BLOGUE. «Notre société compte moins de génies qu’auparavant», constate Gideon Rachman, chroniqueur du Financial Times. De fait, qui sont les Einstein et autres Charles Darwin d’aujourd’hui? Qui sont ceux qui révolutionnent en ce moment-même la façon dont on voit le monde qui nous entoure? L’air de rien, ce questionnement a, je pense, un impact majeur… dans le domaine du management!
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Mais revenons avant ça à la réflexion de M. Rachman. Il a regardé de près le récent palmarès «Top 100 Global Thinkers» du Foreign Policy et noté que les premières places sont occupées par des personnes qui sont plus dans l’action que dans la réflexion. Les deux premières places sont ainsi prises par Bill Gates et Warren Buffett, pour leurs efforts philanthropiques. Suivent Barack Obama (3), le ministre brésilien Celso Amorim (6), ou encore le général américain David Petraeus (8). Le premier «penseur» apparaît seulement à la 12e place du palmarès, il s’agit de l’économiste Nouriel Roubini.
Il faut vraiment descendre plus bas dans le classement pour trouver des noms d’intellectuels. On trouve notamment l’économiste Joseph Stiglitz, le journaliste Christopher Hitchens, la philosophe Martha Nussbaum, l’écrivain Mario Vargas Llosa et le théologien Abdul Karim Soroush.
Keynes, Picasso, Freud, Gandhi,…
Ce groupe de penseurs est, certes, impressionnant, mais M. Rachman s’est amusé à le comparer à ce qu’aurait été un palmarès similaire si l’on en avait fait un il y a 150 ans. Pour l’année 1861, on aurait trouvé des noms comme ceux de Charles Darwin et John Stuart Mill, de Karl Marx et Charles Dickens, ou encore de Léon Tolstoï et de Fiodor Dostoïevski… Et si l’on avait focusé sur la politique, comme le fait le Foreign Policy, au lieu des Barack Obama, Nick Clegg, Angela Merkel et Silvio Berlusconi d’aujourd’hui, on aurait trouvé respectivement Abraham Lincoln, William Gladstone, Otto von Bismarck et Giuseppe Garibaldi…
L’année 1861 était peut-être exceptionnelle. Alors, le chroniqueur du Financial Times a regardé les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Et il a relevé quelques noms, comme ceux d’Einstein, de Keynes, de Picasso, de Freud, de Gandhi, de Churchill, de Camus, etc.
Alors, comment expliquer que nos contemporains fassent si piètre figure par rapport à leurs aînés? Sommes-nous tous des cancres, sans aucun génie pour rattraper le lot? C’est là que Jonah Lehrer, un blogueur du magazine Wired spécialisé dans les neurosciences, apporte une réflexion très intéressante, de mon point de vue, dans un de ses derniers posts. Il émet l’hypothèse que l’ère des génies solitaires est aujourd’hui révolue, les grandes découvertes ne pouvant plus être faites que par des équipes.
Une nouvelle ère est née
Les travaux de Ben Jones, professeur à la Kellogg School of Management, appuient son idée. Ils montrent en effet que l’âge moyen des Prix Nobel quand ils font leur grande découverte a augmenté de six années durant le 20e siècle et tourne maintenant autour de 40 ans. Pourquoi? Vraisemblablement parce qu’il faut de nombreuses années pour devenir un expert dans son domaine, tant il y a de connaissances à assimiler avant de pouvoir en produire soi-même. On est loin de Léonard de Vinci, qui commençait à pondre des idées géniales à l’aube de la vingtaine…
Ces travaux révèlent également que l’individu a de moins en moins d’importance dans les grandes découvertes. D’ailleurs, la quasi-totalité des articles scientifiques publiés de nos jours sont signés par des équipes, et non par des chercheurs isolés dans leur coin.
«Pour avancer dans une réflexion, nous avons besoin du feedback et des connaissances des autres. Nous vivons dans un monde si complexe que nous sommes confrontés à des difficultés insurmontables tout seul», écrit Jonah Lehrer dans son blogue.
La conclusion est là, irrévocable… On ne peut plus tout miser sur un employé talentueux pour faire avancer son équipe ou son projet. L’époque n’est plus à ce qu’on appelle communément les «super-vedettes», car les défis à relever sont beaucoup trop durs pour elles seules, toutes talentueuses qu’elles soient. L’efficacité passe par l’équipe, et elle seule. Jonah Lehrer le dit avec style : «La collaboration n’est plus une option».
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