BLOGUE. Deux cas de figure peuvent se présenter : soit le président-directeur général (PDG) d’une entreprise est sur la même longueur d’ondes que les propriétaires de celle-ci, soit il ne l’est pas. Dans le dernier cas, c’est peut-être parce qu’il aimerait faire preuve de plus d’audace que ce qu’on l’autorise à faire, ou l’inverse. Il n’est alors pas à sa place. Ce qu’il y a de troublant, c’est que c’est très souvent le cas!
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Pourquoi? Parce qu’il est très difficile pour les propriétaires d’entreprise d’offrir la rémunération et les avantages qui conviendraient parfaitement pour attirer le candidat idéal au poste de PDG. S’ils payent «trop» pour le travail demandé, ils vont voir débouler des candidats plus alléchés par l’aubaine que par la mission à accomplir, et auront de fortes chances de choisir l’un d’eux. Et s’ils ne payent «pas assez», aucun candidat véritablement intéressant ne se présentera à eux.
Le défi consiste par conséquent à trouver le «juste milieu» dans l’offre présentée, comme le recommande Aristote dans son Éthique à Nicomaque. J’ai mis la main sur une étude passionnante à cet égard, signée par quatre économistes italiens : Oriana Bandiera et Andrea Prat, tous deux de la London School of Economics (Grande-Bretagne), Luigi Guiso, de l’European University Institute (Italie), et Raffaella Sadun, de Harvard (Etats-Unis). Ceux-ci se sont demandé comment l’on pouvait accorder au mieux une entreprise et le PDG qui la pilote, et ont fait des découvertes très intéressantes…
Ainsi, les chercheurs ont eu accès au profil détaillé de 603 hauts dirigeants d’entreprise oeuvrant en Italie, dont 60% étaient des PDG. Dans cet échantillon, 90% des entreprises concernées embauchaient moins de 500 employés (pour être précis, 39% avaient moins de 10 employés ; 20%, entre 50 et 100 employés ; et 41%, plus de 100 employés). Les données sur les dirigeants étaient très poussées, car elles comportaient tout l’historique professionnel de chacun d’eux depuis qu’ils étaient sur le marché du travail, et même leurs rapports d’évaluation des entreprises qu’ils ont dirigées. Leurs revenus, leurs primes, leurs avantages, tout était là, au fil des années. En parallèle, les chercheurs avaient une foule d’informations sur les entreprises, pour les mêmes périodes (revenus, profits, évolution de la valeur du titre côté en Bourse, etc.). «Jamais de données aussi riches n’ont été utilisées pour étudier en même temps l’évolution d’entreprises et la performance des PDG qui les ont dirigées», affirment les chercheurs italiens.
Ils ont alors croisé les informations pour voir s’il y avait des corrélations entre certaines d’entre elles, ou non. Et ils ont fait quatre trouvailles (pour certaines d’entre elles, on pouvait tous en avoir l’intuition, mais voilà qu’elles sont maintenant prouvées) :
- Les entreprises qui rémunèrent surtout à la performance attirent les dirigeants qui ont du talent et qui n’ont pas peur de prendre des risques;
- Les dirigeants qui décrochent des contrats «juteux» sont les plus prompts à redoubler d’efforts quand cela est nécessaire (les semaines de plus de 60 heures ne leur font pas peur…) et sont aussi les plus heureux au travail;
- Les entreprises familiales sont celles qui présentent les offres les moins intéressantes pour ceux qui les dirigent (d’où la difficulté d’assurer la relève pour elles…);
- Les entreprises qui offrent une rémunération et des avantages «équilibrés» à leurs dirigeants sont toujours les meilleures en termes de productivité, de profits et de rendement.
Les quatre économistes ont affiné leurs travaux en effectuant quelques entrevues avec certains des dirigeants étudiés, dans l’optique surtout de vérifier qu’ils n’étaient pas à la bonne place. Ils ont été servis! L’un d’eux, par exemple, était le président-fondateur de son entreprise et commençait par se faire dire par ses proches les plus téméraires qu’il ferait bien, pour la santé de l’entreprise, de céder les rênes à un jeune : «Je préfère mille fois valoir 100 millions d’euros, avoir du fun et être respecté des autres, même si je suis perçu comme un boss sénile par certains, que de valoir 1 milliard d’euros et d’être payé par un trou de c*** qui a un MBA de Harvard et qui me dit quoi faire!», leur a-t-il expliqué.
On le voit bien, il n’y a pas de recette miracle pour recruter le PDG qui convient à telle ou telle entreprise. C’est du cas-par-cas. Cela étant, il y a tout de même des règles à suivre pour s’approcher au plus près de la meilleure solution, à mon avis…
L’objectif premier doit être de viser ce fameux «juste milieu», c’est-à-dire non pas la conclusion d’une entente où chacun fait des compromis (les propriétaires de l’entreprise font des concessions qu’ils ne voulaeint pas faire au départ, et le nouveau PDG n’obtient pas tout ce qu’il aurait aimé avoir), mais la recherche de l’excellence. Oui, il faut présenter la meilleure offre possible aux candidats intéressants, en mettant l’accent sur une rémunération adaptée au profil recherché. Par exemple, si vous voulez un PDG qui va briser la routine pour donner un nouveau souffle à l’entreprise, séduisez-le avec des primes conséquentes si les résultats sont bons. Et n’ayez pas peur d’afficher d’emblée les sanctions en cas de sous-performance : les chercheurs ont en effet appris que celles qui le faisaient étaient bien vues par les PDG talentueux!
Maintenant, rien ne vous empêche d'élargir le champ de l'étude des quatre économistes italiens, en vous posant la question suivante : «Suis-je, au poste que j'occupe aujourd'hui, à la bonne place?». Reprenez alors la lecture de ce post, et tentez d'y trouver des ébauches de réponse applicables à votre cas. Promis, vous allez être surpris par ce que vous retirerez de cette petite expérience...
«Dans toute action, dans tout choix, le bien c’est la fin, car c’est en vue de cette fin qu’on accomplit toujours le reste.» Oui, on en revient encore et toujours à l'Éthique. Pas vrai?
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