Caroline Marion se souviendra longtemps de cette méprise, car il a fallu plus de quatre ans de recherches et de négociations pour faire accepter à toute la famille les volontés du testateur, qui transparaissaient pourtant dans d'autres documents sans valeur légale.
Pour faire un bon testament, il faut se poser de nombreuses questions sur ses biens, sur les gens auxquels on les destine et sur la personne qui s'occupera du transfert.
Quelle que soit la forme du testament, notarié, imprimé et signé en présence d'au moins un témoin ou olographe (écrit et signé à la main), il faut y nommer clairement les choses et les personnes, précise Christine Morin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval.
«Dès qu'un héritier présumé n'est pas content du contenu, il peut en contester la validité, ce qui est plus facile si le document n'est pas notarié», dit l'universitaire.
Le document peut aussi être attaqué sur la «capacité de tester» : le signataire est-il sain d'esprit ? Le contraire est plus difficile à prouver.
En outre, une interprétation des tribunaux peut être nécessaire si les termes utilisés sont imprécis.
Par exemple, «mon argent» signifie-t-il seulement «mon compte en banque» ou comprend-il «mes actions dans la société XYZ» ?
Une succession sans histoire est une succession bien planifiée.
Chiffrer
«Il faut d'abord chiffrer» la valeur de ce qu'on léguera, insiste Me Jean Girard, avocat, planificateur financier et fiscaliste à Québec. La nécessité d'un bilan successoral (un portrait ponctuel des biens et des dettes) précède même celle de décider qui héritera de quoi.
Il raconte la surprise d'une cliente venue lui faire examiner son testament. Elle n'avait aucune idée de ce que valaient son capital de retraite et ses assurances. Elle s'est subitement rendu compte que son fils risquait de se retrouver en possession de 650 000 dollars à l'âge de 21 ans. «À sa place, je serais partie sur la go», de commenter la dame, avant de rectifier le tir en étalant le versement de l'héritage en plusieurs étapes.
Me Michel Beauchamp, notaire au cabinet Beauchamp et Gilbert et chargé de cours à l'Université de Montréal, a été témoin d'une autre succession dans laquelle un père laissait une assurance vie de un million de dollars à séparer en parts égales entre ses deux filles, chacune pouvant toucher son dû à sa majorité.
À 20 ans, l'aînée n'avait plus que 260 000 dollars en banque. Pas de drogues, pas d'abus d'alcool, insiste le notaire. Mais à une voiture de luxe, à une garde-robe griffée et à un long séjour en Europe avec une copine moins fortunée s'étaient ajoutées les prétentions d'un ami de coeur qui croyait que son affection était monnayable.
La source la plus fréquente de problèmes pour les héritiers est la conviction d'un testateur de ne pas avoir besoin d'aide pour exprimer ses dernières volontés.
Me Caroline Marion, notaire, fiscaliste et planificatrice financière chez Gestion privée 1859 de la Banque Nationale, relate le cas d'un homme qui avait appris dans son cours de préparation à la retraite que pour payer moins d'impôt, il valait mieux qu'il lègue son REER à sa conjointe, et le reste, assurance vie comprise, à ses filles.
Très bien, dit-elle. Mais en formulant lui-même ce partage, il avait oublié que sa nouvelle conjointe n'était pas obligée d'utiliser le «roulement autorisé» de l'épargne enregistrée dans son propre REER. En acceptant ces 50 000 dollars identifiés comme un legs particulier, elle laissait aux enfants l'obligation de payer l'impôt sur cette somme à même leur part d'héritage. Il aurait fallu qu'il précise qu'à défaut de roulement, l'impact fiscal serait à la charge de la conjointe.
Résultat : puisque l'homme était locataire et qu'il avait peu d'autres biens, la moitié des 30 000 dollars d'assurance vie destinés aux autres héritières a servi à payer le fisc. Cela démontre la différence entre «légataire» et «héritier», qui n'est pas négligeable.
Un legs particulier sera reçu libre d'impôt et de dette. Les obligations du défunt incombent au reste de la succession.
En effet, la succession doit d'abord payer tous les créanciers (y compris les hypothèques et les dettes fiscales) de la personne décédée, rappelle la professeure Christine Morin. Viennent ensuite les légataires particuliers, et s'il reste des biens, les autres héritiers.
Questionner
Me Jean Girard énumère une vingtaine de questions précises auxquelles ses clients doivent répondre au moment d'analyser leur testament. Il vérifie notamment le statut matrimonial des intéressés ou encore si certains héritiers vulnérables auraient besoin de protections particulières.
Avez-vous une propriété aux États-Unis ? ajoute Me Zeina Khalifé, avocate, fiscaliste, chez BMO Banque privée Harris. Les autorités locales exigeront un document en anglais pour officialiser le transfert d'un immeuble à un héritier. Faire traduire au complet un testament de 30 pages pourrait coûter 15 000 dollars prévient-elle, suggérant de faire rédiger en anglais un testament pour les seuls biens détenus en territoire américain.
Si vous êtes aux États-Unis, des droits successoraux américains pourraient avoir un impact important pour vos ayants droit.
Autre exemple d'omission fâcheuse : une employée pourtant consciencieuse a complètement déshérité son fils en prenant sa retraite. Comment ? En lui attribuant le montant substantiel d'une assurance vie, tout le reste allant à son nouveau conjoint. Mais l'assurance collective disparaissait à la fin de son emploi.
