Lancée en janvier dernier, l'initiative visant à propulser l'ambition féminine, L'effet A , lance ces jours-ci sa deuxième cohorte. Ces six personnes - dont deux hommes - se fixent la mission de réaliser en 100 jours un projet qui aidera les femmes à donner suite à leurs aspirations.
Cliquez ici pour consulter le dossier L'effet A
Parler de l'avancement des femmes entre femmes, c'est bien. Mais engager les hommes dans la conversation, c'est encore mieux. Et plus efficace. «L'inclusion de deux hommes envoie le signal fort que [cet enjeu] n'est pas une patente de femmes qui doit être réglée par des femmes. C'est un enjeu qui doit être regardé par l'ensemble des leaders et influenceurs aujourd'hui, pour changer la trajectoire de demain», dit Isabelle Hudon, chef de la direction, Québec, et vice-présidente principale, solutions clients, à la Financière Sun Life.
L'instigatrice de L'effet A continuera d'y participer activement. C'est d'ailleurs elle qui a recruté les membres de la deuxième cohorte. «Les six ont dit "oui" avant même que j'aie fini de leur poser la question», se réjouit-elle.
Robert Dumas, président de la Financière Sun Life au Québec, et Éric Forest, maire de Rimouski, se considèrent en fait «chanceux d'être les premiers» hommes à participer officiellement à L'effet A (plusieurs dirigeants masculins avaient cependant pris part aux défis de la première vague).
«Isabelle aurait dû penser à ça la première fois !» lance en riant Éric Forest. Le politicien est particulièrement sensible à la perception négative de l'ambition qu'ont encore les Québécois. Pourtant, avec les défis démographiques à venir, le Québec aura besoin de toutes ses forces vives pour assurer la pérennité de ses institutions.
«C'est toute la portée de L'effet A : apprendre à ces jeunes femmes à avoir de l'ambition, ce qui va les porter à trouver les solutions. L'ambition, c'est l'énergie, l'ingrédient incontournable», dit M. Forest.
Robert Dumas, qui a été un sponsor dans le défi d'Isabelle Hudon à l'hiver, s'était quant à lui porté volontaire si on incluait des hommes dans la deuxième vague. «Ce n'est pas une cause de femmes, c'est une cause de société», explique-t-il. Avoir des hommes autour de la table permettra selon lui d'accroître l'effet de levier, en plus de diminuer le risque que les efforts pour l'avancement des femmes engendrent un clivage.
Rendre à l'ambition ses lettres de noblesse
Pourquoi est-il encore nécessaire, en 2015, d'encourager les femmes à assumer leur ambition ? Autour de la table, les membres de la deuxième cohorte de L'effet A s'agitent. Ils ont tous des exemples en tête. Martine Turcotte, vice-présidente exécutive pour le Québec chez Bell, parle de cette fois où un cadre supérieur était possiblement sur le point de quitter, et que deux des trois candidats pressentis sont
venus lui expliquer pourquoi ils étaient en mesure d'occuper son poste. Quel candidat n'a pas sollicité d'entretien ? La femme. «Elle pensait qu'elle n'était pas prête !»
Cliquez ici pour consulter le dossier L'effet A
La dirigeante croit que les femmes oseraient plus si elles comprenaient vraiment ce qui se passe dans une carrière normale. «Les gens pensent que le succès, c'est une ligne droite, sans échec, sans refus. Ce n'est pas vrai ! Il faut partager notre expérience pour que les femmes n'aient pas peur de sortir de leur zone de confort», explique Mme Turcotte.
Geneviève Biron a elle aussi vécu des situations qui l'ont interpellée. «Il m'est arrivé de proposer des occasions de développement de carrière à des femmes qui étaient surprises que je leur fasse confiance. Si elles réagissent ainsi, c'est qu'elles ne se font pas confiance elles-mêmes.» De quoi secouer une femme qui a, comme elle, été élevée dans la philosophie que tout est possible. «Il faut parler d'ambition, démystifier, encourager les femmes à lever la main», dit la présidente de Biron Groupe Santé.
En fait, le manque de confiance en soi est souvent un mécanisme de défense, juge Diane Giard, première vice-présidente à la direction, particuliers et entreprises, à la Banque Nationale. Par peur d'échouer, par gêne ou par culpabilité, les femmes freinent leurs aspirations. Pourtant, il n'y a aucune honte à avoir de l'ambition, dit celle qui «n'a jamais trouvé difficile» d'afficher la sienne.
Au contraire, les organisations ont avantage à avoir des employés ambitieux. À condition, bien sûr, qu'ils soient ambitieux et non carriéristes. Car la différence est cruciale. Alors que le carriériste fait passer son ego et sa personne avant toute chose, l'ambitieux travaille pour l'organisation, est collaborateur et communique beaucoup. «Être ambitieux, c'est tout simplement avoir une vision par rapport à quelque chose et la réaliser. C'est avoir le goût d'accéder à des postes où on pourra faire une différence pour l'organisation, afin d'être capable d'avancer vers un but noble. J'en veux autour de moi, des gens comme ça !» dit Mme Giard.
Selon Robert Dumas, «la plupart des organisations» sont prêtes à ce que de plus en plus de femmes accèdent à des postes de direction. «Les portes sont ouvertes. Maintenant, le plus important est de donner un coup de pouce à la jeune génération pour qu'elle ose.»
Engager la haute direction
Ce qui ne veut pas dire que les organisations n'ont plus d'efforts à fournir. Elles doivent notamment améliorer la façon dont elles décèlent et accompagnent leurs talents montants.
«En tant que gestionnaires, il faut être conscients qu'il y a encore cette gêne [de la part des femmes] et aller les chercher», fait valoir Martine Turcotte. Et si certaines contraintes empêchent une femme d'accepter une promotion, il faut avoir le courage d'en parler afin de trouver des solutions.
Car si les organisations étaient plus flexibles, elles donneraient davantage le goût aux femmes de grimper les échelons, croit Joëlle Boisvert, associée directrice de Gowlings à Montréal. «Les femmes ont l'impression que ça ne les intéresse pas, parce que le chemin ne leur convient pas, dit l'avocate. Il faut trouver des façons de tracer un chemin qui soit plus adapté à leur réalité.»
Mais pour que les choses changent réellement, l'impulsion doit venir du sommet, prévient Coleen MacKinnon, directrice régionale, Québec et provinces de l'Atlantique, chez Catalyst Canada. Car les préjugés existent bel et bien encore en entreprise, affirme celle qui se consacre à la cause de l'avancement des femmes. Pas par mauvaise volonté. Souvent, il s'agit de préjugés inconscients qui sont basés sur le conditionnement social (le modèle de la famille traditionnelle) et des mythes répandus (celui que les femmes ne sont pas prêtes à déménager, par exemple). «Dès que le pdg comprend les barrières et l'importance de l'enjeu, des initiatives se mettent en place.»
Isabelle Hudon l'a bien compris. Le fait que des leaders s'investissent dans L'effet A a des répercussions «extraordinaires» chez les jeunes femmes, dit-elle, mais il ne faut pas négliger l'effet chez les dirigeants eux-mêmes. «Ces six leaders-là, dans 100 jours, seront marqués et auront changé.» Difficile, voire impossible, pour eux de ne pas se transformer en agent de changement. Et de ne pas inciter leurs collègues et amis à en faire autant.