BLOGUE. Nous avons des idées sur tout, sur la meilleure façon de piloter une équipe, sur la direction à donner à un projet, sur la stratégie à adopter pour contrer un concurrent, etc. Ces idées se transforment parfois en certitudes, et c’est là qu’un piège nous attend : nous préférons parfois aller droit dans le mur plutôt que de remettre en question notre conviction d’être dans le vrai. Ça vous dit quelque chose?
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Heureusement, il existe un moyen de venir à bout de nos néfastes certitudes. Un moyen original, ou plutôt oublié, même s’il a longtemps fait ses preuves : le bouffon!
Cette idée n’est pas de moi. Je l’ai dénichée dans une étude renversante de la Stockholm School of Economics, signée par les économistes Guje Sevon, de la SSE, et Liisa Välikangas, de la Helsinki School of Economics. Celles-ci y indiquent à quel point les dirigeants d’entreprise et autres gestionnaires feraient bien d’avoir un bouffon dans leur entourage, ne serait-ce que pour se faire dire leurs quatre vérités sans pour autant blesser leur ego.
Ainsi, Mmes Sevon et Välikangas partent d’un postulant amusant, mais riche et profond dans ses conséquences. Nous considérons tous que notre intelligence nous permet de produire des idées, des bonnes commes des mauvaises. Que les idées découlent donc directement de la capacité de notre cerveau. Et si l’on considérait le contraire? Et si l’on disait que les idées pré-existaient et que certains d’entre nous, plus réceptifs que les autres, parvenaient à capter les meilleures (et les autres, les moins bonnes…)?
Vrai ou pas, ce postulat est intéressant en ce sens qu’il permet de voir notre rapport avec les idées – et donc la créativité – d’un regard neuf. Par exemple, nous pouvons être, vous et moi, obnubilés par une idée qui nous est venue, au point de changer de mentalité et de comportement. On peut penser à Don Quichotte et son idée de la chevalerie, ou encore au capitaine Achab et son idée de cachalot blanc. De telles obsessions peuvent permettre de mener à bien des projets grandioses, mais aussi complètement loufoques. Comment savoir si celui que vous avez est sublime ou ridicule? Un bouffon pourrait vous le dire…
En effet, Mmes Sevon et Välikangas considèrent le bouffon comme la personnification des idées du roi. Il agit comme un miroir, se contentant de refléter les pensées inavouées de son maître, non pas en les déformant, mais au contraire en les dévoilant dans leur troublante nudité. «On trouvait des bouffons dans toutes les civilisations, en Europe, en Chine, en Inde, en Afrique, au Moyen-Orient. Ils répondaient notamment au besoin des rois d’avoir la vérité pour prendre les meilleures décisions possible. Ils leur permettaient aussi de réfléchir à des problèmes sous un angle auquel ils n’avaient pas pensé, qu’ils n’avaient en réalité pas eu le courage jusqu’alors d’envisager, car celui-ci prenait le contre-pied de leurs croyances», indiquent-elles, en citant comme modèle Will Sommers, le fou du roi Henri VIII, qui était devenu un membre important de la cour britannique.
Les avantages d’avoir un bouffon à ses côtés sont, par conséquent, multiples :
- Ils sont un antidote aux certitudes, plus paralysantes qu’autre chose quand survient un événement inattendu;
- Ils sont une mine d’idées fraîches, en fait d’idées qu’on avait déjà en soi mais qu’on refaisait de considérer;
- Ils peuvent se faire les porte-parole du peuple (les employés, les gestionnaires, etc.), quand les messages de celui-ci ont du mal à vous atteindre;
- Ils font prendre conscience aux dirigeants de la fragilité du pouvoir;
- Enfin, ils permettent de détendre l’atmosphère quand celle-ci est trop tendue.
Parfait, me direz-vous, mais les bouffons, ça n’existe plus. Détrompez-vous. Il y en a plus qu’on ne croit. Les deux économistes prennent un exemple remarquable, celui de Paul Birch, qui a été recruté en 1995 par la compagnie aérienne British Airways en tant que «bouffon officiel»! Sa mission consistait à intervenir auprès du conseil d’administration comme un bouffon le faisait au Moyen-Âge auprès de la cour royale, en faisant des remarques dérangeantes auprès des membres du conseil qui, comme les rois d’antan, étaient si déconnectés du terrain que plus aucune critique des employés ne remontait jusqu’à eux. «Aujourd’hui, il est tout à fait envisageable de recruter un consultant externe comme bouffon, pourvu que celui-ci accepte de jouer un tel rôle», soulignent Mmes Sevon et Välikangas.
C'est qu'il s'agit d'un rôle dangereux, que tout employé ferait mieux de refuser de jouer, à mon avis. Mettre en évidence les défauts des dirigeants et les dénoncer publiquement, même sous couvert de l'humour, est risqué. Très risqué. «Quand une personne devenait un bouffon, elle était étiquetée à vie comme tel. Impossible par la suite de changer de carrière», soulignent les deux économistes. D'ailleurs, combien de bouffons à la langue trop bien pendue ont-ils fini avec la tête tranchée?
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