BLOGUE. La relève arrive à grands pas, dit-on. Oui, les 18-30 ans – communément présentés comme la génération Y – sont en train de faire leur place sur le marché du travail et, pour certains d’entre eux, à prendre des responsabilités grandissantes au sein des entreprises. Pourtant, qui sait au juste qui sont ces fameux Y?
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Certes, on voit surgir ici et là des articles à leur sujet depuis quelques années, mais voilà, certains disent blanc et d’autres noir. On regarde encore comment agissent les adolescents ou les jeunes collègues qui évoluent dans notre propre entourage, en se disant – à tort – que nos constatations peuvent être généralisées à l’ensemble des Y. Et finalement, les X et les baby-boomers ne savent plus trop quoi en penser, tant il est difficile de cerner les caractéristiques communes à ce groupe de personnes.
D’où l’intérêt que j’ai trouvé à lire différentes entrevues accordées récemment à différents médias français – Les Inrockuptibles et Le Figaro – par la sociologue Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS et auteure de Génération Y - Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (Les Presses de Sciences-Po, 2012). Celle-ci y résume avec brio les faits saillants de son analyse du phénomène Y…
Ainsi, Mme Dagnault explique que le terme «Génération Y» provient des sociologues américains Neil Howe et William Strauss, découlant de leur travail sur la succession des générations. Ceux-ci ont estimé que coexistaient en ce moment trois générations : celle des baby-boomers; celle des X, «composée de personnes qui sont un peu éteintes – la "bof génération" qui n'a plus grand-chose à inventer parce que ses parents auraient déjà tout fait –»; puis celle des Y.
D’après la sociologue, trois caractéristiques permettent de distinguer les Y des autres générations, à savoir :
> Contexte politique. «Contrairement à l’X, la génération Y ne peut pas être qualifiée de "bof" : elle ne baisse pas les bras, ne trouve pas que rien n'a d'importance. Mais, elle a été élevée dans une période de désenchantement politique, dans une espèce de "dégriserie"», explique-t-elle.
> Contexte éducatif. «Le Y est une personne, et la famille, une unité associative où chacun doit trouver son identité. C'est une famille de négociation», dit-elle. Et d’ajouter : «La génération Y a été élevée dans un système où d'un côté on reste très à l'écoute et où de l'autre on pousse à la performance scolaire. Ce modèle ambivalent génère des tensions».
> Contexte culturel. Ils sont nés et ont grandi avec une souris dans une main et un cellulaire dans l’autre. Et leurs réseaux sont avant tout numériques.
Autre particularité : leurs valeurs…
> Le DIY. C’est le Do It Yourself, qui se traduit souvent par une grande capacité à s’organiser avec d’autres pour mener à bien un projet soi-même, sans passer par des instances en place. Et souvent, sans leader traditionnel.
> Le partage. Leur engouement pour les réseaux sociaux et le peer to peer en est l’expression la plus évidente.
> L’optimisme. «Ces jeunes sont pessimistes sur la société et son avenir, mais restent optimistes pour eux-mêmes. Ils auraient de quoi baisser les bras, mais gardent beaucoup de vitalité.»
> Le Lol. «La culture du Laughing out loud est très tonique, même si parfois potache. Ça reste une forme de résistance, une façon de se moquer du monde, y compris de soi-même. Cette génération a du tonus, de la réactivité, une capacité à rire, de l'ironie sur le monde. C'est une force.»
Mais surtout, ils apportent une toute nouvelle vision du travail et de l’entreprise…
> Savoir. «Les jeunes de la génération Y ont un mode d'entrée dans la connaissance qui n'est pas de type linéaire ou rationnel, comme l'écrivait le sociologue Marshall McLuhan. La pensée de Gutenberg passe par la lecture et une construction rationnelle des choses. Eux entrent par les hypertextes, piochent à droite et à gauche. Ce mode d'entrée dans la connaissance est très déconcertant.»
