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La moustache peut-elle nuire à votre carrière?

Par Olivier Schmouker

Publié le 17/11/2011 à 09:10, mis à jour le 17/11/2011 à 14:34

BLOGUE. Comme chaque année, venu le mois de novembre, on voit surgir partout autour de nous des hommes portant fièrement la moustache. Vous le savez déjà, c’est l’opération Movember, qui vise à récolter des fonds pour la lutte contre le cancer de la prostate. Souvent, découvrir des connaissances et des collègues avec la moustache déclenche en nous un grand éclat de rire. Rarement, de l’admiration. Mais au-delà de l’aspect comique de la situation, on peut aussi se demander, le plus sérieusement du monde, si cette soudaine pilosité ne risque pas de représenter une nuisance sur le plan professionnel…


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Plusieurs cas de figure peuvent survenir… Un préposé à l’accueil qui prête à sourire, au lieu de donner une image digne et respectable à l’entreprise. Un conseiller financier qui passe tout à coup pour un rigolo aux yeux de ses clients. Un employé mal-aimé de son boss, irrité encore plus à la vision quotidienne de cette «horrible» moustache. C’est sans fin, et peut-être avez-vous déjà eu vent d’anecdotes bel et bien réelles.


En fait, je ne suis pas le seul à m’être posé la question, en voyant tous ces moustachus dans mon entourage. La marque de rasoirs Schick, qui est l’un des commanditaires de l’opération Movember, a ainsi ressenti le besoin de prodiguer des conseils à ceux pour qui la moustache pourrait être mal perçue dans leur environnement professionnel :


> Faites-vous beau. Pour que les autres apprécient à sa juste valeur la beauté des menus poils qui rehaussent votre lèvre supérieure, veillez à vous raser tous les jours le reste du visage de manière impeccable. Ils ne vous traiteront alors jamais d'homme des cavernes.


> Affirmez-vous. Vous n'avez peut-être pas l'air de Burt Reynolds dans son jeune temps, mais il est trop tard pour faire marche arrière. Rappelez-vous que vous le faites pour une bonne cause et affichez votre «Mo» [le terme cool pour dire «moustache» au sein de la communauté des «Mo Bros»…] avec assurance, car vous devez la porter jusqu'au 1er décembre.


> Unissez vos forces. Essayez de convaincre le plus de collègues possible de se joindre à la cause. Il est vrai que la «Mo» fait l'homme, et ce n'est pas tout le monde qui peut tenir le coup, mais à plusieurs il vous sera plus aisé de faire face à l’adversité.


> Amusez-vous. N’ayez pas peur de faire rire de vous, c’est bon pour la cause et cela peut l’être aussi pour vous-même. De fait, votre popularité va aller croissante, les autres vont à n’en pas douter jaser sur vous autour de la distributrice de café. Et si vous en surprenez à discuter de votre allure de Salvador Dali ou de Fu Man Chu, profitez de l'occasion pour les informer des raisons qui vous ont poussé à participer à Movember.


> Passez une journée «Mo». Chaque «Mo» est unique et pousse à sa propre vitesse. N’hésitez pas à lancer au bureau des discussions sur les moustaches, en y impliquant les autres qui participent à l’opération en même temps que vous. Et – pourquoi pas? – dédiez une de vos journées de travail à communiquer activement sur Movember. Les autres oublieront dès lors votre moustache pour ne plus voir que la cause défendue à travers elle.


Un témoignage peut-il vous convaincre? «La collecte de fonds pour Movember a commencé au sein de KPMG en 2008 et s'est répandue depuis à une quinzaine de bureaux un peu partout dans le monde. C’est une excellente façon de rehausser le moral des troupes et d'apprendre à connaître des collègues qu'on ne côtoie pas vraiment d’habitude. On assiste même à une forme amusante de rivalité entre pairs et anciens collègues du secteur de la comptabilité, quant à savoir lequel d’entre nous récoltera le plus d’argent», raconte David Oldham, un associé de KPMG Canada diplômé d’Oxford.


Maintenant, allons un peu plus loin dans la réflexion et demandons-nous si, de manière générale, l’apparence d’une personne peut influencer l’évolution de sa carrière. J’ai justement mis la main sur une étude sur le sujet, intitulée Dressed for success? et signée par deux professeurs d’économie de l’University of Houston, Elisabetta Gentile et Scott Imberman. Une étude qui évalue l’impact réel du port d’un uniforme sur la performance scolaire des élèves…


Ainsi, le président américain Bill Clinton a demandé en 1996 au Département de l’Éductation de faire en sorte que davantage d’écoles publiques exigent le port de l’uniforme, après avoir constaté que seulement 3% avaient cette politique vestimentaire. Il croyait alors que l’uniforme présentait de nombreux avantages, comme une plus grande propreté générale des élèves, un plus grand respect de l’autorité de la part des élèves, ou encore une moins grande pression de la mode (en particulier chez les filles). En fin de compte, l’idée était qu’un milieu de travail serein permettrait aux élèves d’être plus concentrés en classe, et par suite d’avoir de meilleurs résultats.


Le président Clinton avait-il raison? Ou bien avait-il tort? En 2005, 14% des écoles publiques des Etats-Unis exigeaient le port de l’uniforme. Et c’est à cette époque-là qu’ont commencé nos deux chercheurs à s’interroger sur l’efficacité de cette mesure.


Mme Gentile et M. Imberman se sont penchés sur les quelque 300 écoles publiques du district scolaire du sud-ouest des Etats-Unis, le plus grand du pays ; en 2006, 82% de ces écoles imposaient le port de l’uniforme. Ils ont tout d’abord épluché les dossiers personnels de chaque élève, sur une période allant de 1993 (10% des écoles publiques faisaient alors porter l’uniforme) à 2006. Ces dossiers permettaient de suivre à la trace leurs résultats, leurs fiches de discipline et autres fiches de présence. Puis, les deux chercheurs ont envoyé en 2007 des questionnaires détaillés à la direction de toutes ces écoles, dans l’optique d’en savoir plus sur les raisons pour lesquelles il est jugé bon d’exiger le port de l’uniforme.


Résultats? Très instructifs, me semble-t-il :


> Discipline : aucun impact particulier.


> Présence : aucun impact au primaire, mais incidence positive au secondaire, en particulier auprès des filles et de ceux qui sont issus de milieux très défavorisés.


> Performance : aucun impact.


> Décrochage scolaire : aucun impact.


Les deux chercheurs ont même regardé l’impact que l’uniforme pouvait avoir sur… les enseignants! Et ils ont eu la surprise de découvrir qu’il en avait au moins un, à savoir qu’au primaire, là où l’uniforme est exigé, les enseignants changent moins souvent de poste qu’ailleurs. Et ce, de manière très significative.


En conclusion, la tenue vestimentaire n’a guère d’influence sur la scolarité des enfants : le fait de porter un uniforme leur fait moins manquer les cours, et c’est tout.


Maintenant, si l’on applique cette découverte au milieu de travail, on peut en déduire que le fait d’être habillé «comme il se doit» au bureau (en costard-cravate à la banque, en rebelle à l’agence de publicité, etc.) n’a aucun impact sur la performance réelle de l’employé. On peut donc très bien, du jour au lendemain, porter la moustache – que l’on soit banquier ou créatif – sans pour autant que notre capacité de travail en pâtisse! CQFD.


Saint-Jean, dans son Évangile, disait d’ailleurs : «Cessez de juger sur l’apparence. Jugez avec équité»…