Le S&P 500, qui se dirige vers un gain d'environ 25 % en 2013, n'est pas à bout de souffle, croient les quatre experts interrogés par Les Affaires. Même s'ils estiment que la Bourse américaine procurera encore un bon rendement en 2014, les stratèges ne voient pas les occasions aux mêmes endroits pour autant.
STÉFANE MARION
Économiste et stratège en chef de la Banque Nationale
«La faible inflation offre une occasion»
Indices : Hausses prévues en 2014
S&P 500 : 5 % à 10 % S&P/TSX : 3 % à 5 %
Répartition de l'actif
+ Le marché américain et les pétrolières canadiennes
- Le marché canadien
La faiblesse de l'inflation dans les pays industrialisés est une bonne nouvelle pour les investisseurs. La Réserve fédérale (Fed) a ainsi plus de marge de manoeuvre pour réduire en douceur son soutien mensuel de 85 milliards de dollars américains à l'économie, selon Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale.
M. Marion prévoit que l'inflation sera de 1 % à 1,5 % en 2014 dans les pays industrialisés. Ainsi, la banque centrale américaine ne sera pas contrainte de mettre un frein trop brusquement à la détente monétaire, note celui que Bloomberg a choisi à plus d'une reprise comme l'un des meilleurs prévisionnistes. «Dans ses communications officielles, la Fed tentera de nous convaincre que les taux d'intérêt resteront bas longtemps, même si elle réduit l'assouplissement, explique-t-il. Et le seul contexte où c'est possible, c'est lorsque l'inflation est basse.»
L'économiste note qu'il y a un risque de déflation (baisse des prix) en Europe. En conséquence, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait être tenue de maintenir plus longtemps la détente monétaire, ce qui compenserait un retrait graduel de sa contrepartie américaine.
Toujours de la place pour les obligations
Dans ce contexte, M. Marion s'inscrit encore cette année en faux avec ceux qui suggèrent de fuir les obligations, dont la valeur varie en sens inverse des taux d'intérêt. Il achète un peu moins d'obligations que ce qu'il recommande habituellement, mais cette sous-pondération est «très légère». «Il y a quand même de l'incertitude économique, nuance-t-il. Dans un contexte de faible inflation, la hausse potentielle des taux d'intérêt est limitée.»
En 2014, l'économiste voit la croissance économique mondiale s'accélérer. Les actions devraient dans ce contexte procurer un rendement positif. Comme l'an dernier, M. Marion préfère la Bourse américaine à sa contrepartie canadienne. L'accélération de la croissance sera favorable au dollar américain par rapport au huard, ce qui favorise les investisseurs canadiens qui détiennent des actifs aux États-Unis. «Le marché américain offre plus de visibilité que d'autres Bourses», dit M. Marion.
Pour la Bourse canadienne, Stéfane Marion préfère le secteur de l'énergie. Le manque d'infrastructures pour acheminer le pétrole de l'Ouest plombe le secteur. Le stratège prévoit cependant de bonnes nouvelles au sujet de la construction de nouveaux pipelines.
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MARTIN ROBERGE
Stratège et analyste quantitatif de Canaccord Genuity
«Le pétrole est l'occasion canadienne»
Indices : Hausses prévues en 2014
S&P 500 : 10 % S&P/TSX : 13 %
Répartition de l'actif
+ Les actions américaines et les actions canadiennes, surtout les pétrolières
- Les obligations
Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif de Canaccord Genuity, réduit la surpondération qu'il accorde aux actions américaines. Entre Bay Street et Wall Street, il est de plus en plus difficile de choisir une favorite, selon lui.
D'un côté, Wall Street a plus de catalyseurs devant elle. Une éventuelle dépréciation du dollar canadien rend aussi les investissements libellés en dollars américains plus intéressants.
De l'autre, les sociétés du S&P/TSX à Toronto ont un profil moins risqué. M. Roberge note que 15 % des sociétés inscrites au S&P 500 versent un dividende supérieur à 3 %. Au Canada, elles sont 55 % à le faire. Lors d'un marché baissier, les titres qui versent de généreux dividendes sont emportés moins profondément par la vague. «Nous continuons de favoriser le marché américain, mais la différence est modeste et elle diminue», explique-t-il.