> Hiérarchie. «Ils ne sont pas attachés à la hiérarchie, pas uniquement à cause du Web mais aussi en raison de la disparition de la famille patriarcale, qui signifie que même dans la famille, on a fait un apprentissage d'interaction, sur un pied d'égalité.»
> Fidélité. «Ils n'ont pas d'attachement fort à l'entreprise. Peut-être parce qu'ils pensent que les entreprises vous jettent dès qu'elles n'ont plus besoin de vous. Ils se disent aussi que s'ils trouvent mieux ailleurs, ils partiront.»
> Pouvoir. «Ils n'ont pas spécialement envie d'exercer le pouvoir. Quand on leur propose de changer de poste, ils vont plutôt demander à avoir une autre expérience, sans privilégier l'idée de carrière.»
> Déboulonnage. «Leur esprit à la fois rebelle et ironique ne les porte pas à avoir des icônes. Ils ne sont pas enclin à être dans la sidération, dans l'admiration béate. On assiste plutôt au déboulonnage des faux patrons et des figures d’autorité incompétentes, d’où leur regard critique et ironique [sur leur environnement professionnel]…»
> Mutation. «Ils sont multitâches, bricoleurs et zappeurs de génie, passés d’une réflexion linéaire à un couper-coller intuitif. Nous assistons avec les Y à une vraie mutation anthropologique. Une mutation sociale, aussi : on les dit papillonnants, ingérables, changeant d’entreprise tous les deux ans…»
> Idéal. «Leur idéal de vie? Monter son entreprise, papillonner entre plusieurs métiers, bref, devenir des super experts. Le modèle de la grande entreprise où l’on devient chef ne les fait plus rêver. On ne se bat plus pour diriger et avoir des responsabilités!»
Intéressant, n’est-ce pas? Les Y ont, en fin de compte, pas grand-chose à voir avec les générations précédentes, et ce pourrait être pour le meilleur. Imaginons un instant toutes ces valeurs et visions succédant à celles qui priment aujourd’hui…
Nous verrions des bouleversements sociétaux majeurs survenir dans la joie et la bonne humeur, un peu à l’image de ce que laissent augurer les flashmobs, les Indignés et les différents Printemps arabes de l’an dernier…
Nous verrions le goût actuel pour la compétition sans foi ni loi être supplanté par la volonté d’œuvrer en grand nombre pour la réalisation d’un projet grandiose et généreux, sans que quiconque cherche à tirer la couverture à lui, un peu à l’image du crowdsourcing…
Nous verrions naître des milieux de travail où le leader, au lieu de chercher comme aujourd’hui à tirer le meilleur parti de ses employés, penserait complètement autrement et chercherait à se rendre utile pour chaque employé, oui, à venir en aide à chacun dans son épanouissement professionnel, à l’image de ce que laissent présager de récentes études universitaires sur le basculement de la notion de leadership…
Nous verrions, de manière générale, davantage de courtoisie. De quoi? De courtoisie, si, si… La sociologue française le souligne dans ses entrevues, «les Y rêvent de courtoisie», c’est-à-dire qu’ils ont tendance à rejeter tout ce qui est grossier et vulgaire, et donc à priser tout ce qui est raffiné. Dans la vie quotidienne. Dans les arts. Dans la culture.
Par exemple, contrairement à ce que nombre de personnes croient a priori, les Y sont très admiratifs de tous les combats menés par les baby-boomers, et éprouvent par conséquent un grand respect pour leurs aînés. S’adressant à ceux-ci, ils feront toujours preuve, à n’en pas douter, d’une grande courtoisie, même si – objectivement – ils pourraient leur reprocher quantité de choses («des dettes astronomiques, un chômage écrasant, etc.»)…
Bref, nous verrions – disons carrément le mot – un monde meilleur. Alors, vivement demain!
En passant, une pensée de l’écrivain français Alfred Jarry, si drôle qu’elle m’amuse à chaque fois que j’y pense : «Les vieillards, il faudrait les tuer jeunes!»…
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