BLOGUE. La «capabilité», vous connaissez? Il s’agit d’un concept inventé par le Prix Nobel d’économie Amartya Sen, dans l’optique d’évaluer les possibilités offertes à chacun de nous d’exercer réellement sa liberté. Un concept qui peut, de mon point de vue, avoir des applications en management très intéressantes…
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Ainsi, l’actuel professeur à Harvard a accordé une entrevue à Philosophie Magazine dans laquelle il précise sa pensée concernant la capabilité :
«Le terme le plus proche, c'est celui qu'utilise Aristote, la «dynamis», et qu'on traduit souvent en anglais par «capacity» et en français par «puissance», explique-t-il. La capabilité concerne la vie humaine, pas exactement la manière dont les vies humaines se passent en fait, mais le degré de liberté dont on dispose pour mener un autre genre de vie. Si vous pensez que la vie que vous menez n'est pas bonne, est-ce que vous pouvez la changer ? Est-ce que vous pouvez en avoir une autre ? Voilà l'idée, et il me fallait un terme plus large que la liberté ou le pouvoir.»
Un exemple concret… Vous voulez acheter la toute nouvelle Audi A8 L. Avez-vous la liberté de le faire? Oui. Maintenant, avez-vous la capacité de le faire? Ça devient nettement moins évident ; mettons que la réponse est non. En conséquence, l’économiste considère que vous n’avez pas une capabilité suffisante pour acheter la voiture de vos rêves.
«La capabilité est liée à la liberté, et j'accorde une grande importance au fait de ne pas être empêché de faire quelque chose, dit-il. La liberté substantielle dont disposent les gens, c’est ce qu'ils sont effectivement capables de faire, ce qu'ils peuvent se permettre de faire, ce qu'ils ont les ressources de faire. Et ça dépend de votre richesse, de votre éducation, du type de société dans laquelle vous vivez.»
L'approche de la capabilité se concentre sur la vie humaine, pas vraiment sur les biens et les moyens dont on dispose. Elle s’intéresse aux possibilités réelles de vivre sa vie.
C’est évident, un lien peut être noué avec le monde du travail. Il est possible de faire, en deux minutes, des petits exercices permettant d’évaluer votre propre capabilité au bureau. Prenons un exemple… Vos employés sont-ils libres d’aller vous voir pour discuter ? La réponse est certainement «oui», car, comme nombre de dirigeants, vous n’avez, à n’en pas douter, de cesse de répéter que «votre porte est toujours ouverte». Maintenant, vos employés ont-ils réellement la capacité de vous dire le fond de leur pensée, par exemple, de critiquer ouvertement un point particulier de votre tout dernier projet ? Là, si vous êtes honnête avec vous-même, la réponse n’est peut-être pas franchement «oui»… et peut-être même «non»… Pas vrai? En conclusion, vos employés n’ont pas la capabilité suffisante pour collaborer au mieux avec vous !
Vous pouvez aller plus loin. Une suggestion : reprenez le même exercice (la possibilité de vous parler ouvertement), mais en l’applicant au cas par cas. Vous réaliserez alors que vous ne traitez pas vos employés sur le même pied d’égalité : certains peuvent se montrer franc avec vous, mais d’autres feraient mieux de marcher sur des œufs s’ils ne veulent pas se faire montrer la porte. Qu’en pensez-vous?
Idem, vous pouvez envisager de faire votre auto-évaluation de capabilité. Là encore, je vous invite à vérifier si vous avez un accès privilégié ou non au bureau de votre supérieur hiérarchique. Ou tout autre sujet qui vous semble à propos… Et toujours dans l’idée d’affiner la méthode, évaluez les deux critères – liberté et capacité – en fonction d’une échelle de notation (par exemple, de 1 à 10, 10 étant le meilleur score possible).
Une fois cela en tête, l’idée est d’améliorer sa propre capabilité, voire celle des autres, c’est-à-dire de trouver un truc pour rendre possible ce qui ne l’est pas encore. Dans la même entrevue, Amartya Sen donne une piste très inspirante à cet égard : «La capabilité peut être améliorée par différents moyens. Vous avez notamment des gens qui ne sont pas autorisés à faire certaines choses ; leur accorder des libertés peut être très important pour leur capabilité», dit-il.
«Souvent, on réfléchit à ce qui arrive à un groupe entier, ajoute-t-il. Mais nous sommes des êtres humains individuels. Nous avons des intérêts, des valeurs et des jugements différents. Il faut partir des individus (pour arriver à un résultat probant).»
Une vision qui fait de cet économiste l’un des grands philosophes de notre temps…
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