Bêta intelligent (smart beta). En français, l'expression fait sourire. En fait, il s'agit de stratégies fondées sur des règles ou des facteurs permettant d'améliorer le rendement ou de modifier le risque d'un portefeuille indiciel traditionnel. Parmi ces règles ou facteurs, on retrouve le dividende, la faible volatilité, la valeur fondamentale et l'élan du prix des actions (momentum).
Il y a un réel engouement pour ces nouveaux fonds. Selon les données récentes de Morningstar, les actifs mondiaux investis dans les fonds négociés en Bourse (FNB) utilisant ces stratégies ont augmenté de 87 % pour atteindre 380 milliards de dollars américains.
Un fonds géré selon la méthode indicielle «passive» traditionnelle répartit son avoir dans les sociétés qui composent des indices boursiers (par exemple, l'indice composé S&P/TSX), en fonction de leur poids dans cet indice. Ce poids est déterminé par la capitalisation boursière de chaque société, de sorte que les grandes sociétés comptent pour une plus grande proportion du fonds que les petites.
C'est parce qu'ils trouvent cette méthode insatisfaisante que des chercheurs ont entrepris d'y remédier de manière plus «intelligente». Parmi eux, Robert Arnott, pdg de Research Affiliates, est le pionnier de l'«indexation fondamentale» (Research Affiliates Fundamental Indexing ou RAFI). Ses travaux sur la méthodologie ont paru en 2005.
M. Arnott juge que l'indexation passive fondée sur la capitalisation boursière augmente automatiquement l'exposition à des actions dont le prix a monté et réduit l'exposition à celles dont le prix a baissé. Ce qui a comme conséquence de surpondérer les actions surévaluées et de sous-pondérer les titres sous-évalués. Rob Arnott ne voit pas pourquoi il faudrait détenir deux fois plus d'une action parce que son prix en Bourse a doublé.
Par exemple, ceux qui ont investi dans un fonds indiciel fondé sur le S&P 500 à la fin des années 1990 ont acheté une quantité importante de titres de technologie fortement surévalués. Ils en ont subi les contrecoups lorsque la bulle a éclaté et que les titres ont plongé.
C'est pourquoi il préfère indexer un portefeuille en fonction de facteurs fondamentaux appliqués sur une période de cinq ans. Ces facteurs sont le total des dividendes en espèces, les flux de trésorerie disponibles (free cash flows), le chiffre d'affaires global et la valeur comptable.
Dans la 11e édition de son classique sur l'indexation, A Random Walk Down Wall Street, parue en janvier, le professeur d'économie Burton Malkiel rejette cette démarche. Selon lui, la méthode de Rob Arnott favorise les titres «valeur», ceux qui ont des évaluations basses en se fondant sur des ratios comme le prix par rapport à la valeur comptable. Il y a des périodes où ça fonctionne, et d'autres où ce n'est pas le cas.
Dans une récente entrevue pour ETF.com, il insiste sur le risque que peut faire encourir la méthode. Il souligne que, si l'indexation fondamentale a bien fonctionné aux États-Unis récemment, c'est que, durant la crise financière en 2009, le portefeuille RAFI a doublé la pondération des banques et que 15 % du portefeuille était dans les titres de Citigroup et de Bank of America, deux banques qui couraient le risque d'être nationalisées. C'est que les banques étaient bon marché par rapport à leur valeur comptable, un des facteurs favorisés par cette méthode.
Cette fois-là, le pari, très risqué, a fonctionné. Les banques ont survécu et l'avoir des actionnaires n'a pas été réduit à zéro. Mais il aurait pu tout aussi bien échouer. «Ne me dites pas que la stratégie a affiché une bonne performance parce qu'elle a évité des titres surévalués. Elle l'a fait parce qu'elle a pris des risques énormes. Généralement, si ça marche, vous êtes payé pour avoir pris des risques», a tranché le professeur de Princeton, pour qui on n'a rien pour rien (no free lunch).
Au Canada, la simulation d'un placement de 10 000 $ effectué le 31 décembre 1989 dans l'indice FTSE RAFI Canada Index valait 156 507 $ le 31 décembre 2014, pour un rendement annualisé de 11,63 %. En comparaison, le même placement effectué dans l'indice S&P/TSX 60, qui détient les 60 plus grandes sociétés canadiennes par leur capitalisation, valait 80 684 $, soit un rendement annualisé de 8,71 %. Le même placement dans l'indice composé S&P/TSX ne valait que 67 661 $, pour un rendement annualisé de 7,95 %.
Un choix payant à long terme
Les investisseurs intéressés par cette stratégie devront faire preuve d'une grande patience, car ce n'est que vers juin 2000 que l'indice FTSE RAFI Canada a commencé à afficher une performance nettement supérieure à celle de l'indice S&P/TSX 60. Sur de courtes périodes, il y a des années où le rendement de l'indice RAFI dépasse largement celui du S&P/TSX 60, comme en 2009, soit 45 % par rapport à 35 %. Il y en a d'autres, comme en 2014, où c'est l'inverse, alors que l'indice FTSE RAFI gagnait 7,4 %, comparativement à 12,27 % pour le S&P/TSX 60.
Lancé en février 2006, le FNB iShares Canadian Fundamental Index (CRQ) a été le premier fonds basé sur cette méthode à être offert au Canada. Pour les cinq années terminées le 28 février 2015, il a dégagé un rendement annuel composé de 7,7 % par rapport à 8,4 % pour le FNB iShares S&P/TSX 60 Index (XIU). Il faut dire qu'une partie de l'écart de rendement entre les deux s'explique par leur coût : le premier a un ratio de frais de gestion de 0,71 %, tandis que celui du second est de 0,17 %.
Ian Gascon, président de Placements Idema, souligne que 78 % du contenu du premier se retrouve dans le second. «Est-il justifiable de payer quatre fois plus cher pour une différence d'environ 25 % entre ces deux fonds ? Les titres différents doivent afficher un rendement exceptionnel pour battre la stratégie passive», a-t-il fait remarquer lors d'un récent Forum Morning-star sur l'avenir des FNB, admettant que des résultats différents sont possibles dans d'autres marchés.
En conclusion, les investisseurs désirant opter pour cette stratégie «intelligente» devraient comprendre qu'elle peut générer des rendements supérieurs à très long terme, mais ils supporteront des coûts nettement plus élevés pour y participer.
> Au Canada, un placement de 10 000 $ effectué le 31 décembre 1989 dans l'indice FTSE RAFI Canada Index valait 156 507 $ le 31 décembre 2014, pour un rendement annualisé de 11,63 %. En comparaison, le même placement dans l'indice composé S&P/TSX ne valait que 67 661 $, pour un rendement annualisé de 7,95 %.
Biographie
Fellow CSI, Yves Bourget a fait carrière dans l'industrie des valeurs mobilières pendant une vingtaine d'années, en particulier à titre de vice-président pour le Québec de Placements Altamira, de 1990 à 1997. Il collabore depuis 2001 à la publication Finance et Investissement, notamment en matière de fonds communs.