La durée de vie moyenne d'un modèle de voiture est actuellement de cinq ans, à de rares exceptions près. Au cours de ces cinq années, chaque modèle subira en général une, parfois deux évolutions avant d'être profondément renouvelé. Lorsqu'un manufacturier procède au dévoilement et à la commercialisation d'un véhicule dans un territoire donné, l'investissement est majeur, mais le risque est encore plus élevé, puisqu'il lui faudra conserver le véhicule durant de longues années dans son catalogue. Voici, étape par étape, les différentes opérations qui précèdent le lancement d'un nouveau modèle.
1 Quatre ans de réflexion et de préparation
Le lancement fait l'objet d'une évaluation soignée, non seulement sur le plan de l'ingénierie au moment de la conception du véhicule, mais aussi - et surtout - en ce qui concerne la stratégie, puisqu'on doit faire en sorte qu'il corresponde au marché auquel il s'adresse.
La décision de lancer la Nissan Micra au Canada relève presque d'un excès de confiance. La petite voiture a beau être offerte dans plus de 160 pays, le fait qu'elle ne soit pas vendue aux États-Unis complique considérablement son apparition en Amérique du Nord.
La raison est simple : même si le marché canadien est le huitième en importance pour Nissan, le nombre d'unités vendues par modèle justifie difficilement un tel coup d'éclat. Il s'est, par exemple, écoulé 12 497 Nissan Versa en 2013, la concurrente directe de la Micra dans son segment.
Pour le président de Nissan Canada, Christian Meunier, l'arrivée de la Micra relève d'abord de la stratégie.
Le dossier, en cours d'étude depuis plus de quatre ans, soit bien avant l'arrivée de M. Meunier à la tête de l'entreprise, remplit une mission précise : jouer la carte de l'économie pour attirer les jeunes qui deviendront ensuite des clients réguliers.
«La première étape, avant même de penser à importer un quelconque modèle de voiture, c'est d'entrevoir son usage dans notre marché. Dans le cas de la Micra, nous jouons la carte du prix et du style européen», souligne le président de Nissan Canada.
«Nous voulons faire comprendre aux automobilistes canadiens qu'ils peuvent se procurer une voiture neuve au prix d'une voiture d'occasion», ajoute M. Meunier.
La démarche n'a pas été facile. Il a fallu obtenir l'aval de la direction et convaincre les dirigeants japonais et américains du bien-fondé de la décision. Car même si, techniquement, la division canadienne est autonome, elle relève de la zone Amérique et doit s'y rapporter. Il a donc fallu miser sur les projections de vente, mais surtout sur la progression anticipée de la clientèle pour convaincre les dirigeants.
Impossible d'obtenir les données exactes des ventes prévues de la petite voiture. Tout au plus, Nissan confirme qu'elle souhaite occuper 25 % du marché des sous-compactes avec sa Micra et sa Versa Note, un segment qui vend près de 100 000 unités par année au pays.
Il a fallu deux ans de discussions et de préparation de plans d'affaires pour convaincre les dirigeants de Nissan d'aller de l'avant. Une disposition d'esprit qu'on a pu obtenir notamment grâce à la progression importante des ventes de la marque depuis quelques années.
«Soyons clairs. Nous ne misons pas nécessairement sur une rentabilité à court terme pour la Micra, mais nous utilisons ce genre de modèles pour promouvoir l'image de notre marque. C'est d'abord une stratégie marketing. À voir l'intérêt suscité par la voiture jusqu'à maintenant, nous sommes confiants», souligne M. Meunier.
La stratégie de Nissan tient également compte du reste de la gamme, puisque le constructeur vient d'annoncer l'abandon de la Versa berline, une autre concurrente de la Micra dans son créneau.
2 Une étude ethnographique poussée
Une fois les dirigeants internationaux de Nissan convaincus, il fallait aussi s'assurer que les Canadiens voulaient du produit. Avant de lancer la Micra, plus de trois années d'analyses et de consultation ont été nécessaires. Une étape un peu plus longue qu'à l'habitude, mais que tous les modèles doivent subir.
«C'est en fait une étude de marché très poussée», explique Andrew Milton, responsable du marketing pour la Micra. «Nous devions d'abord déterminer s'il y avait un marché chez nous et de quelle façon il serait perçu, d'autant plus que nous avions déjà d'autres véhicules dans le même créneau», explique le responsable.
L'étude a d'abord porté sur la concurrence. Elle a permis d'établir les trois types de clients potentiellement intéressés par la Micra : les acheteurs de véhicules d'entrée de gamme qui misent sur l'économie, les acheteurs d'autos d'occasion et les acheteurs d'un premier véhicule.
