Cinq mille dollars pour ajouter de la mémoire dans les ordinateurs des employés. C'est la première décision qu'a prise Claude Roy lorsqu'il est devenu pdg de Mediagrif en décembre 2008.
« Les bureaux étaient sombres et encombrés, le matériel, vieillot. Mais surtout, il n'y avait pas de capitaine. Les employés étaient laissés à eux-mêmes. L'exploitation des plateformes, cloisonnée. Aucune synergie, aucun partage de ressources. »
Claude Roy, à l'origine de la réussite de la firme de logiciels de gestion pour hôpitaux Logibec, avait pour mandat de faire le ménage et d'améliorer la performance financière de Technologie Interactives Mediagrif. Il est en bonne voie de réussir. Son arrivée a dynamisé l'entreprise de sites transactionnels, qui a acquis entre 2010 et 2013 quatre nouvelles plateformes : le site de transfert électronique de documents de la chaîne d'approvisionnement InterTrade au coût de 8,1 millions de dollars, le site de petites annonces LesPAC.com pour 72,5 millions de dollars, ainsi que les sites de recrutement Jobboom et de rencontres Réseau Contact pour 65 millions de dollars. En cinq ans, l'action a bondi de 1,73 à 18dollars, et les revenus sont passés de 48 à 61,3 millions de dollars.
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Ses 18 premiers mois chez Mediagrif, l'homme d'affaires les a consacrés à jouer du ciseau. Il a centralisé des fonctions, fermé des bureaux, regroupé la gestion de certaines plateformes. Il a aussi revu les contrats des cadres. Certains sont partis, d'autres ont pris du galon. Des recrues ont été embauchées à des postes clés. Et le siège social a déménagé dans des locaux plus modernes et plus conviviaux, à deux pas du métro Longueuil.
Claude Roy, qui aime donner de la couleur à ses propos, compare cette période de changement à une expédition dans la forêt tropicale. « Vous entrez en terre inconnue. Pour avancer et surmonter les obstacles, il vous faut une garde rapprochée, des alliés. Impossible de le faire seul. Je me suis entouré de gens de confiance, d'une équipe de direction solide. Et c'est ensemble qu'on a changé la culture d'entreprise. »
La nouvelle direction a marqué des points auprès des troupes, notamment en rendant le régime d'achat d'actions accessible à tous, et plus seulement aux cadres. En même temps, elle a aboli les options d'achat d'actions. « C'était distribué aux cadres comme des bonbons, dit Claude Roy. Quand on achète des actions avec son argent, on est plus motivé à travailler à la réussite de l'entreprise. » L'accent a aussi été mis sur la communication. « Avant, personne ne savait rien. Maintenant, nos gens sont informés de ce que nous voulons faire et comment. »
Croissance interne recherchée
Cependant, si Claude Roy a relancé Mediagrif de belle façon, il n'a pas encore réussi à générer de croissance interne. Les nouveaux revenus proviennent essentiellement des acquisitions.
« Il y avait déjà très peu de croissance interne sous l'ancienne direction et cela perdure, même si Claude Roy a rentabilisé l'entreprise, remarque Philippe Le Blanc, président de la firme de gestion de portefeuille Cote 100. Mediagrif serait mieux évaluée s'il y en avait, mais j'ai confiance : sa stratégie, qui consiste à concentrer les investissements sur les divisions en croissance, portera ses fruits. »
L'entreprise de 390 employés axe en effet ses efforts de développement sur les plateformes qui augmentent leurs revenus d'année en année, dont les quatre sites achetés depuis trois ans. Entre autres changements, le site LesPAC a été revampé, et son moteur de recherche, amélioré. Et il est désormais possible de partager sur les médias sociaux les annonces qui y sont publiées. L'entreprise s'est également lancée dans les ventes croisées en ajoutant un lien vers son site de rencontres Réseau Contact. Même stratégie avec Jobboom. Les résultats sont prometteurs, selon Claude Roy, qui indique qu'une équipe se consacre maintenant au marketing croisé et à l'enrichissement du contenu des sites consommateurs. « L'augmentation du trafic, c'est une science. Avant, nous n'avions pas ces experts-là. »
Il reste toutefois convaincu que le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissement (BAIIA) de 38 % de Mediagrif est un meilleur indice de sa bonne santé que son taux de croissance interne. Voilà pourquoi il n'a pas l'intention de se défaire des plateformes en perte de vitesse comme Market Velocity ou Broker Forum. « Leurs revenus diminuent parce que leurs marchés diminuent, explique-t-il. Par exemple, les composants électroniques sont moins recherchés, car on jette les produits au lieu de les réparer. Mais les plateformes sont encore très profitables. Pourquoi les vendre ? » Philippe Le Blanc approuve. « Tant qu'elles sont rentables, c'est une bonne chose de les garder et d'investir leurs profits dans les autres sites. »
