Changer les pratiques de rémunération des dirigeants est un combat de longue haleine. C'est ce qu'ont constaté les membres du jury du concours d'excellence en gouvernance d'entreprise Korn/Ferry - Les Affaires. En épluchant les dossiers de candidature, ces six administrateurs d'expérience ont parfois souri, parfois grimacé. Réunis pour couronner les conseils d'administration méritants, ils ont constaté avec joie la progression de certaines bonnes pratiques, mais ont également observé que quelques mauvais plis étaient bien difficiles à corriger. Voici leurs coups de coeur et leurs coups de gueule.
De la clarté, enfin !
À force d'ajouter des composantes et des conditions à leur programme de rémunération des dirigeants, plusieurs entreprises ont perdu leurs investisseurs dans les dédales de leur volumineuse circulaire de la direction, le document dans lequel l'entreprise détaille son régime de rémunération. Heureusement, le balancier semble revenir vers plus de simplicité et de clarté. Un mouvement qui n'est pas facile, mais qui est tellement pertinent aux yeux de Denis Desautels, président du jury : " Des gourous de la gouvernance ont préconisé un lien direct entre le rendement et la rémunération, ce qui a entraîné l'utilisation de calculs plutôt que d'éléments qualitatifs. " Lorsqu'elles déterminent l'ensemble de la rémunération, ces formules mathématiques doivent tenir compte de multiples possibilités, ce qui les rend bien complexes et difficiles à comprendre.
Certaines entreprises optent plutôt pour des formules toutes simples, basées par exemple sur la progression des revenus ou du bénéfice net. Ce choix a plu au jury. Reste que de tels calculs ne doivent pas évacuer les objectifs qualitatifs ni le jugement du conseil d'administration, nuance Denis Desautels.
Outre les méthodes de calcul simples, les jurés ont apprécié le langage clair utilisé dans certaines circulaires de la direction. " Les gagnants ont bien expliqué les différentes composantes de leur régime ", estime Claude Lamoureux.
Des objectifs qualitatifs souvent flous
Quand et selon quels critères applaudirons-nous la réussite à long terme d'un pdg et de son équipe ? Chercher les réponses à ces questions dans la description des programmes de rémunération ne mène souvent pas très loin. " Peu d'entreprises définissent clairement la réussite à long terme, juge Claude Lamoureux. Les conseils d'administration veulent se laisser une marge de manoeuvre, ce qui permet parfois d'accepter l'inacceptable. "
En fait, même les conseils d'administration désireux de définir les attentes à long terme se heurtent à la complexité de la tâche, reconnaît l'ancien président de la caisse de retraite Teachers. Par exemple, il est bien difficile d'isoler l'effet des variables hors du contrôle de la direction. De son côté, Denis Desautels cible les objectifs qualitatifs, qui restent souvent bien flous. " Les conseils doivent améliorer l'identification des facteurs qualitatifs utilisés pour évaluer la performance. Cette identification devrait être très claire, ce qui n'est pas le cas actuellement. "
Spirales ascendantes
Régime de retraite, primes, rémunération totale : dans certaines industries, les entreprises succombent à la tentation et cherchent à rattraper leurs concurrents, constate John LeBoutillier. " Ça peut venir du conseil d'administration, qui craint de perdre le dirigeant ou désire reconnaître ses efforts, ou de la direction, qui souhaite améliorer son sort. "
Michel Magnan ajoute un coupable : le groupe de comparaison. Certaines entreprises incluent dans leur groupe de référence leurs gros concurrents, lesquels tiennent compte d'entreprises encore plus grandes dans le leur. Malheureusement, les circulaires ne divulguent pas clairement comment le facteur taille est pris en compte lors de l'analyse du groupe de comparaison.
Les options, encore et toujours
Certains critiques voudraient voir les options disparaître complètement des régimes de rémunération. Un des plus volubiles à ce sujet au sein du jury du concours est probablement Yvan Allaire. Reconnaissant que la disparition totale de ces programmes n'est pas réaliste, M. Allaire s'indigne néanmoins que les choses ne changent pas plus rapidement. " La proportion de la rémunération variable liée aux options reste beaucoup trop élevée. Or, les options sont difficiles à justifier dans un régime de rémunération : leur valeur est très aléatoire, un peu comme une loterie. "