Une des façons de prospérer dans l’économie de l’avenir, c’est de percer les marchés D’exportation… de l’avenir. Comment ? Grâce à des produits de niche et à de bons partenaires.
À Shenzhen, dans le sud de la Chine, une serre de trois hectares produit pas moins de 12 millions de laitues Boston par an. Elles seront vendues en vrac dans les marchés publics chinois.
L’immense serre fonctionne grâce au système clé en main issu d’un projet de recherche et dévelop-pement qui remonte aux années 1980. La techno-logie est totalement québécoise et a été mise en marché par une entreprise de Mirabel, Hydronov. Celle-ci se positionne dans un secteur d’activité assez restreint : la culture hydroponique de laitue « la plus productive du monde », selon Luc Desrochers, le président de l’entreprise.
Il n’y a pas qu’aux alentours de Shenzhen que vous trouve-rez la laitue Boston de Luc Desrochers. Elle pousse également dans cinq autres serres de Chine, dont l’une dans les environs de Pékin, et l’autre à Shanghaï. Dire qu’il y a quelques années encore, la laitue Boston était pour les Chinois aussi exotique que le kiwi l’était pour nous il y a 30 ans !
Et l’entreprise n’est pas présente qu’en Chine. Elle a aussi réalisé des projets au Japon, au Mexique, aux États-Unis, en Martinique, en Côte d’Ivoire, en Angola, et bien sûr, au Québec. Cette réussite d’Hydronov à l’international a de quoi rendre jalouses des entreprises bien plus imposantes. En dépit de moyens modestes, l’entreprise a su s’implanter dans un des marchés les plus dynamiques et les plus convoités par tous les entrepreneurs du monde.
Autrefois, une percée dans le marché américain était la consécration pour une entreprise. Désormais, il faut conquérir la Chine, l’Inde ou le Brésil.
Malgré leurs 2,6 milliards d’habitants et des croissances économiques record, ces trois marchés ne comptent encore que pour 5,1 % (3 G$) de la valeur des exportations québécoises. C’est une goutte d’eau par rapport aux 40,1 milliards de dollars que représente le marché américain.
Cependant, les temps changent. La domination des États-Unis en tant que destination finale de la majorité de nos expor-tations diminue.
Depuis 2001, la part des produits que nous exportons vers les États-Unis a reculé de 33 %, tandis que celle du Brésil, de la Chine et de l’Inde a bondi de 233 % en moyenne.Les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) représentent 42 % de la population mondiale. Parmi ces milliards de gens, une classe moyenne émerge qui achète des autos, des vêtements griffés, des micro-ondes…
De plus, dans ces économies en ébullition, tout est à cons-truire : routes, ponts, barrages hydroélectriques, aéroports, usines... Certaines études estiment que d’ici 2025, il poussera, en Chine pas moins de cinq millions d’immeubles, dont
50 000 gratte-ciel... soit l’équivalent de dix fois New York !
« Il y a beaucoup de potentiel pour les entreprises qui gravitent autour de la construction, de l’acier, du béton ou
encore pour les grands cabinets d’ingénieurs-conseils tels que SNC-Lavalin », dit Simon Prévost, président de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.
« Il nous semble très important que les entreprises québécoises explorent ces marchés, dit Michel Lefebvre, vice-
président, Développement des affaires au Québec de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDP). Les marchés américains ou européens ne sont pas à négliger, mais ils ne connaîtront pas la croissance des pays émergents.
« Il y a trois ou quatre ans, nous étions en mode défensif en ce qui concerne les pays émergents, car ils consommaient peu, mais exportaient beaucoup, ajoute son collègue Normand Provost, vice-président, Placements privés, à la CDP. Il faut maintenant passer au mode offensif. »
D’accord, mais comment faire ?
Viser l’échange culturel avec un produit de niche
La Chine est située à 10 400 kilomètres environ du Québec. Pour nombre d’entrepreneurs, cette distance correspond à peu près à la largeur du fossé qui sépare leur culture de la nôtre.
Une langue différente. Des règles, des lois, des normes diffé-rentes. Des façons différentes de gérer, de diriger, de négocier, de vendre, de consommer. Tout est à réapprendre.
Aussi, l’entrepreneur qui se tourne vers le monde doit-il purger de son vocabulaire les allusions guerrières (conquérir,
envahir, attaquer un marché). La découverte du marché de la Chine (ou de l’Inde, ou du Moyen-Orient) doit se faire dans un esprit d’ouverture, de respect et de curiosité.
« L’entreprise doit être flexible, dit Luc Desrochers, président d’Hydronov. Il ne faut pas arriver là en bulldozer, ni avec
méfiance... et il ne faut pas toujours s’attendre à recevoir un paiement dans les 30 jours ! »
L’aventure d’Hydronov est un bel exemple d’échange culturel entre la Chine et le Québec. Après tout, c’est elle qui a introduit la laitue Boston dans l’empire du Milieu.
