BLOGUE. Aujourd’hui, tout le monde rivalise de créativité, tout le monde croit que le succès passe obligatoirement par la créativité, bref, tout le monde ne jure que par la créativité. La logique voudrait donc que les personnes les plus créatives connaissent de belles carrières, qu’elles volent de postes en postes encore plus prestigieux et passionnants, sur les ailes de la gloire… Pas vrai? Eh bien non, ce n’est pas vrai!
Découvrez mes précédents posts
Et beaucoup d'autres articles management sur Facebook
Regardez autour de vous… Pensez-y fort et ne le dîtes pas aux autres : votre big boss, brille-t-il vraiment par sa créativité? Je suis prêt à mettre ma main au feu que la réponse est «non». Certes, le mot «créativité» revient peut-être souvent dans son discours, et peut-être aussi encourage-t-il ses troupes à faire preuve de davantage de créativité, mais lui-même, est-il si créatif que cela? Vous voyez bien que j’ai raison…
Comment expliquer un tel paradoxe? Si les entreprises ont conscience que le seul moyen de survivre de nos jours, voire de connaître une belle croissance, c’est d’être plus créatif que les autres, alors comment se fait-il que ceux qui sont à leur tête ne font pas d’étincelles? La réponse est fort simple : rares sont ceux qui considèrent que les créatifs font de bons leaders!
J’ai découvert cela grâce à une étude lumineuse intitulée Recognizing creative leadership, signée par trois chercheurs : Jennifer Mueller, de l’University of Pennsylvania, Jack Goncalo, de la Cornell University, et Dishan Kamdar, de l’Indian School of Business. Ceux-ci ont voulu voir comment les personnes créatives étaient perçues par leurs collègues, et ont ainsi mis au jour le fait que ce talent bridait plus qu’autre chose leur carrière…
Voici comment ils s’y sont pris… Dans une première expérience, les trois chercheurs ont demandé à 55 des 346 employés d’une division d’une multinationale implantée en Inde d’évaluer le potentiel de leadership de chacun des 291 autres qu'ils connaissaient bien. L’évaluation se basait sur plusieurs critères, comme leur aisance face à la nouveauté, leur comportement avec les autres, leur motivation, leur créativité, etc. Résultat? Une forte corrélation entre le fait d’être créatif et le fait d’être un piètre leader! «A priori, on croit tous que la créativité est un atout. D’ailleurs, personne ne va dire spontanément qu’il ne veut pas être quelqu’un de créatif. Mais voilà, quand quelqu’un émet une idée vraiment neuve, la première réaction des autres est de dire «Wow! Qu’est-ce que c’est que ça?». C’est le signe que la nouveauté suscite d’emblée un inconfort», explique Jennifer Mueller.
Dans la deuxième expérience, les trois chercheurs ont demandé à 194 étudiants d’une grande université américaine de jouer à un jeu. La moitié d’entre eux ont interprété le rôle des innovateurs, et l’autre, celui des évaluateurs ; et dans le premier groupe, deux catégories ont été instaurées, à savoir celle de ceux qui avaient des idées géniales et celle de ceux qui avaient des idées pragmatiques.
Chaque étudiant avait 10 minutes pour faire sa présentation aux évaluateurs, lesquels devaient attribuer une note au projet en fonction de sept critères tournant autour des notions de créativité et de leadership (à noter que les chercheurs ont pris soin de prendre pour cette expérience des personnes qui avaient des talents d’orateurs semblables). Idem, ceux qui brillaient par leurs idées géniales n’ont pas été perçus comme de bons leaders, c’est-à-dire comme les bonnes personnes pour mener à bien le projet ambitieux qu’elles avaient. Ceux qui s’en sont sortis le mieux ont été, en fait, les participants qui ont émis des suggestions pragmatiques et peu originales…
«Cela montre bien que ce qui fait surtout la valeur d’un leader aux yeux d’un groupe, c’est sa capacité à diminuer l’incertitude. Chacun s’attend à ce que le leader prenne les choses en mains et donne une direction claire à suivre, tout en étant sûr de ce qu’il entreprend. Pas à ce qu’il ait mille idées différentes par jour, ce qui est désorientant pour les autres», indique Mme Mueller.
La troisième et dernière expérience a permis d’affiner les résultats des deux autres. Pas besoin d’expliquer en quoi elle consistait, l’important est son résultat : le seul cas où l’on apprécie les qualités créatives d’un leader, c’est quand celui-ci est jugé comme «charismatique». On pense alors à des leaders comme Steve Jobs (Apple) et autres Richard Branson (Virgin).
Quelles implications cette étude a-t-elle en matière de management? A mon avis, il est grand temps de débusquer les stéréotypes que nous avons, vous et moi, à propos de la créativité. Non, les créatifs ne sont pas des gens farfelus. Non, les créatifs ne sont pas les amuseurs du groupe. Non, les créatifs ne sont pas non plus les «emmerdeurs de service». Et oui, il est maintenant dépassé de se contenter de les écouter (d’une oreille distraite), il est devenu impératif de leur confier le pouvoir.
Est-ce un pari risqué? Un pari trop risqué? Oui et non. Parce qu’il faut prendre aujourd’hui de tels risques pour espérer survivre. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à le penser : l’Institute for Business Value d’IBM a interrogé quelque 1 500 PDG du monde entier sur les défis qui les attendent, et devinez quoi, la créativité figurait en tête de liste des qualités les plus importantes à avoir pour diriger une grand entreprise dans les prochaines années! Pourquoi? Parce que les leaders créatifs sont des personnes qui aiment brasser les idées, qui sont ouvertes à celles des autres et qui savent identifier celles qui sont géniales et qui leur permettront de distancer la concurrence, d’après Mme Mueller.
Edwin Herbert Land, l’inventeur du Polaroïd, disait fort justement : «Innover, ce n’est pas avoir une nouvelle idée, mais arrêter d’avoir une vieille idée»… Qu'en pensez-vous?
Découvrez mes précédents posts