Un faible pour les pétrolières
M. Roberge est très optimiste pour le secteur pétrolier qui pèse pour près du quart du S&P/TSX. La dépréciation de la devise canadienne sera favorable aux pétrolières, car le pétrole est libellé en dollars américains. Selon lui, la valeur du huard n'est plus corrélée avec le prix du baril, mais bien avec les investissements étrangers au Canada, qui seront appelés à diminuer.
De plus, l'écart entre le prix du pétrole brut canadien et les prix internationaux se rétrécira, prévoit-il. Historiquement, le pétrole canadien se vend selon un rabais de 17 $ US sur le prix de l'or noir à New York. Cette différence est de 30 $ US en ce moment. «Avec l'ajout de capacité par pipeline, trains et bateaux, ainsi que les raffineries qui regarnissent leurs stocks de pétrole lourd, on pourrait avoir une amélioration du prix canadien», estime le stratège.
Le Canadian Western Select (CWS), l'indice du prix du pétrole brut canadien, pourrait atteindre 90 $ US en 2015, prévoit M. Roberge. Cela représente une appréciation de près de 50 %. Et si le dollar canadien descendait à 90 cents, on parlerait d'un prix de vente de 100 dollars canadiens pour les producteurs d'ici qui exportent vers les États-Unis, ajoute-t-il.
L'attrait des pétrolières est d'autant plus fort qu'elles sont sous-estimées, selon lui. Elles s'échangent à un rabais de 25 % comparativement aux entreprises américaines équivalentes. «Les pétrolières canadiennes ont tellement connu un rendement médiocre qu'elles s'échangent à un escompte incroyable !»
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SYLVAIN RATELLE
Vice-président et stratège de Valeurs mobilières de la Banque Laurentienne
«Cap sur les marchés internationaux»
Indices : Hausses prévues en 2014
S&P 500 : 15 % S&P/TSX : 18 %
Répartition de l'actif
+ Les actions d'Europe et des pays émergents
- Les obligations
Même si Wall Street sort de 2013 gonflée à bloc, il n'y a pas lieu de craindre l'éclatement d'une bulle l'année prochaine, prédit Sylvain Ratelle, vice-président et stratège de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Cependant, l'herbe est désormais plus verte dans les marchés internationaux, selon lui.
M. Ratelle estime qu'un ratio cours/bénéfice de 17 fois les prévisions de 2014 serait raisonnable pour le S&P 500. L'indice, qui compte les 500 plus grandes capitalisations américaines, s'échange actuellement à 15 fois les bénéfices de l'an prochain. «Il n'y a pas de bulle, constate-t-il. Certains titres sont surévalués, mais ce n'est pas généralisé. Toutefois, la partie facile est derrière nous. L'évaluation actuelle nous donne une protection plus faible contre les déceptions.»
Même s'il n'y a pas de bulle, les investisseurs trouveront moins d'occasions de création de valeur aux États-Unis qu'en Europe et dans les pays émergents, particulièrement en Chine et au Brésil, explique-t-il. «La croissance des bénéfices devrait être plus forte en Europe et dans les pays émergents, où les évaluations sont plus faibles. On peut donc être gagnant de deux façons.»
Outre le S&P 500, qui se négocie à 15 fois les prévisions de bénéfices de l'an prochain, les marchés européens s'échangent à 13 fois et les marchés émergents à 9 fois, note le stratège. En 2014, les bénéfices des sociétés devraient augmenter de 7 % aux États-Unis, de 10 % en Europe et de 13 % en Chine, selon les prévisions recensées par Bloomberg.
La mauvaise performance du marché chinois est davantage l'histoire d'une évaluation passée trop généreuse que d'un problème économique, juge M. Ratelle. En 2007, la Bourse de Shanghai s'échangeait à un ratio cours/bénéfice de 35 fois les bénéfices prévus. Ce ratio est désormais d'environ 9. Les actions chinoises peuvent maintenant rattraper une partie de l'écart qui les sépare des titres américains, selon lui.
