BLOGUE. Se faire des amis au travail est incontournable, puisque c'est là que nous passons, pour la plupart d'entre nous, le plus long de nos journées. Cela nous est même nécessaire pour nous épanouir, vu que nous sommes avant tout des animaux sociaux. L'amitié au travail est donc plus qu'un bien, c'est une nécessité vitale. Mais une question se pose tout de même : l'amitié au travail est-elle bénéfique, ou pas, à notre performance professionnelle?
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A priori, on a envie de répondre «oui» à cette interrogation. Car qui a des amis est heureux, qui est heureux est efficace dans ce qu'il entreprend, et qui est efficace est plus performant. Logique. Pourtant, c'est sauter trop vite à une conclusion, comme l'indique l'étude The cost of friendship signée par deux enseignants de Harvard - Paul Gompers, professeur de gestion des affaires, et Yuhai Xuan, professeur de finance -, assistés d'un étudiant, Vladimir Mukharlyamov. D'autant plus que cette conclusion est partiellement erronée…
Les trois chercheurs ont démarré leur réflexion à partir du concept de collaboration. «La collaboration permet à un individu d'atteindre des objectifs que seul il ne pourrait jamais rêver d'approcher, à l'image de ce qui a été fait pour le Canal de Panama ou pour la chasse aux mammouths», ont-ils indiqué dans leur étude. Et ils se sont demandés ce qui faisait que certaines collaborations portaient fruit, et d'autres, pas.
Ils ont alors plongé dans une immense base de données qu'ils ont eux-mêmes composée à partir de différentes sources. De VentureSource, ils ont extrait chacun des placements effectués entre 1975 et 2003 par 3 510 investisseurs en capital de risque américains. Et de chacun de ces investisseurs, ils ont dressé le profil personnel et professionnel le plus précis possible, à partir de documents de la Securities and Exchange Commission (Sec), d'articles de journaux et autre CV dénichés sur le Web (LinkedIn, etc.).
Puis, ils en ont dégagé deux sortes de variables : l'une liée à l'individu, l'autre, aux duos. Les variables sur l'individu portaient, entre autres, sur le sexe, l'origine ethnique et les écoles fréquentées. Et celles sur les duos représentaient toutes les fois où un investisseur avait œuvré de concert avec un autre, sachant que lorsqu'un investisseur est à l'origine d'une transaction, il est vite suivi par d'autres, qui se mettent à manœuvrer comme lui, avec une tactique et une stratégie similaires, pour ne pas dire complémentaires : ce travail en groupe est souvent bénéfique pour tous. Dès que deux investisseurs de leur liste se retrouvaient parmi les premiers impliqués dans une même transaction, ils étaient considérés par les trois chercheurs de Harvard comme un duo.
Qu'est-ce que ce travail de fourmi leur a-t-il permis de découvrir? Des choses fort intéressantes :
> Deux investisseurs qui ont le diplôme d'une université prestigieuse ont un pourcentage supérieur de 8,5 points de pourcentage d'œuvrer ensemble que deux autres qui n'ont pas ce point commun.
> Deux investisseurs qui ont le même diplôme universitaire ont un pourcentage supérieur de 20,5 points de pourcentage d'œuvrer ensemble que deux autres qui n'ont pas ce point commun.
> Deux investisseurs qui ont la même origine ethnique minoritaire ont un pourcentage supérieur de 22,8 points de pourcentage d'œuvrer ensemble que deux autres qui n'ont pas ce point commun.
Par conséquent, un investisseur a nettement plus de chances de collaborer avec un autre s'il a un point en commun avec celui-ci.
Enfin, les trois chercheurs se sont penchés sur la performance de ces duos, soit ce qu'ont donné chacun de leurs placements effectués en commun. Et ce, en regardant deux points en particulier : les duos résultant d'une amitié liée à la compétence professionnelle (diplôme, etc.), et ceux découlant d'une amitié basée sur une affinité (origine ethnique, etc.).
Résultats? On ne peut plus éclairants :
> Celui des deux qui a le diplôme le plus prestigieux des deux voit son pourcentage de sortir gagnant de la transaction entreprise accru de 9%; et l'autre, de 11%.
> En revanche, les duos formés par des investisseurs qui ont fréquenté, par le passé, la même entreprise voient leurs chances de sortir gagnants de la transaction amoindries en moyenne de 18%.
> Si les deux ont fréquenté les mêmes bancs de collège, leurs chances de réussite diminuent de 22%.
> Pis, s'ils ont la même origine ethnique, leurs chances chutent de 25%.
Ce n'est pas tout. À partir du moment où un duo a travaillé ensemble une fois, il y a de fortes probabilités qu'il recommence par la suite. Même si cela ne lui a pas été favorable.
Bref, les trois chercheurs en tirent deux conclusions :
1. Misez sur l'amitié liée à la compétence. C'est la seule qui permet de faire mieux que ce que l'on pourrait faire seul.
2. Écartez l'amitié liée à l'affinité. Sur le plan de la performance pure, elle vous est toujours néfaste.
Autrement dit, l'amitié au travail peut bel et bien avoir un coût, un coût même considérable. À vous de voir si vous êtes prêts, ou pas, à le payer…
En passant, le sociologue italien Francesco Alberoni a dit dans L'Amitié : «L'amitié est une île d'éthique dans un monde sans morale, où tous sont en guerre contre tous».
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