Les enchères du spectre de fréquences sans fil dans la bande du 700 MHz ont surpris en récoltant 5,3 milliards de dollars, soit un montant plus de deux fois supérieur à celui qui avait été prévu. Ces dépenses et surtout la stratégie qui suivra influenceront le parcours boursier de Rogers Communications, Québecor, BCE et Telus pour des années à venir. Voici quelques repères pour y voir plus clair.
L'opportuniste Québecor se positionne à petit prix (Tor., QBR.B, 24,98 $)
- Prix payé : 173 M$, ou 1,05 $ par action, pour les licences hors Québec
- Analystes : 13 acheter, 3 conserver, 1 vendre
- Cours cible moyen : 29,17 $
- Gain potentiel : 16,7 %
Tous les observateurs s'accordent pour dire que l'opportuniste Québecor a eu la main heureuse en acquérant sept licences du spectre dans les quatre provinces les plus populeuses.
Le retrait des enchères de Wind Mobile a fourni au géant montréalais «une occasion à ne pas manquer» sur un plateau d'argent.
Les analystes ont surtout augmenté leur cours cible pour incorporer la valeur économique des licences acquises.
Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, estime en effet que les licences achetées valent deux à trois fois ce que Québecor a payé. Le spectre acquis leur paraît donc surtout comme un actif ou encore une monnaie d'échange que Québecor pourra utiliser en temps et lieu.
«Québecor pourrait échanger du spectre avec Telus pour obtenir un bloc dans la partie inférieure de la bande de 700 MHz au Québec, dont elle a besoin pour bénéficier de son entente de partage de réseau avec Rogers», donne en exemple Jeff Fan, analyste chez Banque Scotia.
Dvai Ghose, de Canaccord Genuity, recommande de nouveau l'achat du titre de Québecor, parce qu'il est soulagé du fait que les blocs de fréquences achetés ne permettent pas à Québecor d'établir un réseau national sans fil, une aventure qui aurait été coûteuse.
Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, estime le coût total d'un tel déploiement à 1,1 G$ (spectre, achat de Mobilicity et dépenses de marketing). Les dépenses en capital varient de 5,66 $ à 7,28 $ par action de Québecor.
Peu d'analystes croient que Québecor implantera son propre réseau national, car elle ne bénéficie pas des avantages que sa marque et ses forfaits lui procurent au Québec.
Après tout, son service sans fil au Québec a coûté 1 G$ et couvre à peine ses frais malgré ses 500 000 abonnés, rappelle Tim Casey, analyste chez BMO Marchés des capitaux.
«Pour que Québecor envisage sérieusement de devenir un quatrième acteur national, il faudrait qu'Ottawa impose aux fournisseurs établis de lui donner un accès à des tours de transmission et à des ententes d'itinérance à bas prix», soutient M. Valentini.
Toutefois, divers scénarios sont envisageables et leurs coûts futurs dicteront comment Québecor évoluera en Bourse.
Les scénarios potentiels évoqués par les analystes vont dans toutes les directions. Ils incluent l'achat du petit fournisseur Mobilicity pour ses 175 000 abonnés et ses points de vente, de même qu'un futur partenariat avec Wind Mobile ou encore avec le géant américain Verizon.
Rogers mise double sur la vidéo mobile (Tor., RCI.B, 43 $)
- Prix payé : 3,3 G$, ou 6,39 $ par action
- Analystes : 6 acheter, 13 conserver, 2 vendre
- Cours cible moyen : 45,25 $
- Gain potentiel : 5,2 %
Après des années sur la défensive, voici que le principal fournisseur de sans-fil du pays renoue avec son audace d'antan. En perte de vitesse par rapport à BCE et à Telus depuis 2009, Rogers joue le tout pour le tout en payant le prix fort pour deux blocs de fréquences contiguës dans la bande inférieure de 700 MHz, dans chacun des grands marchés au pays.
«Rogers a été la plus dépensière, mais elle obtient les blocs appariés de spectre les plus convoités», indique Tim Casey, de BMO.
L'enjeu est de taille. Dès le dévoilement du résultat des enchères, Rogers envoyait un document aux analystes pour justifier sa décision.
