Réal Bisson, maire de Vallée-Jonction, a poussé un grand soupir de soulagement le 3 avril dernier. Ce jour-là, Olymel et les 1 000 employés de son usine d'abattage, de découpe et de désossage de porcs ont signé un contrat de travail qui mettait fin à plus de deux semaines de grève.
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Un arrêt de travail prolongé, voire une fermeture complète du plus important employeur de Vallée-Jonction, aurait eu des effets dévastateurs pour cette petite municipalité beauceronne de moins de 2 000 habitants. Mais aussi pour l'ensemble de cette région manufacturière, la troisième en importance au Québec avec plus de 1 200 usines employant 36 500 personnes.
«L'impact aurait été catastrophique et aurait été senti non seulement chez les travailleurs, mais aussi chez les producteurs de porcs, les autres fournisseurs et les nombreux commerces des environs», indique M. Bisson.
Parlez-en aux élus, travailleurs et commerçants de L'Assomption, dans la région de Lanaudière. La fermeture de l'usine d'appareils électroménagers du géant suédois Electrolux, en juillet dernier, a entraîné la perte de 1 300 emplois. Du coup, la ville perdait son principal employeur, le tiers de ses emplois manufacturiers et 70 millions de dollars en masse salariale. Sans compter les dommages collatéraux.
«Ça fait mal, et pas seulement à L'Assomption. Le bassin de travailleurs s'étendait jusqu'à Joliette. Un fournisseur de Joliette a même dû fermer ses portes, et des commerces à proximité de l'usine s'en ressentent», dit Olivier Goyet, directeur général du Centre local de développement (CLD) de la MRC de L'Assomption.
Il s'attend à une autre onde de choc lorsque le versement des indemnités et des prestations de chômage aux travailleurs prendra fin, dans quelques semaines. Entre-temps, «il faut refaire le tissu industriel de la ville, mais ce n'est pas facile. On a peu de locaux disponibles, et on ne connaît toujours pas les intentions d'Electrolux à l'égard de l'usine désaffectée», déplore M. Goyet. L'autre grand employeur manufacturier de la MRC, le fabricant d'explosifs General Dynamics, a réduit son effectif de plus de 150 personnes au cours des 18 derniers mois.
Un secteur créateur de richesse
La grève à l'usine d'Olymel et la fermeture de l'usine d'Electrolux mettent en lumière la fragilisation du secteur manufacturier québécois. La part du secteur québécois de la fabrication n'a cessé de chuter depuis 15 ans. Ce secteur représente aujourd'hui 14,3 % du PIB par rapport à 23,6 % en 2000, soit une baisse de près de 40 %. L'emploi manufacturier a culminé à 650 000 travailleurs en 2002, avant d'amorcer sa descente et d'atteindre 407 340 en 2012. Les ventes manufacturières s'élevaient à 138,4 milliards de dollars en 2012, comparativement à 144,1 G$ en 2008.
N'empêche que le secteur manufacturier génère encore des retombées majeures pour l'ensemble de l'économie québécoise, dit Louis Duhamel, conseiller stratégique de la firme Deloitte. «C'est un secteur névralgique pour le Québec. Le négliger nuirait au développement de son économie et de ses régions», souligne celui qui a mené en 2012 une vaste étude sur l'avenir du secteur manufacturier au Québec.
Comptant pour 88 % des exportations québécoises, 48 % de l'innovation dans l'économie, 25 % des emplois directs et indirects, et offrant des salaires de 35 % supérieurs à la moyenne, «le secteur manufacturier est créateur de richesse pour toute la société québécoise», fait valoir M. Duhamel. Il souligne que les grands acteurs jouent un rôle majeur : «Les 15 plus importantes entreprises manufacturières du Québec comptent pour une grande partie de nos exportations», précise-t-il.
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Un devoir d'acheter localement
Richard Blanchet, pdg de Sous-Traitance Industrielle Québec (STIQ), juge lui aussi que le secteur manufacturier continue de jouer un rôle fort important, particulièrement en région.
«Les grands donneurs d'ordres qui fabriquent au Québec s'approvisionnent aujourd'hui davantage à l'étranger. Mais ils ont encore besoin de fournisseurs de proximité, et plusieurs entreprises se font même un devoir d'acheter localement», note-t-il. STIQ est une association manufacturière québécoise vouée à l'amélioration de la chaîne d'approvisionnement.
La présence de Bombardier et d'autres acteurs clés comme le motoriste Pratt & Whitney a favorisé le développement d'une grappe aérospatiale et d'un grand nombre de fournisseurs de cette industrie concentrée dans la région de Montréal. Même si Bombardier, troisième avionneur civil mondial, a délocalisé une partie de sa production chez nos voisins du Sud et au Mexique, ses activités, même internationales, profitent encore à plusieurs PME manufacturières d'ici.
Ces dernières années, bon nombre d'équipementiers et de sous-traitants étrangers sont d'ailleurs venus s'implanter ici pour se rapprocher et profiter des contrats de ce maître d'oeuvre. L'entreprise française Aerolia, après avoir été sélectionnée comme fournisseur par Bombardier, a récemment établi sa première usine nord-américaine à Mirabel pour y assembler le fuselage central des nouveaux avions d'affaires Global 7000 et 8000.
Quelques points positifs
Fait à souligner : même si la majorité des industries manufacturières ont subi des pertes d'emplois depuis 2000, certains secteurs ont plutôt progressé, tels que ceux du matériel de transport, de la transformation alimentaire ainsi que des produits en plastique et en caoutchouc.
De plus, le déclin du secteur manufacturier, que la crise économique et financière de 2008 a accéléré, s'est passablement estompé ces dernières années. «Le choc s'est particulièrement fait sentir de 2003 à 2010. On observe une certaine stabilité depuis trois ans», constate Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins.
Autre bonne nouvelle : la croissance de l'économie américaine, conjuguée à la baisse du dollar canadien, laisse poindre des jours meilleurs pour l'industrie manufacturière. L'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l'Union européenne est aussi de bon augure. L'entente «devrait accroître les échanges commerciaux avec l'Europe et permettre à des entreprises d'ici d'explorer de nouveaux marchés», précise Mme Noreau.
L'expérience montre toutefois que les fabricants devront éviter de miser uniquement sur la faiblesse du dollar canadien. «La croissance passe nécessairement par l'international. Mais les entreprises doivent offrir des produits innovants et investir pour améliorer leur productivité», souligne Véronique Proulx, directrice, communications, affaires publiques et stratégies chez les Manufacturiers et exportateurs du Québec. En 2012, l'investissement privé en machines et matériel représentait 4,9 % du PIB du Québec, en baisse de 40 % par rapport à 1999, indique le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.
Le Québec, à l'image de l'Allemagne, devra aussi «développer davantage de moyennes et grandes entreprises à plus forte valeur ajoutée», indique Louis Duhamel. Car, sans le développement d'autres fleurons comme Bombardier, CAE, Lassonde, Marmen, Premier Tech et Ressorts Liberté, son secteur manufacturier restera fragile.
> 14,3 %: Le secteur manufacturier représente aujourd’hui 14,3 % du PIB du Québec par rapport à 23,6 % en 2000.
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