Quatrième plus importante compagnie d'assurance de personnes au pays, l'Industrielle Alliance (Tor., IAG, 45,38$) mène une stratégie de croissance à long terme. À la barre de la société depuis 13 ans, Yvon Charest présente comme un choix à la fois offensif et défensif l'objectif de «développer agressivement les activités de gestion de patrimoine», un créneau devenu capital pour l'assureur de Québec comme pour l'ensemble du secteur financier.
L'homme a la réputation d'être un capitaine plutôt discret et très réfléchi, mais quand il parle de la performance de sa société, on sent vite poindre la passion.
«C'est une question de quelques trimestres avant que l'actif sous gestion et administration dépasse les 100 milliards de dollars», lance le président et chef de la direction en entrevue au siège social de l'assureur à Québec. Grâce à l'acquisition du courtier et gestionnaire de patrimoine Jovian Capital en octobre dernier, l'actif sous gestion de l'Industrielle a bondi de 6 G$, à près de 95 G$.
M. Charest, actuaire de formation à l'emploi de l'Industrielle Alliance (IAG) depuis 34 ans, a accédé au plus haut échelon en 2000, au moment où l'assureur de la Grande Allée quittait le statut de mutuelle pour devenir une société inscrite à la Bourse de Toronto. «Ma plus grande satisfaction est de voir la reconnaissance des investisseurs par l'évolution du prix de l'action», dit-il, avec l'air d'une personne qui a le sentiment du devoir accompli.
En 2000, l'Industrielle était la quatrième société de son secteur au chapitre de la performance boursière. Deux des trois principaux assureurs canadiens ont eu la vie plus difficile lors de la crise de 2008, ce qui a permis à l'Industrielle d'accéder régulièrement au deuxième rang, derrière la Great-West. «Depuis un an et demi, on commence à visiter le premier rang», dit M. Charest. En 2013, l'action s'est appréciée de 49,6 % par rapport à une performance moyenne de 44 % pour ses rivales Manuvie, Sun Life et Great-West. Sur une période de cinq ans, l'action d'IAG a grimpé de 101,4 %, contre 30,3 % pour les trois autres.
Selon Vincent Lui, analyste de Morningstar, la performance de l'Industrielle est le fruit d'une solide culture de gestion du risque pratiquée par Yvon Charest.
Aux yeux du principal intéressé, la vraie mesure pour une société de services financiers est celle de la valeur comptable. Exhibant une présentation destinée aux investisseurs institutionnels, il insiste sur le tableau montrant que, depuis la fin de l'année 2000, cette donnée a connu une croissance annualisée de 9,4 %. L'objectif pour l'ensemble de 2013 est de 8 %. À la fin du troisième trimestre, le résultat s'élevait déjà à 7 %.
Faire grimper le bénéfice par action
Dans sa planification pour 2012-2015, l'assureur s'était fixé l'objectif de faire passer son bénéfice par action de 1,20 $ à l'exercice 2011 à 4 $ en 2015. Il devrait se situer à 3,48 $ en 2013, selon l'ensemble des analystes.
Pour y parvenir, la société a établi quatre priorités. La réduction d'environ 40 % du «drain», soit les coûts pour attirer de nouveaux clients. Cet objectif a déjà été atteint, grâce à une politique de tarification reposant sur trois hausses des prix en deux ans. Les ventes ont peu souffert de cette décision, car les autres assureurs lui ont emboîté le pas.
La direction se considère aussi en avance sur son échéancier pour accroître de 15 % le chiffre d'affaires réalisé dans les activités qui nécessitent peu de capital, comme les fonds communs et les services vendus par l'entremise des concessionnaires automobiles (assurance-prêt et garanties prolongées).
L'assureur maintient le cap sur une augmentation de 35 % dans ses activités traditionnelles (assurances et rentes individuelles et collectives). De plus, tous les secteurs d'activités de l'Industrielle doivent réduire leurs coûts unitaires d'ici 2015, ce qui représente environ 10% de la croissance visée.
Profiter de la tendance démographique
La gestion de patrimoine revêt une grande importance dans la stratégie de la société. Pour l'illustrer, Yvon Charest s'appuie sur «une tendance démographique irréfutable, peu importe qu'on vende des téléphones portables ou des services financiers». Au cours des 40 prochaines années, la population du Québec ne croîtra en moyenne que d'un tiers de 1 % par an. Le seul groupe d'âge en croissance sera celui des 65 ans ou plus. «Il faut être bien équipé pour s'occuper de l'épargne», dit-il.
