Magazine A+. À voir le nombre de projets de tours de copropriétés qui sont dans l'air, on est en droit de se poser la question : «Est-ce le bon moment pour acheter un condo ?»
Augmentation, chute, stagnation des prix... Les prédictions qui touchent le marché immobilier pour 2013, Marc-André Larocque et Nicole Vachon n'en ont cure. Faisant fi du vent de pessimiste soufflant sur le secteur, ils ont décidé d'acheter, quelques jours avant la fin du monde qui n'a pas eu lieu, un condo sur plan de 1 300 pieds carrés (pi2) dans l'arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie, au coeur d'un vaste complexe immobilier aux espaces verts généreux. La totale.
Malgré l'incertitude qui plane, le couple est convaincu d'avoir fait une bonne affaire. «En achetant en 2012, on paye le prix actuel pour une propriété neuve qui nous sera livrée en 2014», dit Marc-André Larocque, un consultant en ressources humaines de 58 ans. Ce n'est pas tout. Le couple a beaucoup d'autres raisons d'être heureux : leur futur chez-soi correspond exactement à leurs attentes du point de vue de la superficie, du design et de l'emplacement, à proximité du centre-ville, comme ils le désirent. Donc, pourquoi attendre?
«Nous ne sommes pas des spéculateurs. Nous achetons pour le long terme. Pour nous, l'appréciation de notre copropriété n'est qu'un détail. Qui, de toute façon, peut prévoir le comportement du marché dans 10 ou 15 ans?», philosophe Marc-André Larocque, qui redeviendra propriétaire après avoir passé quelques années à titre de locataire, tandis que Nicole Vachon, 48 ans, sera propriétaire pour la première fois.
Zen, ce couple de Montréalais l'est tout à fait, mais on ne peut en dire autant de la majorité des acheteurs. Sur le marché, les vendeurs de condos le confirment. Les consommateurs ont peur. Et pour cause. En hausse inégalée depuis 15 ans, le marché immobilier vient d'entreprendre un virage à la suite du resserrement des règles hypothécaires décrété en juillet dernier par le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty. Celui-ci a aboli les hypothèques étalées sur 30 ans pour prévenir la formation d'une bulle. L'impact a été immédiat.
Suroffre, page 2
Sur le marché de la revente, les deux premiers trimestres de l'année 2012 ont connu une hausse des transactions de l'ordre de 7 % et de 9 %, tandis que les deux derniers trimestres ont affiché une diminution de 6 % et de 12 %, selon les chiffres de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ). Cette baisse n'a rien d'étonnant lorsqu'on apprend d'un sondage Léger Marketing publié en janvier que 29 % des acheteurs ont opté, en 2011, pour un amortissement de 30 ans, un pourcentage qui a grimpé à 38 % en 2012. Le resserrement fait donc mal, et se répercute déjà fortement dans le segment des propriétés abordables.
Dans le neuf, les promoteurs de condos constatent aussi une diminution de l'achalandage dans leurs bureaux de ventes. «On ne s'en cache pas. Les ventes ralentissent, mais à mon avis, cette diminution est davantage attribuable à la suroffre qu'à l'abolition de la période d'amortissement de 30 ans», commente Denis Robitaille, président de Rachel Julien, promoteur important qui pilote actuellement des projets dans Griffintown et dans Rosemont.
Il est vrai que Montréal, et particulièrement le centre-ville, souffre d'une véritable épidémie de tours de condos. Il y a la Tour des Canadiens, qui comptera 50 étages, L'Avenue, autre tour vitrée de 50 étages voisine du Centre Bell, le Rocabella, deux tours de 35 étages chacune, le Tom, un projet d'immeuble de 40 étages, et ainsi de suite. La «condomanie» touche également le quartier de Griffintown, avec d'importants complexes comme le Bassin du Havre, qui comprendra à terme 1 800 appartements, et le Nordelec, qui en comptera 2 000.
Même les promoteurs, d'un optimisme à tout crin en temps normal, jugent que le centre-ville connaît une surabondance. «Il y aura un écrémage», affirme Jacques Vincent, coprésident du Groupe Prével, un important promoteur montréalais à qui la chance sourit depuis des années. C'est une évidence : plusieurs projets n'atteindront pas les 50 à 60 % de prévente nécessaires pour lancer la construction. Reste à savoir lesquels d'entre eux écoperont. Les paris sont ouverts.
Quant aux acheteurs, ils y pensent à deux fois avant de passer chez le notaire. Patrice Groleau, de McGill Immobilier, un courtier qui se spécialise dans la vente de condos sur plan, note un changement de comportement chez les consommateurs. «Il y a peu de temps encore, les gens ne voyaient que le prix et la cuisine. Maintenant, ils se présentent à plusieurs reprises dans les bureaux des ventes et posent énormément de questions. L'inquiétude est palpable», dit Patrice Groleau.
Tandis que peu d'analystes excluaient jusqu'à tout récemment une possible baisse des prix en 2013, le ton a changé du tout au tout en janvier. La SCHL, qui prédisait en novembre une augmentation des prix de 2 % sur le marché de la revente en 2013, a revu sa prévision à la baisse, à 1 %. Désormais, son analyste principal pour le marché montréalais, Bertrand Recher, n'exclut pas des baisses de prix dans certains secteurs de la copropriété.
«Le niveau des ventes dans la revente reste stable, ce qui veut dire que la demande se maintient, mais le nombre d'inscriptions est en forte augmentation», remarque Bertrand Recher. Même son de cloche de la part d'Hélène Bégin, économiste au Mouvement Desjardins. «Le marché, jusque-là équilibré, va probablement pencher sous peu - si ce n'est pas déjà fait - en faveur des acheteurs», soutient-elle. Résultat : les propriétaires ne pourront plus dicter leur prix. La négociation revient en force !
À court terme, assisterons-nous à un effondrement identique à celui de la Floride ? Sur certains blogues spécialisés, les commentaires des lecteurs sont teintés d'un négativisme surprenant. Or, les experts de l'immobilier croient que les bases demeurent solides. Ils estiment que le marché ne chutera pas comme il l'a fait au début des années 1990, la dernière période de déprime qui a touché le marché québécois. «J'ai traversé cette période difficile, et je peux vous dire que nous n'en sommes pas encore là. Nous n'avons pas des milliers de condos en stock à écouler», fait remarquer Jacques Vincent.
Le promoteur a raison. En novembre 2012 (dernier chiffre disponible), la SCHL ne comptabilisait dans la région de Montréal que 1 674 condos neufs inoccupés. «Ce n'est pas très élevé, concède Bertrand Recher. Au tournant de 2006 et 2007, on en comptait près de 3 000.» Les institutions bancaires, qui exigent des préventes de 50 à 60 % pour les projets immobiliers avant d'accorder le financement, empêchent par le fait même la surconstruction. «Les banques ont appris des années 1990, où le financement était beaucoup plus permissif», dit Denis Robitaille.
Ceci était un extrait du reportage du Magazine A+ d'avril. Procurez-vous le magazine pour lire la suite de cet article et d'autres articles sur le secteur immobilier.