À court terme, Claude Roy s'emploie également à retrouver les revenus perdus par son réseau MERX à la suite du non-renouvellement du contrat avec Travaux publics et services gouvernementaux Canada, qui a migré vers un système interne il y a un an. « Nous avons déjà regagné 27 % de la business. Les fournisseurs reviennent vers nous même s'ils doivent payer, car notre système est plus performant. De plus, nous avons signé avec de nouveaux donneurs d'ordres, comme Jones Lang Lasalle. »
Des acquisitions en vue
Des acquisitions en vue
Chose certaine, Claude Roy garde le cap sur la croissance par acquisitions, une stratégie qui lui a souri jusqu'ici. « Plein d'entreprises grandissent par acquisitions et ont peu de croissance interne. Regardez Couche-Tard ! Et chez Logibec, c'est de cette façon que nous avons été chercher 13 % du marché de l'hébergement de longue durée aux États-Unis. Sans cela, ça aurait pris une éternité. »
Justement, Mediagrif a deux entreprises américaines dans sa mire, l'une dans le secteur de l'échange électronique de données, et l'autre, dans celui des appels d'offres publics et privés. « Ce sont deux secteurs que nous comprenons bien et pour lesquels nous sommes équipés, grâce à nos plateformes InterTrade et MERX. »
Ces deux cibles répondent à ses six critères d'achat : ce sont des sociétés Web, nord-américaines (« parce qu'on connaît les règles »), acceptables sur le plan éthique (« on ne se lancera pas dans les sites d'adultère ou de jeu en ligne »), qui ont des revenus transactionnels ou récurrents, dont les fonctions peuvent être intégrées aux siennes, et dont le prix de vente est de 10 à 50millions de dollars. À cette liste s'ajoute une considération plus subjective : Claude Roy écoute sa voix intérieure, ainsi que l'opinion des quatre personnes qui travaillent avec lui aux acquisitions. L'équipe n'hésite pas à reculer quand ce système d'alarme intérieur la met en garde. Comme l'an dernier, alors qu'elle finalisait l'achat d'une entreprise qui complétait bien une plateforme de Mediagrif. « Elle était trop petite et sa propriété intellectuelle était dans la tête du propriétaire, dit Claude Roy. Nous aurions perdu trop de temps avec ça pour ce que cela aurait rapporté. »
Et que dire de la fois où, alors qu'il était à la barre de Logibec, Claude Roy a failli acheter... Mediagrif ? « La veille du lancement d'une offre d'achat hostile pour laquelle nous avions obtenu un prêt de 160 millions de dollars, j'ai mal dormi. Ce n'était pas compatible avec nos activités. C'était trop risqué. »
Si Mediagrif n'était pas destinée à s'unir avec Logibec, elle était faite pour Claude Roy. Celui-ci détient 21,27 % des actions de l'entreprise, ce qui fait de lui l'actionnaire le plus important. « J'ai emprunté 11 millions de dollars pour acheter un bloc de contrôle. Je ne peux pas y croire plus que ça. »
La qualité des dirigeants de la société est un de ses principaux atouts, selon Maher Yaghi, analyste chez Desjardins. « Beaucoup d'investisseurs qui ont fait de l'argent avec Logibec ont suivi Claude Roy dans sa nouvelle aventure. Jusqu'ici, il a amélioré de façon significative le bénéfice de l'entreprise. Mais le titre s'adresse aux investisseurs patients, car il lui faudra encore du temps pour atteindre son plein potentiel. »
Ce qui tombe bien, car à 66 ans, le principal intéressé ne songe pas encore à la retraite. « Pour faire quoi ? Aller en Floride ? J'ai un condo là-bas et je m'ennuie après trois ou quatre jours. » Ce qui l'allume, c'est de créer une entreprise performante et de la faire grandir. Avec son équipe de direction, il entend donc piloter d'autres acquisitions, dont les deux qui sont prévues aux États-Unis. Il s'est aussi fixé pour objectif de faire passer la capitalisation boursière d'environ 300 à 500 millions de dollars d'ici deux ans, et dès cette année, de ramener sa marge BAIIA à plus de 40 %. Clairement, Claude Roy n'a pas encore dit son dernier mot.
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61,3 M$ : Chiffre d'affaires en 2013
21,27 % : Part des actions de Mediagrif que possède Claude Roy.
500 M$ : Capitalisation boursière que vise Mediagrif d'ici un an ou deux. Sa valeur est actuellement d'environ 300 millions de dollars.
30,5 M$ : Investissement personnel de Claude Roy dans Mediagrif