BLOGUE. Avez-vous déjà assisté à une soirée de tango? Oui, avez-vous eu la chance d’admirer ces couples évoluer sur la musique langoureuse, feignant de tantôt s’aimer et de tantôt se repousser. Comme le condensé d’une vie de couple…
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Peut-être avez-vous alors remarqué que le tango est le symbole parfait du leadership. Si, si, je n’exagère pas. L’homme est chargé de diriger la danse, comme le leader l’action de son équipe. Et la femme se doit de suivre avec brio les directions données par son cavalier, comme l’équipe les impulsions données par le leader.
Mais attention, c’est plus subtil que cela… Les bons couples de danseurs ne sont pas ceux où l’homme dirige d’une main de fer selon sa volonté et où la femme est bête et obéissante. Pas du tout! Les couples gracieux sont ceux qui évoluent en harmonie, c’est-à-dire qui sont constamment à l’écoute de l’un et de l’autre, et donc ceux où la femme influence grandement la danse, l’air de rien.
Et ça, je l’ai compris en parcourant une étude apportant une vision originale du leadership, intitulée Tango in the dark : the interplay of leader’s and follower’s level of self-construal and its impact on ethical leadership. Une étude signée par trois chercheurs néerlandais, à savoir Suzanne van Gils, chercheure à l’Erasmus Research Institute of Management (Pays-Bas), Niels van Quaquebeke, professeur à la Kuehne Logistics University (Allemagne), et Daan van Knippenberg, professeur à la Rotterdam School of Management (Pays-Bas).
Au départ, les trois chercheurs se sont demandés ce qui faisait que certains leaders agissaient de manière éthique, et d’autres pas. Et pour le dire plus franchement, ils s’étonnaient de la vision «romantique» que nous avons en général, vous comme moi, des leaders : il y a ceux qui sont d’un naturel bon – les altruistes - , et les autres, les méchants, qui ne cherchent que leur intérêt personnel – les égoïstes. Cette approche est-elle valable? Les êtres humains sont-ils ainsi bons ou méchants? Tout est-il tout blanc ou tout noir?
Forts de ces interrogations on ne peut plus pertinentes, ils se sont plongés dans les innombrables études de ces dernières années sur l’éthique et le leadership, que ce soit d’un point de vue psychologique, sociologique, managérial, etc. De ce travail de moine il ressort que tout commence par la perception de soi qu’a le leader, perception qui se fait à deux niveaux…
1. L’auto-perception de soi. Dit autrement, cela correspond à l’image que nous renvoie chaque matin le miroir de la salle de bains. Comment nous voyons-nous alors nous-mêmes? Comme un salaud qui cache bien son jeu? Comme un génie incompris? Comme quelqu’un de bien? Que sais-je encore?
Si l’on a une piètre estime de soi, on ne peut pas être un bon leader. C’est impossible. Si l’on se ment à soi-même pour ne pas avoir à soutenir le regard accusateur de notre reflet dans le miroir, matin après matin, on ne peut pas non plus être un vrai leader. Et si l’on devine un éclair de fierté dans votre regard, alors là, oui, vous avez le potentiel d’un grand leader. Pas vrai?
Maintenant que vous êtes convaincus d’être un bon danseur, ou du moins que vous avez le potentiel pour le devenir, il vous faut vérifier que les autres en sont, eux aussi, convaincus…
2. La perception de soi par autrui. C’est la seconde dimension de la perception de soi, celle qui considère que tout leader qu’on soit on n’en est pas moins un animal social comme les autres. Pour nous sentir bien dans notre peau, nous avons besoin de nous sentir apprécié, voire aimé, des autres. Sans quoi, nous ressentons l’exclusion du groupe, un isolement terrible, presque insoutenable.
C’est pourquoi lorsqu’un leader transgresse la loi et la morale, il ne veut surtout pas que ça se sache. Cela détruirait une partie primordiale de son être, à savoir l’estime des autres. Il serait dès lors perçu comme un traître au groupe, comme celui qui a trahi la confiance qu’on lui portait. Et ce, même si au fond de lui-même il demeure convaincu d’avoir probablement agi pour la bonne cause (par exemple, ceux qui truquent les bilans comptables pour faire croire que leur équipe est ultra-performante)…
On le devine en filigrane dans ce second aspect de la perception de soi, le regard des autres joue un rôle primordial dans l’honnêteté d’un leader. Oui, les membres d’une équipe ont une influence certaine – mais souvent insoupçonnée – sur les faits et gestes de leur dirigeant immédiat. Les trois chercheurs néerlandais s’en sont rendus compte en épluchant les études qu’ils ont analysées, et ont ainsi réussi à mettre au jour deux types d’influence, l’une passive et l’autre active…
> Influence passive. Elle survient par symbiose. Voici un exemple lumineux… Il arrive parfois que des membres d’une équipe acceptent de faire certains sacrifices pour le bien commun, à l’image de ceux qui font des heures supplémentaires non payées pour respecter les échéances de production d’un projet important. Ce geste envoie le message que les autres comptent pour eux, tout comme la mission qui les unit. C’est une preuve d’engagement qui, indirectement, fait comprendre au leader qu’ils s’attendent à le voir agir de la même manière, quand cela sera nécessaire. Cela lui montre que ce qui compte le plus, c’est l’équipe, pas le petit profit personnel des uns et des autres.
> Influence active. Elle se produit par communication directe. C’est bien simple, dans les discussions quotidiennes au travail, les membres de l’équipe sont amenés à dire sans détour à leur leader ce qu’ils pensent. De lui, de ce qu’il propose, de ce qu’il fait, etc. Bien entendu, cela se fait en respectant les formes (aucun employé ne va aller dans le bureau de son boss pour le blâmer ouvertement), mais tout leader est à même de comprendre ce qui lui est communiqué à demi-mots…
Voilà… Les employés ne s’en rendent pas toujours compte, mais ils représentent une épée de Damoclès au-dessus de la tête de leur leader. Si celui-ci se met à mal agir, l’épée va se mettre à bouger, et peut-être finir par trancher le mince fil attaché à sa lame. La confiance sera rompue, et le coup risque d’être mortel pour le leader.
Le parralèle avec le tango est évident : un lien de confiance doit se nouer entre l’homme et la femme, un lien de force égale des deux côtés, sinon un déséquilibre va apparaître, grandir et mettre à mal la fragile harmonie du couple de danseurs. Et un faux-pas va irrémédiablement s’ensuivre…
Qu’en pensez-vous? Vous reconnaissez-vous dans l’image des danseurs de tango? Je serais curieux d’avoir vos commentaires à ce sujet…
Le penseur français Jacques Attali dit dans Les Chemins de la sagesse : «Il n’est rien de plus urgent que d’apprendre la patience, le plaisir de se perdre, la ruse et le détour, la danse et le jeu, pour se retrouver capable de façonner sa vie comme une ironique œuvre d’art»…
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