L'assureur a mis les bouchées doubles pour se tailler une place de choix dans les fonds communs et les valeurs mobilières depuis 10 ans. En 2006, au moment de l'acquisition de Clarington, l'Industrielle avait comme rivale Placements CI. Des analystes disaient alors que la québécoise était trop petite et arrivait trop tard dans le créneau des fonds. Cela ne l'a pas empêché de passer de la 45e position à la 15e en ce qui a trait aux volumes gérés.
La gestion de patrimoine demeurait toutefois «un chaînon manquant». Jovian pallie cette faiblesse et lui permet d'ambitionner de devenir un acteur important dans ce marché prometteur. Yvon Charest affirme qu'il reste encore du potentiel de croissance en gestion de patrimoine, «même si on est 12 gros joueurs sur la même patinoire avec la même ambition : que le plus de consommateurs utilisent nos produits financiers». Les 11 adversaires que le patron d'IAG surveille sont les cinq grandes banques, les trois géants des «fonds communs», dont Placements CI, ainsi que les québécoises Desjardins, Banque Nationale et Banque Laurentienne.
L'offensive de l'Industrielle dans ce secteur a augmenté les besoins d'analyse, ce qui a justifié la création d'un poste d'économiste en chef pour lequel l'ex-ministre du Développement économique du Québec, Clément Gignac, a été recruté il y a plus d'un an.
Les États-Unis, passage obligé
IAG a été le premier assureur du Québec, en 1982, à prendre de l'expansion hors de la province, où la tarte devenait trop petite pour les acteurs locaux. À la fin de 2012, 58 % de ses primes et dépôts venaient de l'extérieur de la province, par rapport à 45 % en 2002.
Dans l'univers canadien de l'assurance, la consolidation s'est accélérée ces dernières années, et il reste peu d'occasions d'achat, note M. Charest. Les acteurs mondiaux se sont presque tous retirés. Peu de temps après notre entrevue, Desjardins a éliminé une autre cible potentielle en achetant les activités canadiennes de la mutuelle américaine State Farm, qui offre de l'assurance et des fonds communs.
Aux États-Unis, en revanche, le marché est 15 fois plus gros qu'au Canada, et les acteurs internationaux abondent. IAG y centre ses efforts sur le marché «sous-desservi» des familles à revenu moyen et des aînés.
Une acquisition d'envergure au sud de la frontière pourrait être nécessaire pour réduire sa dépendance au marché canadien, d'où elle tire 90 % de ses primes et revenus d'honoraires. Selon Vincent Lui, de Morningstar, le fait qu'IAG n'a pas une empreinte mondiale et une offre de produits plus diversifiée, à l'instar de Manuvie, la freine dans son ascension au sein du top trois des assureurs canadiens.
L'assureur dispose d'un capital excédentaire de 300 M$ à 350 M$, tout en respectant ses cibles de solvabilité et d'endettement, calculait en novembre Peter Routledge, de la Financière Banque Nationale. Cela lui donne la flexibilité pour réaliser d'autres acquisitions et enrichir ses actionnaires, en rachetant de ses actions et en bonifiant son dividende (voir le coin des analystes, ci-dessus).
Un grand mobilisateur
Si les chiffres cités plus haut reflètent souvent la période Charest, le financier de 57 ans «n'est surtout pas un one man show», affirme Clément Gignac. «Yvon est un grand mobilisateur», dit l'économiste, qui ne l'avait auparavant côtoyé qu'au Cercle des présidents du Québec. Il y avait observé sa vitalité intellectuelle et son impressionnant esprit de synthèse et d'analyse, lui permettant de résumer en trois minutes les propos de trois conférenciers entendus pendant 90 minutes.
C'est au milieu des années 1970 que l'actuaire Robert Fortier a connu Yvon Charest à l'université, où il était considéré comme un étudiant brillant. Depuis 2005, ils se côtoient surtout au sein de la direction de Centraide Québec et Chaudière-Appalaches. M. Fortier est président du CA et Yvon Charest a été à deux reprises coprésident de la campagne annuelle de financement.
À ce titre, cet homme «extrêmement organisé a installé à Centraide un plan de match que ses successeurs ont adopté avec succès».
M. Fortier, associé directeur du cabinet d'experts-conseils Mallette, est d'avis que «la réflexion ne s'arrête jamais, chez Yvon Charest». Pour illustrer cette caractéristique, le témoin parle d'un terrain acheté devant sa maison afin d'assainir son environnement. L'actuaire y a d'abord aménagé une patinoire pour les siens. Il l'a ensuite agrandie et améliorée en plus d'afficher «Bienvenue à tous», ce qui a fourni un équipement utile à tout son voisinage. Yvon Charest cherche-t-il à faire des choses utiles ? «Il est quelqu'un comme ça», résume Robert Fortier.