Des gestionnaires spécialisés dans les obligations à haut rendement (ORÉ) continuent d'y voir une option intéressante pour la quête de revenus dans un contexte de taux d'intérêt faibles. D'autres sont plus circonspects.
Communément appelées obligations de pacotille (junk bonds), les ORÉ sont des titres dont la cote de crédit est inférieure à BBB (protection du capital acceptable). Au cours des cinq dernières années, le marché américain des ORÉ a doublé, passant de 1 à 2 billions de dollars américains. En 2006 et 2007, les sociétés ont émis 700 G $ US de dettes. En 2013 et 2014, les sociétés ont émis 1,1 billion de dollars de dettes.
Notons que seulement 28 % de la dette émise en 2006-2007 était cotée B (crédit hautement spéculatif, selon DBRS), par rapport à 71 % de la dette émise en 2013-2014. De plus, alors qu'en 2006 et en 2007, seulement 20 % des conventions de prêts comportaient des contraintes allégées pour les sociétés emprunteuses, ce pourcentage est désormais de 60 %.
Les sociétés qui émettent ces obligations sont plus susceptibles de ne pas rembourser leurs prêts, puisqu'elles utilisent à fond l'effet de levier (endettement). Certains analystes s'attendent donc à un taux de défaut de paiement record lors de la prochaine récession, alors que près de 791 G $ US d'ORÉ viendront à échéance au cours des cinq prochaines années.
Or, si le risque d'une récession semble faible aujourd'hui, les banques centrales mènent toujours la même guerre à la récession qui a débuté avec la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, selon James Dutkiewicz, stratège en chef des placements et gestionnaire principal de la gamme de fonds à revenu fixe de Sentry Investissements (qui gère notamment le Fonds d'obligations tactique Sentry, composé d'ORÉ).
«Si l'économie américaine génère encore une croissance de 2,5 % à 3 % après que la Réserve fédérale américaine (Fed) aura augmenté les taux trois ou quatre fois, ce sera le signal que cette dernière aura gagné la guerre. Il se peut cependant que la Fed perde cette guerre parce que le montant de la dette créée excédera sa capacité d'injecter des liquidités supplémentaires, alors que la politique monétaire devient moins efficace lorsque le taux directeur est à 0 ou est négatif. Il se peut que l'économie subisse un choc et que la dette excessive dans le système cause une crise de l'envergure de celle survenue dans les années 1930», prévient-il. Il n'hésite pas à accorder à ce scénario négatif une probabilité de 60 %, mais il est peu probable qu'il se produise dans la prochaine année.
«À moins d'un mouvement important des rendements sur les obligations gouvernementales de 10 ans, très peu de l'argent investi dans les ORÉ en sortira», pense James Dutkiewicz. Il croit que sur un horizon de six à neuf mois, on verra des flux équilibrés entre entrées et sorties, et que par conséquent, on n'assistera pas à une ruée vers la sortie. Il reconnaît toutefois que les détenteurs d'ORÉ s'inquiéteraient si le rendement des obligations gouvernementales de 10 ans des États-Unis passait de 1,8 % à 2,8 %. Le risque des ORÉ dépend donc d'une hypothèse selon laquelle les taux d'intérêt monteraient plus rapidement qu'il ne le prévoit.
«Je crois qu'une bonne proportion des acheteurs d'ORÉ jaugent mal tous les risques associés à ces titres. Après cinq ans pendant lesquels vous avez été récompensé d'avoir pris des risques, même les conseillers oublient le risque de ces titres. Et les fonds négociés en Bourse (FNB) d'ORÉ promettent une liquidité qui n'est pas présente dans les ORÉ mêmes. Le risque est que lorsque le rendement des obligations gouvernementales commencera à monter, les investisseurs oublient qu'ils ont un coussin de 450 points de base de rendement supplémentaire pour les protéger et qu'ils paniquent et liquident leurs ORÉ en masse, oubliant qu'elles rapportent du 6 % et qu'elles sont moins sensibles aux hausses de taux.»
Aucun effondrement en vue
C'est ce risque de vente de feu que craint le gourou des obligations Jeffrey Gundlach, chef des placements et fondateur de DoubleLine Capital, qui déclarait le mois dernier qu'il fallait sortir des ORÉ dès que la Fed annoncerait sa première hausse de taux.
Il a toutefois précisé le 9 juin que les probabilités que la Fed hausse son taux cette année n'étaient pas élevées. Pour cette raison, et parce qu'il n'y a pas assez d'ORÉ venant à échéance en 2015 qu'il faut rembourser, il n'y aura pas d'effondrement du marché des ORÉ cette année.
Rappelant que toute l'existence des ORÉ s'est déroulée dans un contexte de baisse à long terme des taux d'intérêt, il a montré, graphiques à l'appui, que l'écart de rendement entre les ORÉ et les obligations des gouvernements s'est élargi à l'occasion de toutes les premières hausses du taux directeur de la Fed par le passé. Lorsque cet écart grandit, les ORÉ perdent de la valeur par rapport à ces obligations. Lors de la séquence de hausses du taux commencée en 2004, il a fallu attendre un peu, mais l'écart est passé de 300 à 1900 points de base.
Biographie
Fellow CSI, Yves Bourget a fait carrière dans l’industrie des valeurs mobilières pendant une vingtaine d’années, en particulier à titre de vice-président pour le Québec de Placements Altamira, de 1990 à 1997. Il collabore depuis 2001 à la publication Finance et Investissement, notamment en matière de fonds communs.