Le nouveau président de Rogers, Guy Lawrence, a comparé les blocs achetés à des propriétés de choix situées directement sur la plage.
Dans les faits, Rogers fait une double mise de 8,5 G$ sur le potentiel de la vidéo mobile, puisqu'elle a payé 5,2 G$ en novembre pour les droits multimédias des matchs de la Ligne nationale de hockey (LNH) pour 12 ans. C'est un pari risqué pour l'entreprise dont la dette grimpera à trois fois son bénéfice d'exploitation.
Il lui faudra ensuite rentabiliser ces énormes investissements en attirant des abonnés prêts à payer plus cher pour des matchs en direct et un signal vidéo de grande qualité et fiable.
«Le jumelage de fréquences contiguës dans plusieurs marchés clés donnera un avantage de capacité et de rapidité au réseau de Rogers sur ses rivaux, à court terme. Toutefois, sa capacité à monétiser la prime payée pour cet actif s'étalera sur une longue période», explique M. Casey.
Son pouvoir d'imposer des prix plus élevés dépendra de la capacité de Rogers à convaincre les consommateurs qu'elle a le meilleur réseau du pays, dit Greg MacDonald, de Macquarie Capital Markets Canada.
Telus comble ses besoins (Tor., T, 38,97 $)
- Prix payé : 1,14 G$, ou 1,83 $ par action
- Analystes : 15 acheter, 4 conserver, 2 vendre
- Cours cible moyen : 39,94 $
- Gain potentiel : 2,4 %
Le deuxième fournisseur de sans-fil au pays sort des enchères avec le meilleur bilan de l'industrie et conserve ses forces, indique Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux.
Les fréquences acquises comblent ses besoins moyennant une facture beaucoup moins salée que celle de Rogers, dit aussi M. Rhamey.
Si Telus et BCE élargissent leur entente actuelle de partage de réseau dans la bande du 700 MHz, les deux fournisseurs pourront en partie reproduire les avantages que vient d'obtenir Rogers avec ses blocs appariés de fréquences contiguës, croit M. Yaghi.
M. Fan, de Banque Scotia, prévoit que BCE et Telus échangeront éventuellement du spectre avec Québecor et Earthlink pour apparier plus efficacement leurs réseaux respectifs.
Telus bénéficiera aussi d'un meilleur bilan que ses concurrents pour participer aux prochaines enchères dans la bande de 2 500 MHz, prévues en avril 2015. Notons qu'elle détient toujours moins de spectre que ses deux rivales.
Surtout, Telus conserve les moyens financiers de relever son dividende de 10 % par année et de racheter 500 M$ de ses actions par an, comme elle s'est engagée à le faire, d'ici 2016, souligne M. Casey, de BMO.
BCE dépense sagement (Tor., BCE, 47,84 $)
- Prix payé : 565,7 M$, ou 0,73 $ par action
- Analystes : 9 acheter, 12 conserver, 1 vendre
- Cours cible moyen : 48,10 $
- Gain potentiel : 0,54 %
BCE dépense le moins de tous les grands fournisseurs pour ses 31 licences, dans tous les marchés des provinces et des territoires.
«BCE débourse la moitié moins que Telus, mais bénéficiera des dépenses de son partenaire avec qui elle partage un réseau», note Tim Casey, de BMO. Plus important pour les amateurs de dividendes, ses dépenses modestes ne nuisent pas à sa capacité de hausser son dividende de 5 % par année.
«BCE reste un choix attrayant pour les investisseurs qui sont satisfaits d'une hausse annuelle de 3 % à 5 % de ses flux de trésorerie excédentaires par année», ajoute l'analyste de BMO.
Le rendement de 5 % de son dividende reste le plus élevé de son industrie, mais les analystes prévoient peu d'appréciation de capital.
Avec le spectre de 700 MHz, BCE compte étendre son service de quatrième génération à 98 % de la population canadienne, surtout aux petites villes, aux zones rurales et aux collectivités éloignées du pays, notamment dans le nord du Canada. M. Yaghi hausse son cours cible de 47 $ à 48 $, pour son achat stratégique.