BLOGUE. Bien souvent, nous considérons a priori que ce qui motive le plus les gens, c’est l’atteinte d’un objectif et l’obtention de la récompense qui va avec. C’est-à-dire la recherche d’un intérêt personnel. Pourtant, en y regardant mieux, on peut s’interroger sur la pertinence de cette croyance : comment expliquer, par exemple, que tant de parents se «sacrifient» pour leurs enfants? Ou encore, que des gens fassent des dons de sang pour des personnes qu’elles ne verront jamais? Poussons un peu plus loin la réflexion, et demandons-nous : «N’y aurait-il pas là un moteur de motivation très efficace, mais jamais utilisé en entreprise, ou du moins au travail?»…
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Intéressant, comme question, non? Une anecdote pour piquer davantage votre curiosité… Barack Obama s’est rendu en 2009 à l’Arizona State University et y a fait un discours de motivation à l’attention des étudiants. Que leur a-t-il dit? De travailler fort pour avoir un beau diplôme et un beau métier? De ne pas lâcher, même si la récession de l’époque faisait planer des nuages noirs sur leur début de carrière? Pas du tout! Il leur a dit : «Trouvez quelqu’un autour de vous à aider vers la route du succès. Donnez-lui de l’espoir. Pensez à ce dont il a besoin». Pas mal, n’est-ce pas? Il leur a conseillé de ne pas travailler pour eux, pour leur réussite personnelle, mais pour autrui. Oui, le président américain les a invité à faire preuve de solidarité, et – subtilement – à trouver leur propre motivation dans cet élan de solidarité!
Maintenant, vous me direz que tout cela est bien beau et sent à plein nez l’optimisme béat. Je vous aurais peut-être donné raison, mais voilà, je suis tombé hier sur une étude sur le sujet qui indique le contraire. Cette étude est intitulée Incentivizing using prosocial motivations et est signée par deux chercheurs du Center for Decision Sciences de la Columbia University, Ye Li et Margaret Lee. Elle indique qu’agir pour autrui est un facteur de motivation efficace, et même plus efficace que d’autres…
Ainsi, les deux chercheurs de Columbia ont procédé à trois expériences afin de vérifier si le fait d’agir pour autrui est, ou non, est élément de motivation, et, le cas échéant, afin d’évaluer son importance. Trois expériences que je vais tenter de vous résumer…
Dans la première, il a été demandé à 150 internautes de participer à un jeu de réflexion permettant de gagner un bon d’achat chez Amazon. Chaque participant avait quatre minutes pour trouver le maximum de mots anglais à partir des sept lettres suivantes : A, D, E, R, S, T et W (note, il y en a 140 possibles). Toutefois, tous n’étaient pas dans les mêmes conditions de départ. Certains jouaient pour un montant fixe. D’autres, pour un montant variable : pour une partie d’entre eux, en fonction de leur performance; pour l’autre, leur performance permettait d’établir la récompense du prochain joueur, et leur propre performance avait été établie par «le participant précédent, Zach Burns, qui a trouvé 63 mots et vous a ainsi fait gagner d’office 12,60 dollars».
Résultats? Les plus performants ont été les participants qui oeuvraient pour autrui, ayant trouvé en moyenne 5 mots de plus que les autres. Oui, ceux-ci ont été plus efficaces que ceux qui étaient récompensés en fonction de leur performance personnelle! Surprenant, n’est-ce pas? La question saute dès lors à l’esprit : pourquoi ceux-là ont-ils travaillé plus fort que les autres, d’autant plus qu’ils n’avaient rien à gagner personnellement à agir de cette façon? D’où la deuxième expérience…
Cette fois-ci, 183 étudiants de Columbia ont dû s’atteler à la tâche fastidieuse de compter le nombre de 1 figurant dans d’interminables listes binaires (composées uniquement de 0 et de 1), en un temps limité. Le but était de s’approcher le plus possible du nombre exact de 1. Les conditions de départ ont été affinées, dans l’optique de déceler ce qui faisait que les plus altruistes étaient les plus performants. Et les deux chercheurs ont découvert que les participants ne faisaient preuve d’altruisme qu’à deux conditions complémentaires :
> S’ils savaient que le participant précédent avait travaillé pour eux;
> Et s’ils savaient que le candidat suivant – c’est-à-dire celui pour lequel ils oeuvraient – serait astreint, lui aussi, de travailler pour son prochain.
Pour en avoir le cœur net, les deux chercheurs ont décidé de renouveler l’expérience, auprès de 104 étudiants de l’University of Chicago. Avec une nuance : les participants rencontraient en personne celui ou celle pour qui ils oeuvraient, ou un intermédiaire (un des chercheurs). Et là, la rencontre face-à-face – tant avec l’autre participant qu’avec l’intermédiaire – a visiblement accru la motivation pour agir de manière altruiste.
Quelles leçons pratiques dégager de cette étude? J’en vois deux essentielles :
1. Il peut être plus motivant de travailler pour le profit d’autrui que pour le sien;
2. Les deux éléments déclencheurs pour se montrer altruiste sont le fait que : certains ont travaillé pour moi de manière altruiste ; et que ceux pour qui je travaille feront preuve, eux aussi, d’altruisme. Bref, le fait que l’altruisme fonctionne comme une chaîne de générosité.
Plus concrètement, on peut estimer que :
> Si l’on veut accroître la motivation – et par suite, la performance – d’une personne, voire d’une équipe, il peut être bon de lui faire comprendre qu’elle ne travaille pas que pour elle, mais surtout pour autrui.
> Peu importe l’identité de la personne pour qui on se dévoue : ça peut être un collègue, un client, un partenaire, ou encore un simple anonyme. Toutefois, l’idéal est d’organiser une rencontre avec celle-ci, ou du moins avec un intermédiaire (par exemple, le leader de l’équipe, qui, lui, a ou va rencontrer cet inconnu).
> Point important : la personne anonyme pour qui l’on travaille doit elle-même être une personne généreuse. Il convient donc d’en informer ceux qui s’apprêtent à agir de manière altruiste pour elle.
> Autre point crucial : personne n’agit de manière totalement désintéressée. C’est d’ailleurs pourquoi l’étude a mis au jour le fait que les participants ne se montraient altruistes qu’à condition de bénificier eux-mêmes de l’altruisme des autres. Par conséquent, on ne peut demander à un membre de son équipe de travailler pour autrui avec le cœur sur la main que si elle en est, d’une manière ou d’une autres, «récompensée». Quelle récompense? Les auteurs de l’étude ont une suggestion : faire savoir à tout le monde ce que l’employé en question a fait de généreux. «Nous agissons souvent de façon à donner une bonne image de nous-mêmes aux autres», soulignent-ils.
Aussi simple que ça. Maintenant, à vous de jouer, en instaurant une «chaîne de générosité»! Et en trouvant la corde sensible de chaque membre de votre équipe qui le rendra plus motivé que jamais…
En passant, Albert Camus a dit dans L’Homme révolté : «La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent»…
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