«Lorsqu'on regarde depuis 2009, les bénéfices du S&P 500 ont augmenté de 54 %, ajoute-t-il. Ce n'est pas différent en Chine où les bénéfices ont augmenté de 50 %. Il est vrai que la croissance économique y est passée de 12 % à 6 %, mais c'est encore bien mieux qu'en Amérique du Nord.»
La Bourse de Toronto se situe entre les deux géants. Le S&P/TSX s'échange à un multiple de 14 fois les bénéfices, et les économistes prévoient une croissance de 9 % des profits. Dans le volet actions de son portefeuille, M. Ratelle recommande d'accorder moins de place aux titres américains et d'en accorder plus aux marchés européens et émergents. Il reste neutre à l'égard du Canada.
(Suite à la page suivante)CLÉMENT GIGNAC
Vice-président et économiste en chef de l'Industrielle Alliance
«Wall Street reste le meilleur marché»
Indices : Hausses prévues en 2014
S&P 500 : 8 % à 10 % S&P/TSX : 3 % à 5 %
Répartition de l'actif
+ Les actions américaines
- Les pétrolières canadiennes et les obligations
L'ascension fulgurante des Bourses américaines a peu de chances de se répéter en 2014, car les sociétés du S&P 500 sont mieux évaluées, dit Clément Gignac. Malgré tout, le contexte est très favorable aux actions américaines, selon le vice-président et économiste en chef de l'Industrielle Alliance.
«Historiquement, le meilleur environnement pour les marchés boursiers a été au moment de la reprise économique, lorsque l'inflation était stable entre 1 % et 2 %», rappelle l'ancien ministre.
Le S&P 500 se dirige vers un gain de 25 % cette année. Près des trois quarts de cette hausse sont attribuables à une évaluation plus généreuse et le reste, à la croissance des bénéfices. Autrement dit, l'appréciation tient davantage à une plus grande confiance des investisseurs qu'aux résultats des sociétés.
Somme toute, l'évaluation reste raisonnable, pense l'économiste. Le S&P 500 devrait suivre un rythme similaire à la croissance des bénéfices en 2014, soit de 8 % à 10 %, prévoit-il. «On assistera probablement à la situation inverse de ce qu'on a vu en 2013. La croissance viendra majoritairement des bénéfices et on aura peut-être une modeste amélioration des multiples.»
Les actions américaines sont en outre plus intéressantes lorsqu'on les compare aux obligations. «Les perspectives du marché obligataire ne sont pas terribles pour les 18 prochains mois. Les taux sont bas et une réduction des injections de liquidités aux États-Unis grugerait la valeur d'un portefeuille obligataire.»
Wall Street est plus attrayante que le S&P/TSX, qui devrait générer un rendement de 3 % à 5 %. En anticipant une croissance de 10,5 % des bénéfices des sociétés du TSX, M. Gignac est moins optimiste que le consensus des analystes, qui entrevoient une augmentation de 12 % en 2014. Le secteur de l'énergie servirait de locomotive avec une croissance de 18 %, toujours selon la moyenne des prévisions.
M. Gignac se montre plus prudent que d'autres stratèges pour le secteur de l'énergie. Il établit ses prévisions en anticipant que le baril de pétrole vaudra 80 $ US d'ici deux ans. Cela représente une dépréciation de plus de 10 %. Il note aussi les lacunes du côté des infrastructures pétrolières canadiennes. Le marché immobilier et l'endettement des ménages représentent aussi des obstacles à la croissance. De plus, un huard en perte de vitesse aidera les investisseurs canadiens qui détiennent des actifs libellés en dollars américains. «J'attendrai que le dollar avoisine les 90 cents américains avant d'être plus optimiste à l'égard du marché canadien», commente M. Gignac, qui note que les entreprises d'ici ne sont pas concurrentielles au cours actuel du huard.
(Suite à la page suivante)Longue vie au marché haussier
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La Bourse européenne en tête1
+ 10 % Europe
+ 5,5 % États-Unis
+ 4,7 % Canada
1Hausse prévue des indices en 2014, selon les stratèges sondés par Bloomberg. Plusieurs firmes mettront leurs prévisions à jour d'ici la fin de l'année.
Source : Bloomberg