Forte de ce constat, l'équipe Nissan a poursuivi par une analyse ethnographique plus précise, de façon à déterminer avec précision le portrait de l'acheteur type. Alors que l'acheteur de première voiture semble avoir un profil assez simple, comme être au début de la vingtaine, «les acheteurs de voitures d'entrée de gamme sont plutôt à la fin de la vingtaine, début de la trentaine, et soucieux de leur argent plutôt que du simple plaisir de conduire», continue Andrew Milton.
Ils sont aussi sensibles au style de l'auto - ils doivent être fiers de leur voiture même si elle est peu coûteuse - et l'économie d'essence est une priorité, en plus du prix d'achat.
En se fondant sur ces constats, et de nombreux autres indices, dont le revenu moyen, l'équipe de recherche a créé des groupes témoins à Montréal, Toronto et dans les Prairies. Ce dernier groupe a connu moins de succès en raison de l'intérêt plus limité dans ce coin de pays pour les voitures de petite taille.
«Nous avons rencontré des dizaines de gens, recueilli leurs commentaires, évalué leur style de vie et même enquêté sur leur environnement immédiat. Ce sont tous des facteurs qui nous aideront à produire un message efficace le moment venu, mais surtout à créer la voiture parfaite pour le marché.»
Car une fois l'étape de la recherche passée, c'est au tour de l'équipe chargée du développement du produit de créer la voiture parfaite, avant le lancement.
Sans surprise, les études marketing ont prouvé que 50 % des Nissan Micra devraient être vendues au Québec, tant comme deuxième auto de la famille que comme voiture pour étudiants.
3 Un modèle adapté au marché canadien
Une des particularités de la Nissan Micra : elle est basée sur une structure européenne et mondiale, dont les critères ne répondent pas nécessairement aux goûts et besoins des Canadiens.
C'est là qu'intervient le directeur de la planification des produits, Tim Franklin. En s'appuyant sur les recherches marketing et sur sa connaissance du marché au pays, il proposera des changements à la voiture pour qu'elle réponde mieux aux goûts des acheteurs canadiens.
Par exemple, la Micra canadienne sera dotée d'un moteur à quatre cylindres, en opposition à la version à trois cylindres offerte en Europe. Ce n'est là qu'un seul des multiples changements exigés par l'équipe du Canada.
«Puisque nous sommes les premiers en Amérique à vouloir la Micra, disons que nos exigences ont été bien accueillies. En fait, au fil des mois, nous avons travaillé avec les ingénieurs pour créer de nouvelles fonctionnalités à la voiture qui, depuis, ont trouvé leur place aussi sur les versions européennes», explique-t-il.
Pour ce faire, Tim Franklin a dû faire de nombreux allers-retours entre le Japon, le Canada et les États-Unis. Il a dû prouver la rentabilité des changements exigés.
C'est en mettant à l'épreuve la Micra au Canada que l'on a pu évaluer ses forces et ses faiblesses, et proposer des modifications. Ainsi, quelques prototypes ont parcouru plus de 25 000 kilomètres sur les routes canadiennes avant de recevoir l'approbation finale.
Parmi les nouveautés conçues spécifiquement pour le modèle canadien, mentionnons la présence de barres de torsion à l'avant et à l'arrière, «une innovation rendue nécessaire par la qualité douteuse des routes québécoises», a précisé le représentant de Nissan.
On a aussi rendu le châssis plus dynamique, modifié les suspensions, changé les sièges d'origine et utilisé d'autres pneus, notamment pour proposer des dimensions plus faciles à gérer lors de l'installation de pneus d'hiver. «C'est simple, il faut créer une voiture qui satisfait le marché canadien. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'une voiture peu coûteuse, mais nous voulons qu'elle réponde aux exigences, tout en offrant une valeur maximale.»
Créer un choc
C'est aussi à Tim Franklin et à son équipe que revient le dernier mot pour la toute dernière étape : le lancement et le dévoilement du prix. «Nous voulons créer un choc. Bien sûr, à moins de 10 000 $, la Micra est une version de base, mais elle reprend toutes les exigences qui ont été relevées au cours du processus. Quand les gens s'y assoiront, ils devront obtenir tout ce à quoi ils s'attendent, et c'est l'objectif que nos trois années de recherches devraient permettre d'atteindre», conclut-il.
La Nissan Micra fera son apparition sur les routes canadiennes en avril. La campagne de publicité, tournée majoritairement vers le Québec, bat déjà son plein.