BLOGUE. Lorsqu' il nous faut prendre une décision cruciale, c'est-à-dire lorsque les enjeux sont de taille, nous avons tous le réflexe de glaner le plus d'informations possible, puis de trancher en notre âme et conscience. Oui, nous voulons avoir le plus de contrôle possible sur notre décision. Mais voilà, est-ce vraiment la meilleure chose à faire?
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La réponse à cette interrogation existentielle, je la connais. Je l'ai dénichée dans une étude intitulée Deciding for others reduces loss aversion. Celle-ci est signée par : Håkan Holm, professeur d'économie à l'École d'économie et de management de l'Université de Lund (Suède), assisté de son étudiant Erik Wengström; Ola Andersson, doctorant en économie à l'Institut de recherche en économie industrielle de Stockholm (Suède); et Jean-Robert Tyran, professeur d'économie à l'Université de Copenhague (Danemark). Elle présente une réponse que je trouve lumineuse…
Les quatre chercheurs se sont servi d'une base de données particulière de Statistique Danemark, le pendant danois de Statistique Canada. Depuis 2008, l'organisme prend en effet contact avec quelque 22 000 personnes tirées au sort pour leur proposer de participer à différents sondages parallèles, moyennant rétribution. Dans le cas de cette étude, 2 300 personnes se sont montré intéressées, et de celles-ci, 740 ont été retenues.
Que leur a-t-il été demandé? De se prêter à un petit jeu de loterie en ligne. À leur insu, les participants ont été répartis dans quatre catégories distinctes :
> Individuel. Le participant joue pour lui-même. S'il gagne de l'argent, c'est pour lui.
> Hypothétique. Le participant joue juste pour jouer. Personne ne gagne rien.
> Pour les deux. Le participant joue pour lui et pour une autre personne, anonyme. S'il gagne, l'argent est équitablement réparti entre l'autre et lui.
> Pour autrui. Le participant joue pour autrui. S'il gagne, c'est l'autre qui empoche l'argent.
Puis, chacun a dû faire des choix, entre participer à une loterie risquée, mais payante (le joueur peut ne rien gagner, et même perdre l'argent misé) ou à une dépourvue de risque, mais peu payante (le joueur peut ne rien gagner, mais en aucun cas perdre l'argent misé). Et ce, 10 fois de suite, sachant qu'à chaque fois les probabilités de gain (et le cas échéant, de perte) changeaient. À la toute fin, un des 10 choix était aléatoirement retenu et le tirage au sort effectué, avec, à la clé, un possible gain pour le participant.
Résultats? Fort intéressants :
> Des choix raisonnés. Quand le risque de perdre de l'argent était nul, tout le monde était également prêt à opter pour des choix risqués mais calculés, où les chances de gain étaient minces, mais payantes.
> Un cas particulier. Quand le risque de perdre de l'argent était présent, les seuls qui n'avaient pas peur de faire des choix risqués mais calculés étaient ceux qui jouaient pour autrui. C'est-à-dire ceux qui n'étaient pas directement concernés par les conséquences de leur choix.
Que retenir de tout cela? Une chose très simple :
> Qui entend prendre des risques calculés mais sent que la peur de perdre le tétanise doit s'en remettre à autrui. Bien entendu, pas à n'importe qui : quelqu'un en qui on a entière confiance, mais surtout quelqu'un d'avisé et détaché des enjeux de la décision à prendre. Car cette personne-là saura, elle, faire le choix qui s'impose, même s'il vous effraie a priori.
Pourquoi, me direz-vous, autrui est-il mieux placé que vous pour prendre ce genre de décision? Les quatre chercheurs estiment que de récentes avancées en neuroéconomie faites, entre autres, par Albrecht, Volz, Sutter, Laibson & Von Cramon en 2010 ainsi qu'en neuroscience, notamment par Sokol-Hessner, Camerer & Phelps en 2013, permettent de le dire.
En effet, ces études montrent que si l'on réduit l'activité d'une partie du cerveau de l'être humain appelée l'amygdale, on réduit du même coup la peur de perdre de la personne concernée. Or, l'amygdale est connue pour être essentielle au décodage des émotions, en particulier de celles qui nous traversent quand nous ressentons une menace. Par conséquent, lorsqu'il nous faut prendre une décision cruciale, notre cerveau est bombardé par les émotions qui nous assaillent subitement, et ainsi monopolisé par le traitement de toutes ces informations biaisées, car teintées par la peur de perdre. Et il n'est dès lors plus à même de prendre une décision raisonnée. Ce qui n'est pas le cas pour autrui, qui, lui, est détaché de la peur de perdre. CQFD.
Voilà. Il ne vous reste donc plus qu'à trouver cette fameuse personne de confiance, et à avoir la sagesse de vous en remettre à elle, le moment venu.
En passant, l'écrivain québécois Andrei Stoiciu a dit dans Montana : «La méfiance est la sagesse des faibles».
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