BLOGUE. Peut-être dit-on de vous que vous avez une forte personnalité. Ou au contraire, que vous êtes quelqu’un de discret, pour ne pas dire d’effacé. Et allez savoir s’il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, d’un compliment sincère ou d’une critique voilée… L’interrogation sous-entendue est ici, à mon avis, de savoir si avoir de la personnalité est une bonne ou une mauvais chose, au travail. Pas vrai?
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J’ai trouvé une réponse à cette question, une réponse très intéressante, dans une passionnante étude intitulée Personality and choice in risky and ambiguous environnments : An experimental study. Cette dernière est signée par trois professeurs en économie de la New York University, à savoir Guillaume Fréchette, Andrew Schotter et Isabel Trevino. Elle montre, en effet, que notre personnalité joue un rôle prépondérant dans nos décisions, a fortiori au travail, mais pas dans toutes les situations…
Ainsi, les trois chercheurs ont demandé à 123 étudiants de participer à plusieurs expériences visant à déterminer les principaux facteurs qui interviennent lorsqu’on a une décision à prendre en général, mais également quand on est sous pression, c’est-à-dire quand il nous faut décider en sachant fort bien que les risques sont grands de se tromper (informations insuffisantes pour être certain de faire le bon choix, etc.). Le principe de l’expérience était très simple : chacun devait faire un choix parmi différentes loteries dans l’optique de faire fructifier sa somme de départ, et ce, tout en étant soumis à différents traitements. Par exemple, certains disposaient de toutes les informations nécessaires pour faire le meilleur choix (les chances de gain pour chacune des six loteries), tandis que d’autres avaient des informations insuffisantes, et que d’autres encore étaient contraints de se baser sur les conseils d’autrui, faute de la moindre information pertinente.
Les observations découlant de cette expérience sont on ne peut plus intéressantes :
1. Le rôle déterminant de notre tolérance au risque. Quand il nous faut prendre une décision risquée, le seul facteur qui joue véritablement est notre propre tolérance au risque. Notre personnalité, elle, n’a guère d’influence. À noter qu’un autre facteur intervient, mais avec une importance moindre : le sexe. Oui, les femmes sont en général moins à l’aise que les hommes dès qu’il est question d’entreprendre quelque chose de risqué.
2. Un réflexe de survie. Quand nous sommes en pleine incertitude, nous avons tous le même réflexe : nous cherchons de l’information. Or, cette collecte donne des résultats différents en fonction de qui nous sommes, soit en fonction de notre personnalité, de notre tolérance au risque et de notre sexe.
3. À la recherche d’un appui stable. Nous tenons toujours compte de l’information glânée ici et là, quand nous nous trouvons dans un environnement incertain.
4. Une manière particulière de prendre des risques. Quand nous savons qu’il va nous falloir prendre des risques, et ce dans un environnement incertain, deux facteurs influencent nos décisions : notre personnalité et notre tolérance au risque.
5. Une immense confiance en autrui. Dès qu’un conseiller nous fait part de ses lumières alors que nous nous trouvons dans le noir total, nous nous fions totalement à lui. Nous oblitérons notre personnalité.
6. Une écoute biaisée. Lorsque nous disposons d’informations parcellaires, nous écoutons les conseils qui nous sont prodigués, mais la probabilité que nous les suivions dépend de notre personnalité et de notre sexe (les femmes ont plus tendance à les suivre que les hommes).
7. Des conseils biaisés. La nature des conseils prodigués est fonction du sexe et de la personnalité du conseiller. Curieusement, les femmes sont plus promptes que les hommes à conseiller aux autres de prendre des risques!
8. Des arguments variables. Quand les conseillers ont à se justifier, les arguments avancés dépendent de leur sexe et de certains traits de leur personnalité.
On le voit bien, cette étude est une mine d’enseignements pour qui se pique de management et de leadership. Chacune de ces huit observations peut nous permettre de mieux naviguer à vue notre petite barque, surtout lorsque nous sommes plongés dans un épais brouillard. Aller tout droit? S’arrêter un instant, dans l’espoir que le vent va lever la brume? Écouter les conseils de nos équipiers, femmes comme hommes? Écarter, dans la mesure du possible, notre personnalité pour prendre la décision la plus sage? Ou plutôt, se boucher les oreilles et agir à sa guise, selon son instinct et son expérience? Oui, ces observations peuvent nous venir en aide, dans plus d’une situation difficile.
Cela étant, je pense que s’il ne fallait retenir qu’un enseignement de cette étude, ce serait le fait que face au risque, nous sommes grosso modo tous semblables, ou plutôt que nous réagissons tous de la même manière. Nous gommons notre personnalité. Nous faisons taire ce que nous sommes au fond de nous-mêmes et n’agissons qu’en fonction de notre plus ou moins grande tolérance au risque. Si nous sommes une personne peureuse, nous allons figer et commettre une bourde. Si nous avons le goût du risque, nous choisirons l’option la plus risquée et aurons de fortes chances de nous planter. Bref, notre nature profonde, pour ne pas dire nos instincts primaires, va primer sur notre personnalité et sur notre raison.
D’autres méritent une attention soutenue, et je vous laisse juge de les creuser ou non. Par exemple, le fait que nous accordons une confiance aveugle à la personne qui vient à notre secours et aux informations que celle-ci nous apporte quand nous sommes en pleine confusion nous indique, me semble-t-il, que nous ferions mieux d’être suspicieux envers ce samaritain. Veut-il véritablement notre bien? Et quel est son intérêt de voler de la sorte à notre secours? Et leurs informations sont-elles si fiables que cela? Question de simple prudence…
L’écrivain français Henri Bosco aimait d’ailleurs à dire : «Il arrive que les grandes décisions ne se prennent pas, mais se forment d’elles-mêmes»…
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