BLOGUE. C’est probablement mon côté latin qui ressort : il me prend parfois l’envie de faire une petite sieste, à tout le moins de faire un break à la mi-journée, histoire de faire baisser la pression accumulée durant la matinée de travail. Oui, je le confesse, je m’allongerais bien un moment, au calme, sur un canapé, par exemple, la tête dans les nuages. Pas vous?
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Le hic, c’est que si tout le monde agissait de la sorte, on assisterait à une sorte de cassure dans le rythme de travail de l’équipe, voire de l’entreprise. Les uns feraient une sieste plus longue que les autres, si bien qu’il faudrait continuellement s’attendre pour reprendre le projet sur lequel on travaillait en groupe; certains se sentiraient mous toute l’après-midi; plus personne ne répondrait au téléphone durant des dizaines de minutes, voire une demi-heure; etc. Peut-être même que la productivité globale en prendrait un coup.
Pourtant, certains considèrent la sieste comme une nécessité pour le bien-être, et non comme un luxe ou du temps volé à l’employeur. Au Japon, la plupart des grandes entreprises ont leurs «salons de sieste», à l’image des agences de publicité Dentsu et Hakuhodo. En Chine, le droit à la sieste est inscrit dans la Constitution : «Ceux qui travaillent ont droit à la sieste». Et en Espagne, les horaires de bureaux sont fixés en fonction de la sieste : les Espagnols ne reprennent le travail l’après-midi que vers 15 ou 16h, pour finir entre 20 et 21 h.
Alors? Devrais-je proposer l’instauration d’un petit salon expérimental pour la sieste au bureau? Devrais-je faire un précédent, au nom de l’innovation et de l’efficacité (nombre d’études ont déjà largement montré que la micro-sieste (moins de 5 minutes) et la sieste éclair (entre 10 et 30 minutes) permettent de regagner de la concentration et de l’énergie, voire sa bonne humeur)? Et ainsi risquer de me faire reprocher plus tard d’avoir cassé la dynamique de travail de mon organisation?
Eh bien, la réponse à toutes ces interrogations, je l’ai! Si, si,… Je l’ai trouvée dans une étude intitulée Siesta : A theory of freelancing, signée par Maria Saez-Marti, professeure d’économie de l’Universität Zürich (Suisse). Une étude qui montre que, pour être efficace, la sieste ne doit pas être autorisée à tout le monde…
Mme Saez-Marti a adopté une approche économétrique de la sieste, à savoir un modèle mathématique standard d’application d’une politique de sieste en entreprise, mais tout de même assez sophistiqué pour voir quand cette politique est pertinente, et quand elle ne l’est pas. Elle a grosso modo considéré le point de vue d’un employé lambda qui doit accomplir une tâche dans une journée de travail. Cette tâche est subdivisée en deux périodes de temps, entre lesquelles il peut envisager de faire une sieste pour retrouver davantage d’énergie. La probabilité que cet employé atteigne son objectif dépend de deux variables : son degré de compétence et son état de fatigue.
Les employés étant tous différents les uns des autres, la chercheure va regarder une large palette de cas de figure, allant de celui où l’employé est performant et en pleine forme, à celui où il est peu compétent et très fatigué. Et ce, en estimant que la fatigue est continuelle, c’est-à-dire qu’une personne fatiguée le matin le sera aussi durant l’après-midi, si elle ne fait pas de sieste. Pour le modèle de Mme Saez-Marti, une sieste permet de fait de supprimer la fatigue d’un coup, ce qui nécessairement améliore la probabilité de réaliser sa tâche de la journée.
Nul besoin d’entrer davantage dans le détail des calculs, sautons aux conclusions. Résultat? Tous les employés de l’entreprise ne doivent pas être autorisés à faire la sieste. En effet, la sieste est pertinente pour tous les employés qui se sentent vraiment fatigués le matin, mais quand le niveau de fatigue est disons «moyen», alors elle n’est utile qu’aux employés compétents (pour les autres, faire la sieste ou pas ne change pas grand-chose du point de vue de la performance…).
Ce n’est pas tout! Si on laisse les employés libres de faire une sieste quand bon leur semble, et aussi longtemps qu’ils le souhaitent, on risque de voir des employés refuser de faire la sieste, alors qu’ils gagneraient à la faire, et d’autres la faire, alors qu’ils n’ont ont pas réellement besoin. D'ailleurs, les Espagnols profitent souvent de la longue pause de midi pour faire mille et une autres choses que la sieste, si bien que globalement, ils dorment moins que les autres Européens. Bref, on s’éloignerait de la solution optimale pour l’employeur.
En résumé, Mme Saez-Marti a trouvé que :
> Tous les employés vraiment fatigués devraient faire la sieste;
> Seuls les employés compétents devraient se voir offrir la possibilité de faire une petite sieste quand ils ressentent un coup de barre;
> La sieste ne doit surtout pas être «obligatoire» ou «libre».
Bon, tout cela est très théorique. Y a-t-il un moyen de l’appliquer sur le terrain, sans sombrer dans une méritocratie un peu trop discrimante? La chercheure y a réfléchi et suggère d’offrir des contrats différents en fonction du profil des employés :
> Permanence. Ce contrat impose des horaires de travail fixes, sans sieste, mais avec une prime à la performance. Il conviendra à ceux qui se sentent rarement fatigués.
> Freelance. Ce contrat offre une grande souplesse dans les horaires, ce qui permet à l’employé de profiter de larges plages horaires pour lui, et donc pour faire la sieste s’il le souhaite. En revanche, il ne permet pas de toucher de prime à la performance, à de rares exceptions près.
D’un point de vue économétrique, les employés chercheront à optimiser leur bien-être au travail, ce qui les amènera à décider par eux-mêmes s’ils préfèrent un contrat de permanent ou un de freelance. Mais bien entendu, il ne s’agit là que «d’un point de vue économétrique»…
Maintenant, considérez-vous que vous méritez une bonne petite sieste, de temps en temps? À vous de voir. Quant à moi, la prochaine fois que l'envie me prendra, je demanderais à mon boss ce qu'il en pense…
En passant, le poète britannique du 17e siècle George Herbert aimait à dire : «Prenez un peu de repos, afin de finir plus vite»…
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