Comme investisseur visant le long terme, vous recherchez sans doute des titres dont le prix est inférieur à leur valeur fondamentale. Toutefois, chercher des aubaines ne fait pas automatiquement de vous un investisseur de type « valeur ». Les investisseurs de type « croissance » recherchent aussi des aubaines. Pour l'investisseur de type valeur, l'aubaine se trouve dans un prix déprimé. Pour l'investisseur de type croissance, elle réside dans le fait que la croissance future des bénéfices est sous-estimée par le marché.
L'investisseur de type valeur s'intéresse aux entreprises dont les activités permettront de générer des bénéfices relativement prévisibles et surtout, intéressants compte tenu du bas prix de l'action. Prenons la Banque Nationale. Elle dégage un bénéfice par action (BPA) de 4,32 $ et un dividende de 1,92 $ par année, alors que l'action se négocie à près de 49 $. C'est un rendement de dividende de 3,9 % et un ratio cours-bénéfice de seulement 11,3.
En considérant un scénario de croissance modeste des bénéfices de 5 % par année pour la prochaine décennie, le rendement annuel moyen de l'action devrait être supérieur à 8 %. À lui seul, le rendement de dividende de 3,9 % est élevé avec peu de risque de baisse. Il est déjà nettement supérieur aux taux d'intérêt sur les obligations gouvernementales de 10 ans. Le titre est une aubaine à 49 $.
L'investisseur de type croissance cherche aussi des aubaines. Il tente de déceler des entreprises dont le bénéfice croîtra rapidement dans le futur, mais dont le cours du titre ne reflète pas encore cette forte croissance. Prenons Facebook. Les analystes prévoient qu'une grande partie de sa valeur est liée au potentiel de revenus publicitaires sur les téléphones intelligents. Ces revenus pourraient plus que doubler en quatre ans.
Est-ce que Facebook est une aubaine avec un ratio cours-bénéfice supérieur à 70 ? Plusieurs analystes l'affirment, et des investisseurs de type croissance s'y intéressent.
Voyons-y de plus près.
À 1,10 $ US, le dernier BPA de Facebook ne peut pas justifier à lui seul le cours actuel de l'action, qui s'établit à environ 78 $ US. Une grande partie de la valeur courante de Facebook est plutôt liée aux développements futurs.
L'argumentaire est que Facebook a réussi à fidéliser les utilisateurs de son site. Ces derniers y passent plus de temps que sur n'importe quel autre site et y déversent énormément d'informations précieuses pour les entreprises, clientes publicitaires de Facebook, qui peuvent ainsi mieux rejoindre leur clientèle cible. La marge bénéficiaire de Facebook reste très élevée. Elle a, en fait, de quoi faire rêver le plus ambitieux des entrepreneurs.
Maintenant, avec un titre à 78 $ US, les investisseurs de type croissance ont-ils raison de s'intéresser à Facebook ?
Les analystes de Cantor Fitzgerald prévoient qu'en 2020, le BPA sera cinq fois celui de 2014. Tout un potentiel ! Selon eux, le cours de l'action de Facebook devrait rapidement atteindre 92 $ US pour mieux refléter cette croissance future. Du côté des analystes de la Deutsche Bank, il devrait s'établir à 100 $ US ! Pour ces analystes, le titre est une aubaine.
Il y a toutefois deux bémols.
Le premier se trouve dans le défi de croissance. Il est possible pour la société de multiplier son bénéfice par cinq d'ici 2020, mais est-ce le scénario le plus réaliste ? C'était déjà un exploit de multiplier son bénéfice par cinq, pour le porter à 3 milliards de dollars américains, comme l'a fait Facebook de 2010 à 2014. Le quintupler de nouveau pour qu'il atteigne 15 G$ US en 2020 est un tout autre défi. En effet, une forte croissance est plus difficile à réaliser pour une entreprise qui a déjà une taille énorme.
Le deuxième bémol est que, historiquement, les analystes ont tendance à être trop optimistes. Les erreurs de prévision sont plus importantes pour un titre comme Facebook que pour une banque canadienne.
Étant donné ces deux constats, le risque d'investissement et d'une correction de la valeur de l'action est plus élevé. En résumé, l'investisseur de type valeur s'intéressera davantage à l'action de la Banque Nationale, qui verse un solide dividende et présente un faible ratio cours-bénéfice. L'investisseur de type croissance sera plutôt attiré par Facebook et son potentiel de multiplier le bénéfice par cinq, ce qui pourrait faire doubler le cours de l'action d'ici 2020. C'est potentiellement plus payant, mais aussi plus incertain.
Biographie
Richard Guay est professeur titulaire en finance à l’ESG UQAM et ancien président de la Caisse de dépôt et Placement du Québec.