« Dans le sud de la Chine, la consommation de légumes crus n’était pas une coutume répandue, explique celui qui développe son système depuis les années 1980. Nous avons dû produire des livres de recettes en chinois pour montrer aux consommateurs comment apprêter la laitue Boston. »
L’entreprise se positionne dans un secteur d’activité assez restreint. S’il est périlleux d’espérer vendre des produits de consommation de masse aux populations des pays émergents, en revanche, ces régions du monde ont soif de technologies de pointe et d’expertises uniques.Le fait d’entrer dans un pays émergent avec un produit ou un service aux caractéristiques novatrices est une stratégie
gagnante. « Cela permet à une entreprise de plus petite taille de se démarquer dans des marchés étrangers », affirme Simon Prévost, président de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.
Il est plus facile de tirer son épingle du jeu lorsqu’on n’a pas à jouer des coudes avec 50 concurrents. Encore faut-il offrir un produit ou un service qui est recherché.
« Il faut investir non seulement en R-D, continue Simon Prévost, mais aussi en amont, dans ce qu’on appelle l’analyse de valeur. On évalue ainsi dans quelle mesure le produit ajoute de la valeur au client par rapport à l’offre déjà existante. »
Difficile de saisir les besoins précis des clients lorsqu’ils sont à l’autre bout du monde. Pour y parvenir, un gestionnaire ou un entrepreneur doit être prêt à sortir son passeport souvent !
Cogiscan, une firme d’informatique de Bromont qui compte 18 employés, doit aussi ses succès en Chine à ses produits
de niche. L’entreprise fournit à des usines d’assemblage électronique un logiciel qui retrace l’origine de chaque composante
entrant dans la fabrication d’un produit.
Cette application, qui répond à un besoin industriel bien précis, permet d’augmenter la productivité des usines. « L’entreprise réalise des gains de productivité qui lui permettent de payer le coût du logiciel en moins d’un an », soutient Vincent Dubois, président de Cogiscan.
Cette PME fondée par trois anciens ingénieurs d’IBM réalise maintenant environ 20 % de son chiffre d’affaires en Asie. Elle a aussi vendu son logiciel en Europe, en Inde et aux États-Unis.
L’esprit de collaboration
Cogiscan n’aurait pas pu percer en Chine sans un partenaire local. Trouver le bon associé n’est toutefois pas chose facile. « Pour la Chine, explique Vincent Dubois, nous sommes passés par Hong Kong. Là-bas, les gens ont un pied dans la culture
occidentale et l’autre dans la culture chinoise. »
« Pénétrer des marchés étrangers, ajoute Michel Leblanc, c’est d’abord trouver des personnes avec qui collaborer. Le réseau local est essentiel, car le monde des affaires est toujours local. »
« Le monde est vaste, et le conquérir coûte cher, dit Normand Provost. La formule du partenariat est populaire parce que
les moyennes entreprises n’ont souvent pas les moyens de partir de zéro. »
Les associations entre les entreprises québécoises et leurs partenaires à l’étranger prennent plusieurs formes.
Fraco, une entreprise de Saint-Mathias-sur-Richelieu qui conçoit des plateformes élévatrices pour l’industrie de la
construction, a réussi à décrocher un contrat de sept millions de dollars pour la réalisation d’une artère commerciale au Qatar. Pour y parvenir, elle s’est associée à deux sous-traitants locaux.
Moderco, un fabricant de cloisons mobiles, développe depuis une quinzaine d’années un réseau qui compte aujourd’hui une cinquantaine de distributeurs un peu partout en Amérique du Sud. « Nous avons des relations privilégiées avec ces gens-là », explique Michel Julien, président de l’entreprise. Dans certains cas, le lien dépasse celui du traditionnel fabricant/distributeur. « Parfois, une partie du produit est faite à Montréal, mais le produit final est fabriqué dans l’autre pays. »Une autre façon de percer le marché mondial consiste à se greffer à de grandes multinationales. Au Québec, la firme d’ingénierie SNC-Lavalin, qui mène des projets dans une centaine de pays, est un intermédiaire précieux entre le monde et les entreprises d’ici. « Plusieurs PME québécoises ont collaboré avec nous sur des projets internationaux », indique Ronald
Denom, président de SNC-Lavalin International. L’an dernier, le groupe a confié des commandes internationales d’une valeur de 266 millions de dollars à des sociétés québécoises.
« Les pays émergents veulent surtout que des entreprises étrangères viennent s’installer chez eux, dit Simon Prévost. Il sera bientôt de plus en plus difficile d’envoyer simplement un conteneur en Inde. Le modèle qui s’impose, c’est la coentreprise (joint venture). Ce modèle existait déjà, mais il est devenu quasiment une exigence dans les pays émergents. »
Simon Prévost observe que parfois, la coentreprise reste sous le contrôle du partenaire étranger. « C’est du 51 %/49 %, mais c’est tout de même intéressant pour l’entreprise québécoise, poursuit-il, car les revenus qu’elle génère à l’étranger lui permettent de soutenir des activités ici. Cela donne aussi à l’entreprise les moyens de se développer, d’investir en R-D et, ainsi de garder sa longueur d’avance. »
Garder une longueur d’avance, c’est au fond l’objectif de toute entreprise. Réussir en affaires aura toujours été une forme
de course.
Seulement, désormais, c’est une course autour du monde...