Non, les gens n'ont pas besoin d'aide pour créer un monstre successoral.
Les experts s'entendent généralement pour suggérer non seulement de relire, mais aussi de réviser son testament au moins tous les quatre ou cinq ans. Plus souvent, quand un changement de vie survient comme un mariage, une séparation ou la naissance d'un enfant ou d'un petit-enfant, précise Me Khalifé.
Me Beauchamp va jusqu'à recommander une relecture annuelle, même pour un «testament ordinaire».
Liquider
La tâche du liquidateur d'une succession peut parfois être ardue, et selon Zeina Khalifé, il faut s'assurer que cette personne ait les connaissances et l'énergie nécessaires pour s'en acquitter. Elle insiste sur la capacité - essentielle - du liquidateur (ou du fiduciaire) d'entretenir avec l'ensemble de la famille une relation saine et neutre. Ou sur la nécessité, en cas de conflit, de faire appel à une société de fiducie neutre.
La spécialiste recommande en outre de choisir quelqu'un qui habite au Québec, surtout si certains des héritiers vivent à l'étranger.
Me Girard ajoute qu'il faut «prévoir un mécanisme de remplacement du liquidateur».
Il n'y a pas si longtemps, le liquidateur (qu'on appelait alors exécuteur testamentaire) avait surtout besoin de connaître l'adresse de la succursale bancaire du défunt et son numéro de compte. Son rôle se limitait souvent à payer les funérailles à même la succession et à distribuer le solde de celle-ci aux héritiers.
Aujourd'hui, les choses sont plus complexes, et l'exercice mérite souvent rémunération. Il lui faudra faire rapport du décès à une pléiade d'organismes privés ou publics. Il devra aussi mettre fin à l'existence virtuelle du défunt. Il aura besoin de tous les codes d'accès, identifiants et mots de passe de la personne décédée et devra savoir où les trouver.
Cette liste devrait faire partie d'un inventaire des informations financières.
De façon générale, Me Girard recommande de parler de ses dernières volontés, non seulement au liquidateur, mais aussi à ses héritiers, histoire de leur éviter de mauvaises surprises.
Peut-être aussi pour rassurer toutes ces personnes, si elles ont lu ce qui précède.
L'important, c'est de garder le tout le plus clair et le plus simple possible, et la dernière question à se poser, selon Me Khalifé, est à peu près celle-ci : «Ce document permet-il vraiment d'arriver aux résultats que je souhaite ?»
Un testament écrit à la main ou signé devant témoin ne coûte à peu près rien, mais des frais de vérification par un notaire ou un greffier de la Cour supérieure sont à prévoir au moment de la liquidation de la succession. Par contre, un testament notarié n'a pas besoin d'être vérifié par un tribunal. Un couple dont la situation est très simple peut s'attendre à des honoraires et frais qui commencent autour de 1 200 dollars pour ses testaments et mandats, estime Me Girard.
Écrire, c'est écrire
Enregistrer ses dernières volontés sur un support électronique (un CD ou une bande vidéo, par exemple) n'a pas valeur légale au Québec, mais Me Michel Beauchamp a trouvé l'exemple qui suit pour illustrer la valeur de l'écriture.
En Alberta, un fermier s'est un jour retrouvé coincé sous son tracteur. Avant de mourir de ses blessures, il a eu le temps de graver ces mots avec une pierre sur la peinture de l'engin : «All to my wife (Tout à mon épouse)». Ces quatre mots ont été confirmés comme étant le testament de l'homme.
Une façon de faire contrepoids à l'histoire de Nicole, citée en introduction de ce dossier, un cas typique de testament rédigé «sur le napperon d'un restaurant d'aéroport», phénomène plus fréquent qu'on le pense, selon le notaire.
En effet, cette histoire d'horreur aurait peut-être été évitée si son conjoint n'avait pas craint que le fait de s'occuper de sa succession le rapproche de l'issue fatale.
Pièges en lignes et autres
Pour prendre un raccourci dans la rédaction de leurs dernières volontés, bien des gens copient, téléchargent gratuitement ou encore achètent en ligne des versions de testaments ou de mandats en cas d'inaptitude sur différents sites Internet.
Ils se contentent alors d'imprimer et de personnaliser un texte en écrivant les noms des héritiers, sans même se soucier du fait que ceux-ci sont majeurs ou mineurs, déplore Me Michel Beauchamp.
Il rappelle que les règles de droit ne sont pas les mêmes au Québec qu'ailleurs au Canada. Encore moins en France ou aux États-Unis, ce qui peut entraîner des problèmes d'interprétation.
Me Jean Girard souligne qu'on s'expose au même risque avec certains formulaires vendus dans des commerces ou par l'intermédiaire de publicités télévisées.
Les seuls sites auxquels on peut se fier, selon Me Beauchamp, sont celui de la Chambre des notaires, www.cnq.org, et celui d'Éducaloi, www.educaloi.qc.ca, dont le Barreau du Québec est partenaire.
On n'y fournit pas de document type, mais des conseils et des explications sur les principes juridiques des documents successoraux.
Le notaire a aussi participé à la présentation, sur www.gendec.ca (un organisme de recherche généalogique), d'un document montrant notamment comment, en l'absence de testament, les principes de «dévolution successorale» peuvent éparpiller les biens d'un défunt jusqu'au huitième degré de parenté.