Ça y est. Les chalumeaux sont plantés. Les bouilloires sont en action et les amateurs de tire s'approchent des cabanes. Et l'investisseur, lui, que devrait-il faire ?
Le prix des érablières a beaucoup grimpé ces dernières années au Québec. Principalement en raison de la progression du prix du sirop d'érable. «Le marché a évolué favorablement parce qu'on a mis de l'ordre dans la mise en marché. Il y a 15 ans, le prix du sirop était à 1,25 $ la livre, il est aujourd'hui à 2,87 $», explique le directeur général adjoint de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ), Paul Rouillard.
Combien vaut une érablière ?
Plusieurs facteurs entrent en jeu.
Il y a d'abord les érablières qui sont sous contingent et celles qui ne le sont pas.
Le système de contingent est opéré par la FPAQ, qui gère la mise en marché, de même que les stocks, en utilisant une usine-entrepôt à Laurierville, dans le Centre-du-Québec. Détenir un contingent garantit d'avoir un acheteur pour le sirop que l'on produit, à un prix déterminé annuellement (prix moyen de 2,87 $ la livre cette année). Ne pas en avoir veut dire qu'on ne peut vendre son sirop que directement au consommateur, dans des contenants de moins de cinq litres. Cela signifie également qu'on produit généralement de manière artisanale. Seulement 10 % de la production est écoulée ainsi au Québec.
En théorie, une érablière avec contingent devrait valoir plus cher qu'une érablière qui n'en a pas (l'exploitant étant assuré de pouvoir écouler sa production). Mais dans la réalité, ce n'est pas toujours vrai. «Les petites érablières (moins de 1 500 à 2 000 arbres) sans contingent ne vaudront peut-être pas nécessairement moins cher par entaille que les grosses», explique M. Rouillard. Simplement, disent des agronomes, parce qu'une bonne partie de la valeur d'une érablière réside dans le plaisir qu'elle procure à son propriétaire et que ce plaisir fait l'objet d'une forte demande. «Ici en Beauce, il n'y a pas beaucoup de différence, dit l'un d'eux, en préférant rester anonyme. Le vendeur sait qu'il peut dicter le prix.»
La question du contingent n'est pas la seule difficulté d'évaluation du prix. Les niveaux de production et la qualité de celle-ci peuvent en effet varier d'une érablière à l'autre. Ce sera tantôt en raison d'un meilleur sol, tantôt en raison d'un niveau supérieur d'ensoleillement.
Une règle du pouce
Malgré toutes ces nuances, il n'en existe pas moins une certaine règle du pouce.
Certains producteurs parlent de 15 à 20 $ par entaille. Daniel Charron, ancien agronome du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) et aujourd'hui consultant, est d'accord, mais avance une fourchette de prix un brin plus faible. «On peut sans doute parler d'un prix de 12 $ à 18 $ l'entaille, en moyenne», dit-il.
Une érablière qui s'étend sur un lot (100 acres, ou l'équivalent d'autant de terrains de football américain) comptera généralement environ 10 000 entailles. C'est dire que pour acquérir son érablière un investisseur devra débourser de 120 000 $ à 180 000 $ pour les arbres seulement. Il n'y a alors ni cabane, ni tubes, ni équipement de bouillage ou de récolte.
Si vous voulez l'équiper à neuf, estime M. Charron, il faudra compter plus de 100 000 $ pour construire la cabane, 45 000 $ pour la machinerie (tracteur, remorque, motoneige, VTT, scies mécaniques, etc.), plus de 100 000 $ pour l'équipement de collecte (principalement de la tubulure) et au-delà de 70 000 $ en équipement de traitement de l'eau d'érable (évaporateurs, bassins, osmoseurs, etc.).
Investissement total, en incluant l'achat des arbres : au minimum 435 000 $ et peut-être plus de 500 000 $.
Évidemment, il est possible que la cabane soit déjà en place, tout comme l'équipement. En postulant un escompte de 30 % sur la valeur à neuf, on en arrive tout de même à un prix variant de 330 000 $ à 395 000 $.
Récapitulatif : l'acheteur d'une érablière d'un lot (10 000 entailles) qui l'équipe à neuf paiera au minimum 435 000 $ et parfois plus de 500 000 $ ; celui qui achète la même érablière déjà équipée paiera entre 330 00 $ et 395 000 $.
Un minimum d'entailles nécessaire
Peu importe l'option choisie, investir dans une érablière exige beaucoup de capital.
On peut choisir d'acheter moins d'érables, en misant sur une plus petite production, mais il faudra alors vraisemblablement renoncer à réaliser un rendement.
«Avec une production de 5 000 érables, il est fort probable qu'on ne fera pas d'argent. Et au-dessus, ça dépend comment on est équipé et des volumes que génère l'érablière», disent Alain Roy et Claude Dufour. Le couple exploite une érablière à Saint-Léon-de-Standon, dans Bellechasse, sur la rive-sud du Saint-Laurent.
Daniel Charron abonde dans le même sens. «Sous 5 000 entailles, il n'y a pas de signal économique, à moins de détenir son érablière depuis longtemps et d'avoir d'autres productions de ferme grâce auxquelles on peut amortir l'équipement.»
Le rendement potentiel que peut obtenir l'investisseur
À notre demande, M. Charron a remis à jour des calculs sur le coût d'exploitation d'une érablière de 10 000 entailles. Histoire de voir le type de rendement que pourra obtenir celui qui décide d'y investir.
Il en coûtera généralement plus de 10 000 $ en énergie et en produits d'entretien. Curieusement, les coûts énergétiques sont souvent en mazout, parce que la valeur du bois de l'érablière est plus élevée que le coût du pétrole sur le marché de détail.
S'ajoutent les coûts d'utilisation de l'équipement (tracteur, motoneige, scies mécaniques) et celui de l'électricité : 3 100 $.
Il faudra bien entendu préparer son équipement, réparer la tubulure et probablement avoir une petite marge de crédit avec laquelle on épongera ces dépenses pendant la production en attendant d'être payé. C'est 7 500 $ qui s'ajoutent.
Et puis, il faudra des bras pour nous aider. Quand ça coule, pas question d'arrêter. Il faut produire pendant huit semaines, parfois pratiquement jour et nuit. C'est 5 700 $ de plus à compter en salaires, à moins que l'on ait beaucoup de beaux-frères qui acceptent de venir s'amuser.
Ce n'est pas fini. Il faut une assurance, entretenir le chemin, payer la mise en marché collective, débourser les taxes municipales et scolaires, et rétribuer le comptable : 12 500 $.
Grand total des coûts : 39 000 $.
Au chapitre des revenus, une érablière au Québec produit en moyenne chaque année environ 2,4 livres de sirop par entaille. Cette année, le prix est de 2,87 $ la livre. Postulons qu'il se maintienne à l'avenir (ce qui est incertain). Ce sont des revenus annuels de 70 000 $.
Ce qui donne un bénéfice de 31 000 $. D'où un rendement de l'investissement qui sera de 6 % à 7 % si vous avez acheté votre érablière et avez presque tout aménagé à neuf. Et d'environ 8 % à 9 % si tout était déjà en place et de seconde main (cabane et installations).
Évidemment, ce rendement suppose que vous avez payé le tout comptant. Si, lors de l'achat, vous avez dû contracter une hypothèque de 250 000 $ à 300 000 $, le remboursement du capital et des intérêts sur 20 ans fera fondre les rendements de moitié.
Payant d'investir dans une érablière ? C'est possible, mais il vaut mieux avoir beaucoup de capital et, étant donné tous les risques, effectivement davantage apprécier son rendement dans le plaisir qu'on en tirera.