BLOGUE. Avez-vous remarqué qu’autour de vous les gens heureux sont beaux? Vous savez, ce collègue qui vole de succès en succès, cette voisine toujours si radieuse, ce boss à qui tout sourit, oui, tous ceux-là nagent dans le bonheur. À en devenir presque jaloux, n’est-ce pas? La question se pose : faut-il être beau pour être heureux? Ou du moins, cela y contribue-t-il?
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Eh bien, cette interrogation n’est pas si farfelue qu’elle paraît. Et nombre de personnes qui se piquent de management et de leadership feraient bien, à mon avis, de se pencher sur le sujet. C’est ce que j’ai compris en découvrant une étude intitulée Beauty is the promise of happiness?, signée par deux économistes de l’University of Texas, Daniel Hamermesh et Jason Abrevaya. Une étude passionnante…
Depuis une quinzaine d’années, les études d’économistes sur la notion de bonheur se multiplient. Elles abordent généralement un angle très particulier, celui des liens éventuels entre le niveau de salaire et le niveau de satisfaction dans la vie. Depuis peu, des études plus pointues ont vu le jour, nées de l’idée que le bonheur pouvait être étudié sans toujours tenir compte du salaire : l’impact des loisirs, celui du statut conjugal, etc. Et aucune ne s’était jusqu’à présent demandé si la beauté d’une personne pouvait avoir la moindre influence sur son bonheur.
Pourquoi? Parce qu’a priori, la tâche semble ardue. En effet, on peut argumenter des heures sur ce qu’est vraiment le bonheur. Idem, avec la notion de beauté. Pas vrai? Il suffit de voir la quantité de livres sur le bien-être qui sortent en librairie, tous proposant leur recette du bonheur, pour se dire qu’il y a une infinité d’approches de cette notion possibles. Quant à la beauté, une petite expérience est révélatrice : s’asseoir en terrasse à côté d’une table de filles en train de parler de gars, et constater à quel point leurs opinions divergent…
Alors? Comment nos deux économistes ont-ils surmonté ces difficultés? Assez simplement, ma foi. Ils ont mis la main sur une série de sondages sur le bonheur menés dans différents pays – Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne et Allemagne – et les ont décortiqué soigneusement. Ils n’ont pas choisi n’importe quels sondages, ils ont retenu ceux qui avaient un point en commun : une fois toutes les questions posées, le sondeur devait évaluer la beauté de la personne interrogée, en la notant de 1 à 5, 5 correspondant à quelqu’un de «très beau». Cette évaluation visait à établir un lien entre la beauté et le salaire. Personne n’avait eu l’idée de s’en servir pour autre chose, comme le lien éventuel entre la beauté et le bonheur…
Prudents, les deux économistes se sont dits qu’il ne suffisait pas d’analyser la corrélation entre deux données subjectives pour en tirer une conclusion définitive. Non, ils ont commencé par vérifier si les différents sondages étaient compatibles, ou pas. Par exemple, on peut se dire que la définition du bonheur, comme celle de la beauté, n’est pas la même aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Pour ce faire, ils ont essentiellement effectué un «test de robustesse» sur les différents sondages, histoire de déceler leurs points communs et la solidité de leurs résultats respectifs. Il s’agit là d’opérations mathématiques courantes et fiables.
Résultat? Les disparités des approches ne sont pas majeures, pas au point de ne pas pouvoir les regrouper et les analyser toutes ensembles. Mieux, leurs différences en font même un atout, car le spectre de la notion de «beauté» et de «bonheur» est ainsi plus large, si bien que les enseignements qu’on peut en tirer n’en sont que plus intéressants.
Cela fait, MM. Hamermesh et Abrevaya ont tenté de corréler la beauté au bonheur, étude par étude, puis toutes prises ensemble. Il s’agit de calculs relativement simples, mais délicats à mener ici car les «données» retenues portent sur des notions tout de même un peu floues. Là encore, prudence…
Prenons le cas du Canada pour mieux comprendre… Le sondage Quality of Life, similaire d’un point de vue méthodologique à celui mené chez nos voisins du Sud, retenait plusieurs critères pour mesurer le niveau de satisfaction dans la vie des personnes interrogées : le salaire, le niveau d’éducation, le sexe, le nombre d’enfants, etc. Il convient dès lors de vérifier si ces critères ont un impact sur la beauté : la réponse est – comme on pouvait s'y attendre – négative.
Maintenant, on peut regarder si la beauté influence notre niveau de satisfaction dans la vie. Et là, les résultats sont impressionnants au Canada : oui, il y a bel et bien corrélation entre les deux notions, évaluée à 0,64! Cela signifie qu’ici, plus on est beau, plus on a de chances d’être heureux dans la vie. Et il en va de même dans les autres pays.
Tout de suite, je vois venir votre question : «Ben… Pourquoi?». Les deux économistes texans sont la sont bien sûr posées, et ont creusé plus en profondeur leur trouvaille pour finir par trouver une véritable pépite : l’impact de la beauté sur le bonheur est… indirect.
C’est que la beauté a un impact clair sur différents critères du bonheur. Tout simplement. Par exemple, ceux qui sont beaux sont souvent heureux dans leur vie conjugale, car – d’un point de vue statistique, on s’entend… – ils vivent généralement avec une personne belle elle aussi, et qui donc leur plaît ; et inversement. Même chose avec le salaire : un homme beau attire spontanément la sympathie et la confiance, ce qui peut l’aider grandement dans l’évolution de sa carrière, et donc dans celle de son salaire, si bien qu’il aura plus de chances que d’autres d’être heureux au travail ; et inversement. Du coup, quelqu’un de beau – homme comme femme – est globalement plus heureux que les autres dans la vie.
Toutefois, il faut revenir à notre point de départ : c’est quoi, au juste, la beauté? Un beau visage? Un beau corps? Une belle silhouette? Voire un esprit séduisant? Une intelligence qui pétille? À toutes ces questions, aucune réponse de la part des deux économistes. Pour eux, l’évaluation faite dans les sondages portait sur les traits physiques des personnes, de rien d’autre. Elle était donc très subjective, mais cette subjectivité était effacée – d’un point de vue statistique, une fois de plus… – par la grande quantité de personnes interrogées et des interrogateurs eux-mêmes. En conclusion de leur étude, les deux chercheurs donnent tout de même un conseil à ceux qui voudraient tirer davantage parti de leur beauté, en particulier au travail : «soignez votre look». De fait, l’apparence peut parfois pallier de menus défauts…
Un point de vue que rejoint la mannequin brésilienne Gisele Bündchen, qui a confié à un magazine français, il y a cinq ans : «La vraie beauté, c’est ce que l’on dégage. Si l’on dégage du soleil, du bonheur, si on s’aime un peu soi-même, le regard que les autres posent sur vous sera infiniment plus indulgent»…
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