Coup sur coup, deux événements sont venus nous rappeler la perte d'influence de Montréal comme centre d'affaires et le statut parfois incertain des sièges sociaux qui lui restent.
Tout d'abord, on apprenait au début de septembre que Rio Tinto entend abandonner prochainement l'appellation «Alcan». Depuis 2007, année de la mégatransaction qui a fait passer l'entreprise canadienne dans le giron de la géante anglo-australienne Rio Tinto, on s'était habitués tant bien que mal au nom Rio Tinto Alcan, qui coiffait tout le secteur de l'aluminium.
Mais si l'entité reste, le nom, lui, sera relégué aux oubliettes. Il sera maintenant tout simplement question de Rio Tinto. Et on ne peut que ressentir un pincement au coeur. Le nom Alcan est intimement lié au patrimoine industriel du Québec, et pas seulement au Saguenay-Lac-Saint-Jean. C'est un pan de notre histoire qui s'effacera.
Mais si ce n'était qu'une affaire de nostalgie... Dans les faits, l'importance du siège social de la division, maintenu à Montréal comme condition de l'attribution d'un bloc d'électricité par Québec, est en train de s'étioler.
La division bauxite et alumine est dorénavant dirigée à partir de Brisbane, en Australie. Les relations avec les investisseurs ont quant à elles été confiées au bureau de Londres. Dans un cas comme dans l'autre, c'était auparavant l'affaire de Montréal.
Et Rio Tinto a entrepris de réduire l'effectif du siège social lui-même, qui déménagera en 2016 de l'actuelle Maison Alcan, rue Sherbrooke, à la nouvelle Tour Deloitte, plus au sud, rue Saint-Antoine. Des 800 personnes qui y travaillaient encore en mai, de 110 à 170 ne feront pas leurs valises et leurs postes seront abolis, soit jusqu'à 21 % du personnel.
Québec possède encore une bonne prise sur le géant de l'aluminium. Rio Tinto produit, avec ses propres centrales, la plus grande partie de l'électricité dont elle a besoin. Mais elle compte aussi sur Hydro-Québec pour l'approvisionner à un tarif avantageux. Pour conserver cet avantage, elle doit maintenir un véritable siège social à Montréal.
Il faudra voir si on respecte tout autant l'esprit que la lettre de cette entente. Le siège social en cause doit exercer de véritables pouvoirs et ne pas servir essentiellement de façade.
Nous n'en sommes pas là. Mais l'engagement d'Alcan dans sa communauté, au fil des ans, était apprécié. De nombreuses causes tant culturelles que sociales en ont profité. Ces contributions doivent se poursuivre. Ce serait déjà une démonstration de bonne volonté.
Le cas Bell et Astral
Par ailleurs, un autre nom a récemment disparu du paysage montréalais et on est en train d'en constater l'impact. Astral a été achetée par Bell en juillet 2013 après que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) eut jugé suffisantes les concessions et assurances incluses dans l'entente. Sauf que, parallèlement, Bell se recentrait progressivement à Toronto, bien que son siège social soit toujours officiellement établi à Montréal.
Pour la première fois de son histoire, Bell est dirigée par un président, George Cope, qui passe le plus clair de son temps à Toronto. La majorité de son état-major aussi.
Il fallait donc logiquement redouter un déplacement de la gestion d'Astral de Montréal à Toronto, et c'est exactement ce qui se passe.
L'année 2015 a vu une vague de licenciements de cadres supérieurs montréalais, le dernier en date touchant Mario Clément, autrefois vice-président au contenu chez Astral. Cette ronde de mises à pied ne touche pas que des dirigeants montréalais, c'est vrai : au moins cinq cadres supérieurs de Bell établis à Toronto viennent aussi de perdre leur poste dans ce qui est manifestement un mouvement de rationalisation et de réduction de coûts. Sauf qu'à terme les décisions stratégiques touchant les anciennes stations de radio et de télé d'Astral relèveront de Toronto.
Au-delà de la perte d'influence, on peut aussi craindre qu'il ne devienne plus compliqué pour les producteurs et pour les artisans québécois de promouvoir leurs idées et de se glisser dans les grilles télé. Dans ce milieu, connaître les bonnes personnes et fréquenter les bons réseaux font partie des atouts stratégiques. On ne rétablit pas les relations appropriées du jour au lendemain.
Sans compter que, tout comme Alcan, Astral était très active en matière de commandites et de mandats professionnels. Bell l'est aussi, mais il est peu probable qu'elle reprenne à son compte toutes les contributions d'Astral au milieu. Dans ce domaine, 1 + 1 n'égale pas 2. Certaines actions seront mises de côté.
On ne le dira jamais assez, les sièges sociaux d'importance représentent un actif stratégique pour les collectivités où ils sont établis, un actif qui va bien au-delà de leurs seuls employés. On a eu tendance, au Québec, à sous-estimer leur rayonnement. Dans la mesure où c'est possible, lorsqu'il y a fusion ou acquisition d'entreprise, les autorités devraient tenir compte de cette variable dans les discussions qui touchent l'éventuel déplacement d'un siège social.
Rien ne se perd, rien ne se crée, disait le chimiste et philosophe Antoine Lavoisier. Peut-être en chimie, mais en matière de sièges sociaux, dommage, on n'en regagne pas forcément autant qu'on en perd...
Finances publiques L'essentiel, c'est de multiplier les revenus
La machine canadienne, sur laquelle on compte beaucoup (pensons à la péréquation), éprouve elle-même des problèmes. L'Ontario et l'Alberta acceptent momentanément des déficits en attendant de redémarrer leurs moteurs. Le Québec ? Les Martin Coiteux et cie ont montré qu'ils étaient sérieux dans leur désir de resserrer la gestion des finances publiques. Mais la sévérité des compressions en cours est discutable, particulièrement en éducation. Et on a passé plus de temps à surveiller la colonne des dépenses, alors qu'il faudrait surtout accélérer l'entrée de nouveaux revenus (autrement qu'en alourdissant la fiscalité). Voilà pourquoi les annonces touchant Nemaska Lithium et Ludia, entre autres, sont encourageantes. Le Québec doit tout faire pour stimuler les investissements privés. À terme, il regarnira ses coffres, les agences de crédit lui donneront un sauf-conduit, et on pourra enfin regarder droit devant.