Les caractéristiques des titres qu'ils détiennent, bien plus que l'habileté de leurs gestionnaires, expliqueraient les rendements supérieurs qu'ont enregistrés des fonds communs bien en vue des sociétés Mawer, Leith Wheeler et Beutel Goodman. Une fois ces caractéristiques cernées, il suffirait de trouver un fonds négocié en Bourse (FNB) qui détient des titres qui les possèdent pour reproduire ces rendements, à bien moindre coût.
C'est ce que soutient Justin Bender, gestionnaire de portefeuille chez PWL Capital. Cette firme de gestion de patrimoine utilise des FNB, pour la plupart gérés passivement, pour construire les portefeuilles de ses clients fortunés.
Dans le cas du Fonds d'actions canadiennes Mawer, son analyse pour la période allant de juillet 1991 à octobre 2014 lui permet d'attribuer la plus grande partie de son rendement excédentaire de 1 % par an au fait que le gestionnaire a favorisé les titres dont le ratio valeur boursière/valeur comptable est bas, souvent qualifiés de titres «valeur», par rapport aux titres dont le ratio valeur boursière/valeur comptable est élevé, souvent qualifiés de titres «croissance».
Selon Justin Bender, cela diminue la part du rendement excédentaire du fonds par rapport à son indice de référence, l'alpha dans le jargon, attribuable à l'habileté du gestionnaire. L'alpha positif d'un fonds peut refléter le talent d'un gestionnaire, mais pourrait aussi être attribuable à une série de mises heureuses sur les titres ou les secteurs.
Il en vient essentiellement aux mêmes conclusions pour le fonds Leith Wheeler Canadian Equity (qui n'est pas offert au Québec) et le Fonds d'actions canadiennes Beutel Goodman, série D.
«Cette analyse ne prédit pas quels fonds ou quelles caractéristiques enregistreront un rendement supérieur dans l'avenir. Elle suggère toutefois que si vous désirez ajouter davantage de titres "valeur" à votre portefeuille dans le but d'augmenter vos rendements espérés, il y a des façons moins chères de le faire en utilisant des FNB à faibles coûts, plutôt que de payer pour une gestion active traditionnelle», conclut Justin Bender.
Le Fonds d'actions canadiennes Mawer a dégagé, et de loin, la meilleure mesure alpha, une mesure de rendement ajusté pour le risque, pour la période de 10 ans terminée le 31 juillet. Ce fonds, de même que le Fonds d'actions canadiennes Beutel Goodman, reçoit la cote «Or» des analystes de Morningstar, alors que le fonds Leith Wheeler reçoit la cote «Bronze».
Une conclusion différente
«Nous arrivons à des conclusions différentes avec les mêmes chiffres que M. Bender. En utilisant un modèle d'évaluation des actifs financiers (MEDAF) comprenant quatre facteurs, les fonds dégagent un alpha légèrement positif, qu'on peut juger ne pas être statistiquement significatif. De ce point de vue, on ne peut rien conclure de l'habileté des gestionnaires. Mais de dire ça ne fait pas un bon article», raille Christopher Davis, directeur de la recherche sur les gestionnaires chez Morningstar Canada, et à ce titre, ultimement responsable des cotes élevées accordées à ces fonds.
Cela dit, M. Davis admet que la plupart des gestionnaires d'actif ne parviennent pas à obtenir les résultats escomptés, et qu'il serait facile de répliquer la performance du fonds moyen avec un fonds négocié en Bourse (FNB), ce qui coûterait beaucoup moins cher. Il admet aussi que la recherche des facteurs expliquant le rendement des fonds a haussé la barre pour les gestionnaires d'actif, maintenant que certains FNB peuvent répliquer un facteur de rendement à moindres frais qu'un fonds géré activement. Mais selon lui, le fonds Mawer relève du cas d'école pour la gestion active.
L'importance du facteur qualité
M. Davis note que Justin Bender a étudié le fonds sur une longue période. Toutefois, sur de plus courtes périodes, l'exposition aux divers facteurs de rendement varie, ce dont un bon gestionnaire d'actif peut tirer parti, selon lui. Il pense que le fonds Mawer a surtout bénéficié de son accent sur un facteur, la qualité, qui a vraiment été le moteur de rendement le plus important du fonds, selon lui. Les titres de qualité sont ceux des sociétés rentables, en croissance et bien gérées.
«Or, en 2008, l'exposition du fonds au facteur "qualité" était deux fois plus importante que durant toute son existence. Ce serait un exploit dans l'extraction de données (data mining) de pouvoir déterminer quel facteur favoriser chaque mois pour ajuster le contenu d'un FNB créé pour mimer la stratégie Mawer. Sans compter tous les mécanismes à mettre en place pour en tirer parti. C'est pourquoi l'analyse de Justin Bender est un exercice théorique qui ne se rapproche pas vraiment de la réalité des décisions de placement», soutient-il.
Fellow CSI, Yves Bourget a fait carrière dans l’industrie des valeurs mobilières pendant une vingtaine d’années, en particulier à titre de vice-président pour le Québec de Placements Altamira, de 1990 à 1997. Il collabore depuis 2001 à la publication Finance et Investissement, notamment en matière de fonds communs.