Chaque année, la lettre que publie Warren Buffett dans le rapport annuel de Berkshire Hathaway est une lecture essentielle pour tout investisseur sérieux. Elle est remplie de sagesse et nous permet de mieux comprendre la pensée de son auteur. Cette année, elle revêt une importance particulière, car elle marque ses 50 ans à la tête de la société. En voici les grandes lignes.
Tous savent que la performance de Berkshire Hathaway a été tout à fait remarquable au cours du dernier demi-siècle. Pourtant, Buffett présente dans sa lettre une nouvelle mesure de la performance de la société, soit l'appréciation de la valeur au marché du titre au cours de cette période, qui en fait encore mieux ressortir le caractère exceptionnel. Selon cette mesure, Berkshire a offert un rendement annuel composé de 21,6 % pendant cette période, ce qui représente un gain total de 1 826 163 % pour les investisseurs de la première heure.
Voilà un bel exemple de la magie des intérêts composés : un investissement de 1 000 $ dans le titre de Berkshire Hathaway en 1964 vaut aujourd'hui plus de 17,6 millions de dollars !
Certains observateurs ont reproché à Buffett de présenter la performance de la société sur la base de l'appréciation de son titre, alors qu'il avait toujours mis l'accent sur la progression annuelle de sa valeur comptable. Ils estiment que, ce faisant, il «déplace les poteaux du but». C'est ce qui m'amène à mon deuxième constat concernant Berkshire : elle est de plus en plus une société exploitant ses propres entreprises et de moins en moins une société d'investissement possédant des participations minoritaires dans des sociétés en Bourse. Voici, dans le tableau ci-contre, comment le portrait de la société a changé depuis 2000.
Alors que les placements boursiers de la société sont continuellement évalués à leur valeur au marché, la valeur au bilan des entreprises qu'elle détient entièrement ne l'est pas, quelle que soit leur performance. Vu la transformation marquée de la société au cours des dernières années, la décision de présenter sa performance en fonction de l'appréciation de son titre me semble donc entièrement justifiée.
Troisièmement, la performance financière des sociétés exploitantes de l'entreprise a été excellente en 2014, et elle devrait, selon Buffett, continuer sur cette lancée cette année. Les cinq plus importantes sociétés exploitantes de l'entreprise, que Buffett appelle les «Powerhouse Five» (Berkshire Hathaway Energy, BNSF, IMC [anciennement Iscar], Lubrizol et Marmon), ont collectivement enregistré un bénéfice avant impôt de 12,4 G$ US en 2014, en hausse de 14,8 % par rapport à 2013. Buffett mentionne qu'avec les acquisitions récemment annoncées par ces entreprises, les bénéfices avant impôt de ce groupe pourraient augmenter de 1 G$ US en 2015.
Quatrièmement, les sociétés d'assurance de l'entreprise continuent d'étonner avec une performance financière tout à fait remarquable. Tandis que la majorité des sociétés d'assurance peinent à dégager un bénéfice provenant de leurs activités d'assurance (elles compensent généralement avec des bénéfices provenant de leurs placements), les sociétés d'assurance de Berkshire ont collectivement dégagé un bénéfice d'assurance en 2014, et ce, pour une 12e année consécutive. De plus, elles continuent d'augmenter leur flottant (float, en anglais), qui représente les sommes provenant des primes encaissées de leurs clients avant le paiement des réclamations éventuelles, lequel s'élève maintenant à 84 G$ US. La société jouit ainsi d'un avantage concurrentiel considérable.
La lettre de Buffett : le passé, le présent et le futur de Berkshire Hathaway
L'entreprise est aujourd'hui un conglomérat tentaculaire qui cherche à s'étendre davantage. M. Buffett voit plusieurs avantages à cette structure de conglomérat. Ainsi, si sa forme est utilisée judicieusement, c'est la structure idéale pour maximiser la croissance à long terme de son capital. Elle permet à Buffett, et éventuellement à son ou ses successeurs, d'allouer le capital de façon rationnelle et à un coût minime. Un autre avantage est d'avoir la possibilité d'investir dans des actions boursières (des parties d'entreprise) ou d'acheter des entreprises entières, ce qui redouble ses possibilités d'investissement.
Berkshire comporte un autre bénéfice non négligeable, qui s'est accentué au fil des ans : la société représente souvent le choix privilégié pour les propriétaires ou les gestionnaires qui cherchent à vendre leur entreprise. Ces derniers savent qu'ils pourront conserver leur autonomie au sein de Berkshire Hathaway. Ils savent aussi que Berkshire est un propriétaire à long terme qui ne vendra pas leur entreprise dès qu'elle aura livré un bénéfice satisfaisant.
En outre, Buffett évoque à mon avis pour la première fois les synergies qui existent entre ses diverses entreprises. De nombreux coûts sont partagés par les sociétés de Berkshire, dont les coûts de fonctionnement du conseil d'administration. Même chose pour les coûts réglementaires et administratifs (son siège social ne compte que 25 employés).
Voici ce que Berkshire possède aujourd'hui, selon Buffett : «un ensemble inimitable d'entreprises de grande qualité qui ont pour la plupart d'excellentes perspectives économiques ; des entreprises menées par des dirigeants exceptionnels qui se consacrent pour la plupart entièrement à leur entreprise et à Berkshire ; une grande diversité de sources de bénéfices, une solidité financière sans égal et un océan de liquidités qui seront conservées en toutes circonstances ; le premier choix pour les entrepreneurs désirant vendre leur entreprise ; et une culture d'entreprise développée au cours des 50 dernières années et qui est maintenant solide comme le roc».
En ce qui concerne les perspectives pour les 50 prochaines années, Buffett mentionne que les chances d'une perte permanente de capital pour les actionnaires de la société sont très minces. Il est en effet pratiquement certain que la valeur intrinsèque de la société continuera de progresser au fil des ans. Ainsi, un investisseur qui achète le titre de Berkshire à un prix raisonnable est presque assuré de réaliser un profit à long terme.
Néanmoins, comme il l'a souvent répété, il souligne que, en pourcentage, les gains à long terme de Berkshire ne peuvent pas être très élevés et qu'ils ne s'approcheront pas de ceux des 50 dernières années. Par contre, Berkshire continuera probablement de surclasser l'économie américaine dans son ensemble.
Bref, les perspectives à long terme de Berkshire Hathaway semblent toujours favorables.
La transformation de Berkshire Hathaway (G$ US)
2000 / 2014
Valeur des investissements 71,5 / 179,1
Bénéfices après impôts de ses sociétés (hors assurance) 0,8 / 11,5
Valeur de ces bénéfices à 15 fois les bénéfices 12,1 / 171,9
Estimation de la valeur totale de la société 83,6 / 351
Pourcentage de la valeur des sociétés exploitantes hors assurance 14 % / 49 %
Source : Cote 100
Expert invité
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. Plusieurs comptes sous la gestion de COTE 100 possèdent des actions de Berkshire Hathaway.