BLOGUE. L’informatique dans les nuages (cloud computing, en anglais) nous fait la promesse de changer notre quotidien, en particulier au travail. Le fait de pouvoir accéder à ses données personnelles n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel appareil électronique devrait nous faciliter la vie : par exemple, il n’est plus très grave de se faire voler son portable, car les données, elles, n’ont alors pas été subtilisées par le voleur. Mais a-t-on pensé aux conséquences de cette révolution annoncée sur le management? Un homme y a songé, avec brio. Il s’agit de JP Rangaswami…
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JP Rangaswami? Il s’agit du chantre de l’informatique dans les nuages, qui a été longtemps journaliste économique et financier avant de se tourner vers les domaines de l’innovation et de la technologie. Il est aujourd’hui directeur scientifique chez Salesforce.com, après avoir occupé les mêmes fonctions chez British Telecom. À ses yeux, l’avenir qui nous attend va profondément changer notre approche du leadership…
Ainsi, JP Rangaswami (ne me demandez pas ce que signifie «JP», M. Rangaswami réussit à le tenir secret…) a indiqué dans une entrevue accordée à WE Magazine que le plus grand impact va concerner la notion de hiérarchie. «L’informatique dans les nuages va aplatir les structures des organisations. Les niveaux hiérarchiques vont perdre leur importance. Et les communications latérales vont se multiplier», avance-t-il.
Le gourou technologique estime que les barrières qui sont aujourd’hui dressées entre les différents départements, entre les équipes et même entre les gens vont se lever d’elles-mêmes, car elles ne sont qu’«une vision de l’esprit» instaurée jadis pour bien fonctionner au sein d’un groupe, vision de l’esprit qui va disparaître au profit d’une autre : «Demain, tout le monde pourra avoir accès aux données des autres. Le PDG pourra tout savoir en temps réel de ce qui se passe partout dans l’entreprise. Idem pour les autres gestionnaires, qui sauront tout de ce que font leurs confrères. Et pourquoi pas, les employés pourront s’informer sur ce qui se trame ailleurs, y compris dans les «hautes sphères» de l’entreprise», dit-il.
Cela signifie-t-il alors la disparition, à terme, de toute forme de hiérarchie? «Non, non, non. Elle va perdurer, mais pas sous sa forme actuelle. Les organisations en ont fondamentalement besoin, ne serait-ce que pour une raison comptable : il faut quelqu’un qui a un œil averti sur la santé financière du groupe et qui veille à ce que celle-ci soit bonne», explique-t-il.
Alors, quelle forme de leadership faut-il s’attendre voir émerger demain? «Diificile à dire… Ces 20 dernières années, on a eu droit à la mode du leadership en douceur (en réaction au leadership paternaliste), puis à celle du leadership d’humilité (le leader se met au service de son équipe), et il se pourrait qu’on voit émerger celle du leadership d’abnégation», dit JP Rangaswami.
Le leadership d’abnégation? C’est un pas de plus vers la perte volontaire de contrôle sur une équipe, tendance vers laquelle se dirige depuis des décennies le leadership pratiqué dans les pays occidentalisés. «C’est bien simple. Vous recrutez à prix d’or des personnes brillantes et composés ainsi une équipe fabuleuse. Au nom de quoi voudriez-vous alors leur donner des ordres? Ce serait complètement stupide d’agir de la sorte! Le mieux est donc de les laisser faire, d’avoir assez confiance en eux pour leur lâcher la bride et les laisser exprimer tout leur potentiel», poursuit-il.
Un exemple concret de ce nouveau genre de leadership existe d’ores et déjà. On peut le trouver dans le phénomène des jeux en ligne multijoueurs, à l’image de World of Warcraft (WoW). Dans un univers virtuel fantastique, chaque joueur incarne un personnage (un guerrier, un magicien, un elfe, etc.) et interagit avec les autres, de manière spontanée, sans notion d’autorité pré-établie. Les leaders y émergent d’eux-mêmes dans certaines situations, cédant le contrôle à autrui dans d’autres. Et ce, tout naturellement, car c’est au profit du groupe de joueurs qui ont décidé d’évoluer ensemble. «On développe dans WoW, entre autres, la faculté d’évoluer en-dehors de son pré carré (sandbox, en anglais). On y prend des décisions ensemble, parfois sous l’influence de celui qui semble le plus compétent dans le domaine concerné. On y prend des initiatives qu’on ne se croyait pas capable de prendre», indique-t-il.
De manière collatérale, c’est la rémunération des leaders qui devra alors être revue et corrigée, selon JP Rangaswami. De fait, l’approche actuelle est fondamentalement individualiste : si l’entreprise enregistre des gains, ce sont les leaders qui s’arrogent les plus grosses parts du gâteau. Mais dès lors que les leaders vont avoir un rôle de moins en moins prépondérant, il n’y a plus guère de raison de les voir plus récompensés que les autres. Logique, non?
Le gourou préconise ici de mettre davantage l’accent sur le partage des gains : le leader doit, bien entendu, être rémunéré en fonction de son talent (sans quoi, il n’aurait pas vraiment de motivation à travailler ici plutôt que là), mais tout comme les autres membres de l’équipe. «Là encore, on peut observer ce qui se passe dans WoW pour deviner ce que sera demain. Quand un groupe de joueurs met la main sur un trésor, ils se le partagent. En général, cela se fait de manière équitable, peu importe le leader qui a su mener les autres au butin», explique-t-il.
Une question se pose amintenant : l’informatique dans les nuages va-t-elle déclencher une révolution démocratique dans les entreprises occidentales? Ou bien, ne s’agit-il que d’une mode informatique, d’une astuce marketing, qui va s’évanouir aussi vite qu’elle est apparue? JP Rangaswami considère qu’il s’agit d’une transformation du management influencée par la technologie, une transformation inéluctable, mais qui se produira par différentes phases. Il n’y aura pas de révolution en tant que telle, mais plutôt une évolution.
«Les PME comme les grandes entreprises s’y mettront, prévoit-il. Il y aura, comme toujours, des résistances au changement. Mais rien n’y fera, pas même la taille des entreprises : IBM, pour ne prendre qu’un exemple, réussira le tour de force de devenir un éléphant qui danse!»
L’écrivain brésilien Paulo Coelho disait dans L’Alchimiste : «Lorsqu’une chose évolue, tout ce qui est autour évolue aussi»…
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