BLOGUE. Vous comme moi, vous avez des idoles (même si vous ne voulez pas trop l’avouer…). Un acteur (Sean Penn?), un écrivain (Gabriel Garcia Marquez?), un sportif (Olivier de Kersauson?), un penseur (Jacques Attali?), que sais-je encore? Ces idoles vous font rêver parce qu’elles connaissent du succès dans ce qu’elles font, et vous aimeriez bien, un jour, connaître un destin similaire, ou du moins une grande notoriété, inspiré de leurs faits et gestes. Pas vrai?
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Eh bien, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Si c’est le succès qui vous intéresse, jamais, au grand jamais, vous ne le connaîtrez. Pourquoi? Parce que si vous en faites un but premier, il n’y a que très très peu de chances que vous l’atteignez. Voire aucune. Et ce, parce qu’on ne rencontre vraiment le succès que de manière indirecte, pour ne pas dire «oblique». C’est ce que j’ai appris en lisant le passionnant Obliquity – Why our goals are best achieved indirectly de John Kay.
John Kay est professeur à la London School of Economics (LSE) et est chroniqueur au Financial Times. Il s’intéresse au phénomène de l’obliquité depuis plusieurs années et a résumé le fruit de ses réflexions dans le livre paru l’an dernier. Un ouvrage dans lequel on trouve quantité d’applications possibles en matière de management, à mon avis…
Ainsi, on nous a toujours appris que le chemin le plus court entre deux points, c’est la ligne droite, mais cet enseignement – vous l’avez sûrement remarqué – ne se vérifie pas dans notre quotidien, que ce soit pour se rendre quelque part ou pour prendre une décision. C’est même souvent commettre une erreur que d’agir de la sorte.
Dans Obliquity, M. Kay cite l’exemple d’un ami, Sir James Black, un prix Nobel de médecine, qui a fait fortune en agissant de façon oblique. Passionné de chimie, il a inventé deux médicaments, le propranolol et la cimétidine, qui ont permis aux compagnies pharmaceutiques qui les ont commercialisés d’engranger des profits faramineux, au milieu ddu XXe siècle. Idem, Henry Ford était passionné d’automobiles, et non pas obnubilé par l’argent : c’est en assouvissant sa passion qu’il a fait, obliquement, fortune. Sam Walton, le fondateur de Walmart, avait été marqué par la Grande Dépression, si bien qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il s’est dit qu’il fallait donner l’impression d’abondance, avec un grand choix de marchandises à bon prix, dans son petit magasin de Newport (Arkansas). Ou encore, Bill Gates ne pensait qu’ordinateur quand il s’est lancé dans l’aventure Microsoft, et n’avait pas pour objectif secret de devenir ainsi, un beau jour, l’homme le plus riche de la planète.
D’où un paradoxe des plus intéressants : les hommes les plus riches sont aujourd’hui ceux qui sont les moins matérialistes. Et les entreprises les plus profitables sont celles qui sont les moins orientées vers le profit.
M. Kay donne un exemple lumineux pour illustrer ce paradoxe… Bill Allen est un PDG qui a marqué l’histoire de Boeing. Il a fait de ce constructeur aéronautique l’une des firmes les plus dynamiques et profitables de ce secteur, en mettant l’accent sur sa passion personnelle pour les avions. À la fin des années 1990, un autre PDG, Phil Condit, a revu de fond en comble cette approche et a décrété qu’il était grand temps de ne plus chercher à faire de beaux avions, mais des avions rentables, très rentables, bref de ne plus vraiment penser design, mais coûts et revenus. Résultat? Airbus est alors passé devant Boeing en terme de commandes d’avions. Quand M. Condit a été remercié, on en est revenu aux principes de départ, et les profits comme la valeur du titre en Bourse – de manière oblique – se sont remis à grimper en flèche, pour le plus grand bonheur, entre autres, des actionnaires.
«L’obliquité est une nécessité, car nous évoluons dans un environnement incertain, où les liens de cause à effet sont loin d’être évidents. Par exemple, on pourrait croire que le principe de la carotte et du bâton est efficace pour diriger des employés, mais en réalité, ce n’est applicable qu’aux ânes, c’est-à-dire que dans les cas où les données sont simples. Et inciter un âne à avancer n’a rien à voir avec inciter les autres à être plus efficaces dans leur travail. Agir de façon directe est contre-productif», écrit le professeur de la LSE.
Le cas de Marks and Spencer est éclairant à ce sujet… La chaîne de vêtements jouit depuis des décennies en Grande-Bretagne d’une image remarquable selon laquelle elle se soucie grandement de ses employés. Dans les faits, d’autres firmes agissent tout aussi bien que Marks and Spencer, voire mieux, mais sans bénéficier d’une telle aura. C’est que tout est parti d’un anecdote. Un jour que Simon Marks visitait l’un des magasins de sa chaîne, il a appris que le mari et les enfants d’une employée ne mangeaient pas à leur faim. Il a réagi spontanément en décidant d’offrir aux employés la possibilité de se procurer des repas de très bonne qualité, à prix modique (les économies ainsi faites permettant aux familles des employés d’avoir plus d’argent pour se nourrir). Il n’y avait là aucun calcul de la part de M. Marks, simplement un geste en faveur des membres de sa grande équipe, qui, de manière oblique, a eu un effet incroyable sur l’image de toute l’entreprise.
«Dire «Nous nous soucions de nos employés» n’est pas du tout la même chose que de dire «Nous avons instauré un nouveau régime de retraite, après avoir fait appel à un cabinet-conseil pour voir ce qu’offraient nos principaux compétiteurs et après avoir calculé que celui-ci nous permettrait de diminuer le taux de roulement du personnel, voire d’augmenter la valeur de notre titre en Bourse»», souligne M. Kay.
Par conséquent, mieux vaut, pour vous comme pour moi, ne plus regarder d’un mauvais œil les décisions spontanées, comme si elles allaient irrémédiablement nous mener droit dans le mur. Au contraire, c’est agir de manière directe qui est la façon erronée de faire. Moins de caculs, tel semble le secret du succès. «D’autant plus qu’il est impossible d’avoir, dans nos environnements complexes, toutes les données nécessaires pour faire un calcul exact», insiste John Kay.
Je sais que cela n’est pas facile, que cela nécessite de se faire plus confiance que ce qu’on est habitué de faire. Mais cet exercice sur soi ne peut être que bénéfique. Une image pour s’en convaincre, donnée par le professeur : après l’effondrement de l’Union soviétique, un haut-dirigeant soviétique qui avait été chargé de la Planification a fait une visite à New York, et s’est étonné auprès de ses hôtes : «Mais qui s’occupe de fournir le pain aux New Yorkais?»; et il est tombé des nues quand il a entendu la réponse : «Eh bien… Personne. Ça se fait tout seul, sans que les autorités n’interviennent». À trop vouloir tout calculer et tout contrôler, les Soviétiques n’avaient réussi qu’à créer une pénurie de pain (on se souvient des longues files d’attente, symbole des pays de l’Est de cette époque)…
Un proverbe chinois dit : «S’éventer avec un éventail ne vaudra jamais le vent qui souffle»…
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