En mai 2006, les Nations Unies dévoilaient les six principes pour l'investissement responsable (PRI), qui prennent en compte l'impact social et environnemental d'un projet ainsi que la gouvernance de l'entreprise. Fiona Reynolds dirige PRI. Elle participe à la conférence internationale sur l'investissement responsable, PRI in Person, au Hilton Montréal Bonaventure, du 24 au 26 septembre.
Diane Bérard - La retraite est un sujet chaud cet automne au Québec. Or, selon vous, les épargnants se montrent plus responsables vis-à-vis de leur retraite que les professionnels auxquels ils confient leurs épargnes. Expliquez-nous.
Fiona Reynolds - On répète aux citoyens qu'ils doivent agir de façon responsable et mettre de l'argent de côté pour leur retraite. Que les gouvernements n'ont plus les moyens de subvenir à tous leurs besoins. Or, la crise de 2008 nous a démontré que l'industrie financière, elle, n'agit pas de façon responsable. On a vu l'argent des caisses de retraite fondre comme neige au soleil. Jamais elles n'ont enregistré un tel recul. Si vous aviez 20, 30 ou 40 ans au moment de la crise, la situation pouvait se corriger. Mais pour les investisseurs de 50 ou 60 ans, c'était dramatique.
D.B. - Si le système financier gère les économies des épargnants - particuliers et caisses de retraite - de façon si cavalière, faut-il cesser de les lui confier ?
F.R. - Ce n'est pas la solution. Je continue de croire qu'il est essentiel de préparer sa retraite. Mais il faut que le système financier travaille pour les gens et non pour lui-même. Il est temps qu'il se soucie des investisseurs et non de multiplier sa taille et sa valeur à court terme et à n'importe quel prix.
D.B. - En quoi la démographie accentue-t-elle la nécessité d'un système financier stable ?
F.R. - Nous vivons de plus en plus vieux. Jadis, l'argent de votre retraite devait vous permettre de tenir cinq à dix ans. Aujourd'hui, cela peut aller jusqu'à trente ans. Nos épargnes doivent durer plus longtemps. Il faut les gérer en voyant loin.
D.B. - Il importe encore plus pour les femmes que les marchés soient efficaces. Pourquoi ?
F.R. - Les femmes accusent un triple handicap : elles vivent plus longtemps que les hommes, elles gagnent moins qu'eux et travaillent moins d'années, car elles quittent leur emploi - pour une période plus ou moins longue - lorsqu'elles ont des enfants.
D.B. - Quelles sont les caractéristiques d'un marché financier stable ?
F.R. - On y évalue tous les risques, pas seulement les risques financiers à court terme. Les intervenants analysent aussi l'impact social et environnemental des projets qu'on leur propose. Un marché financier stable se préoccupe également de gouvernance. On y investit dans des sociétés bien gérées, parce qu'elles affichent une meilleure performance plus longtemps. Une société bien gérée se préoccupe des critères ESG (environnemental, social et de gouvernance).
D.B. - De plus en plus d'acteurs du secteur financier affirment se préoccuper du long terme...
F.R. - C'est vrai, surtout dans le cas des caisses de retraite. Mais il existe une incohérence importante : les gestionnaires des caisses de retraite sont évalués tous les trimestres. Du coup, ils pressent les entreprises dans lesquelles ils investissent pour obtenir des résultats rapides. Ainsi, les caisses de retraite troquent souvent des résultats financiers stables et pérennes pour des rendements instantanés.
D.B. - Quel rôle les caisses de retraite jouent-elles dans le développement de l'investissement responsable ?
F.R. - Elles pèsent lourd dans le secteur de l'investissement en général. Les sommes qu'elles confient sont importantes. Leurs critères de choix peuvent influencer le comportement des entreprises qui voudront profiter de leurs fonds. Je considère les caisses de retraite comme des catalyseurs de l'investissement responsable. Elles peuvent provoquer le changement.
D.B. - Dites-nous-en plus sur ce rôle de catalyseur des caisses de retraite.
F.R. - Leur but diffère de celui des autres investisseurs. Les caisses de retraite ont une obligation envers leurs membres : elles doivent leur verser une rente jusqu'à la fin de leurs jours. Cela les force à penser à long terme. Elles sont donc toutes désignées pour inciter les entreprises où elles investissent à faire de même. Si ces entreprises développent une vision à long terme pour satisfaire les caisses de retraite, elles conserveront cette approche, parce qu'elle rapporte.
D.B. - Que signifie être un investisseur responsable ?
F.R. - Prenez le cas de l'effondrement du Rana Plaza [un immeuble de huit étages à Dana, au Bangladesh, abritant des fabricants de vêtements, dont l'effondrement a tué plus de 1 000 employés] le 24 avril 2013. Que font ceux qui ont investi dans ces sociétés pour s'assurer qu'elles prennent des mesures afin que cela ne se reproduise plus ? Les investisseurs ont leur part de responsabilité dans la tragédie du Rana Plaza et dans la prévention du prochain drame. L'investisseur responsable ne se soucie pas uniquement de son rendement. Il se préoccupe aussi des conséquences de son rendement à court, moyen et long termes.
D.B. - L'investissement responsable est-il condamné à n'être qu'un choix dicté par la peur d'une autre crise économique ?
F.R. - Je ne le vois pas ainsi. L'investissement responsable n'est pas un choix que l'on fait contre quelque chose. On y adhère pour créer une société meilleure qui se donne des buts plus grands que le rendement et le profit. Nous voulons une société où les gens peuvent prendre leur retraite l'esprit tranquille. Où l'air que nous respirons est sain. Où la nature ne se résume pas à un lieu d'extraction. L'investissement responsable permet une vision plus holistique de la société.
D.B. - Il y aura toujours des investisseurs qui visent le court terme...
F.R. - C'est justement le noeud du problème. Le marché est occupé par des investisseurs qui visent le long terme et d'autres, le court terme. Il n'y a qu'un seul marché, mais deux philosophies d'investissement. Cela entraîne forcément des distorsions.
D.B. - Quel argument jugez-vous le plus convaincant pour réformer les marchés financiers et investir de façon responsable ?
F.R. - Les gens, tout simplement. Il faut incarner le marché, lui mettre un visage humain. Chômage, inégalités, génération perdue... partout sur la planète des femmes et des hommes accusent encore les contrecoups de la vision court-termiste qui a mené à la crise financière.
D.B. - À quel contre-argument vous exposez-vous le plus souvent ?
F.R. - On me dit que les enjeux sociaux et environnementaux relèvent de l'univers politique et non de celui de l'investissement. Les gestionnaires de caisses de retraite estiment que leur mandat consiste à atteindre le rendement requis pour payer les rentes des membres et que le reste appartient au gouvernement.
D.B. - Les arguments en faveur de l'investissement responsable sont plutôt sensés. Pourquoi tous les investisseurs ne sont-ils pas plus nombreux à y adhérer ?
F.R. - Le principal obstacle à l'investissement responsable est le système de rémunération basé sur le court terme.